[16] κἀκεῖνος ‘οὕτως’ ἔφη ‘νὴ Δία παντὸς μᾶλλον·
ἄτοπον γὰρ ἀμέλει τοὐναντίον.’ ‘Ἐκεῖνο δ´’ ὁ πατήρ
‘οὐκ ἄτοπον’ εἶπεν, ‘εἰ τέσσαρα γένη τῆς φιλίας ἐχούσης,
ὥσπερ οἱ παλαιοὶ διώρισαν, τὸ φυσικὸν πρῶτον εἶτα τὸ
ξενικὸν ἐπὶ τούτῳ καὶ τρίτον τὸ ἑταιρικὸν καὶ τελευταῖον
τὸ ἐρωτικόν, ἔχει τούτων ἕκαστον ἐπιστάτην θεὸν ἢ
φίλιον ἢ ξένιον ἢ ὁμόγνιον καὶ πατρῷον· μόνον δὲ τὸ
ἐρωτικὸν ὥσπερ δυσιεροῦν ἄθεον καὶ ἀδέσποτον ἀφεῖται,
καὶ ταῦτα πλείστης ἐπιμελείας καὶ κυβερνήσεως δεόμενον;’
‘ἔχει καὶ ταῦθ´’ ὁ Ζεύξιππος εἶπεν ‘οὐ μικρὰν
ἀλογίαν.’ ‘Ἀλλὰ μήν’ ὁ πατὴρ ἔφη ‘τά γε τοῦ Πλάτωνος
ἐπιλάβοιτ´ ἂν τοῦ λόγου καὶ παρεξιόντος. μανία γὰρ ἡ μὲν ἀπὸ σώματος
ἐπὶ ψυχὴν ἀνεσταλμένη δυσκρασίαις τισὶν ἢ συμμίξεσιν ἢ
πνεύματος βλαβεροῦ περιφερομένου τραχεῖα καὶ χαλεπὴ
καὶ νοσώδης· ἑτέρα δ´ ἐστὶν οὐκ ἀθείαστος οὐδ´ οἰκογενής,
ἀλλ´ ἔπηλυς ἐπίπνοια καὶ παρατροπὴ τοῦ λογιζομένου
καὶ φρονοῦντος ἀρχὴν κρείττονος δυνάμεως ἀρχὴν ἔχουσα
καὶ κίνησιν, ἧς τὸ μὲν κοινὸν ἐνθουσιαστικὸν καλεῖται
πάθος· ὡς γὰρ ἔμπνουν τὸ πνεύματος πληρωθὲν ἔμφρον
δὲ τὸ φρονήσεως, οὕτως ὁ τοιοῦτος σάλος ψυχῆς ἐνθουσιασμὸς
ὠνόμασται μετοχῇ καὶ κοινωνίᾳ θειοτέρας
δυνάμεως· ἐνθουσιασμοῦ δὲ τὸ μαντικὸν ἐξ Ἀπόλλωνος
ἐπιπνοίας καὶ κατοχῆς, τὸ δὲ βακχεῖον ἐκ Διονύσου,
’κἀπὶ Κυρβάντεσι χορεύσατε‘
φησὶ Σοφοκλῆς· τὰ γὰρ μητρῷα καὶ πανικὰ
κοινωνεῖ τοῖς βακχικοῖς ὀργιασμοῖς. ’τρίτη δ´ ἀπὸ
Μουσῶν λαβοῦς´ ἁπαλὴν καὶ ἄβατον ψυχὴν‘
τὸ ποιητικὸν καὶ μουσικὸν ἐξώρμησε
καὶ ἀνερρίπισεν. ἡ δ´ ἀρειμάνιος αὕτη λεγομένη καὶ
πολεμικὴ παντὶ δῆλον ὅτῳ θεῶν ἀνίεται καὶ βακχεύεται
’ἄχαριν ἀκίθαριν δακρυογόνον Ἄρη
βοάν τ´ ἔνδημον ἐξοπλίζουσα‘ .
λείπεται δὲ τῆς ἐξαλλαγῆς ἐν ἀνθρώπῳ καὶ παρατροπῆς
οὐκ ἀμαυρὸν οὐδ´ ἡσυχαῖον, ὦ Δαφναῖε, μόριον, ὑπὲρ οὗ
βούλομαι τουτονὶ Πεμπτίδην ἐρέσθαι - - -
’τίς καλλίκαρπον θύρσον ἀνασείει θεῶν;‘
τὸν φιλητικὸν τοῦτον περὶ παῖδας ἀγαθοὺς καὶ σώφρονας
γυναῖκας ἐνθουσιασμὸν πολὺ δριμύτατον ὄντα καὶ θερμότατον;
ἢ γὰρ οὐχ ὁρᾷς, ὡς ὁ μὲν στρατιώτης τὰ ὅπλα
θεὶς πέπαυται τῆς πολεμικῆς μανίας,
’τοῦ μὲν ἔπειτα
γηθόσυνοι θεράποντες ἀπ´ ὤμων τεύχε´ ἕλοντο‘,
καὶ κάθηται τῶν ἄθλων ἀπόλεμος θεατής, ταυτὶ δὲ
τὰ βακχικὰ καὶ κορυβαντικὰ σκιρτήματα τὸν ῥυθμὸν
μεταβάλλοντες ἐκ τροχαίου καὶ τὸ μέλος ἐκ Φρυγίου
πραΰνουσι καὶ καταπαύουσιν, ὡς δ´ αὔτως ἡ Πυθία
τοῦ τρίποδος ἐκβᾶσα καὶ τοῦ πνεύματος ἐν γαλήνῃ
καὶ ἡσυχίᾳ διατελεῖ;
τὴν δ´ ἐρωτικὴν μανίαν τοῦ ἀνθρώπου καθαψαμένην ἀληθῶς
καὶ διακαύσασαν οὐ μοῦσά τις οὐκ ’ἐπῳδὴ θελκτήριος‘ οὐ τόπου
μεταβολὴ καθίστησιν· ἀλλὰ καὶ παρόντες ἐρῶσι καὶ ἀπόντες
ποθοῦσι καὶ μεθ´ ἡμέραν διώκουσι καὶ νύκτωρ θυραυλοῦσι
καὶ νήφοντες καλοῦσι τοὺς καλοὺς καὶ πίνοντες
ᾄδουσι. καὶ οὐχ ὥς τις εἶπεν αἱ ποιητικαὶ φαντασίαι διὰ
τὴν ἐνάργειαν ἐγρηγορότων ἐνύπνι´ εἰσίν, ἀλλὰ μᾶλλον
αἱ τῶν ἐρώντων, διαλεγομένων ὡς πρὸς παρόντας,
ἀσπαζομένων, ἐγκαλούντων. ἡ γὰρ ὄψις ἔοικε τὰς μὲν
ἄλλας φαντασίας ἐφ´ ὑγροῖς ζωγραφεῖν, ταχὺ μαραινομένας
καὶ ἀπολειπούσας τὴν διάνοιαν· αἱ δὲ τῶν ἐρωμένων
εἰκόνες ὑπ´ αὐτῆς οἷον ἐν ἐγκαύμασι γραφόμεναι διὰ
πυρὸς εἴδωλα ταῖς μνήμαις ἐναπολείπουσι κινούμενα καὶ
ζῶντα καὶ φθεγγόμενα καὶ παραμένοντα τὸν ἄλλον χρόνον.
ὁ μὲν γὰρ Ῥωμαῖος Κάτων ἔλεγε τὴν ψυχὴν τοῦ
ἐρῶντος ἐνδιαιτᾶσθαι τῇ τοῦ ἐρωμένου· οἶμαι δὲ καὶ τὸ εἶδος
καὶ τὸ ἦθος καὶ ὁ βίος καὶ αἱ πράξεις, ὑφ´ ὧν ἀγόμενος
ταχὺ συναιρεῖ πολλὴν ὁδόν, ὥσπερ οἱ Κυνικοὶ λέγουσι
’σύντονον ὁμοῦ καὶ σύντομον εὑρηκέναι πορείαν ἐπ´
ἀρετήν·‘ καὶ γὰρ ἐπὶ τὴν φιλίαν - - - καθάπερ ἐπὶ κύματος
τοῦ πάθους ἅμα θεῷ φερομένη. λέγω δὴ κεφάλαιον, ὡς
οὔτ´ ἀθείαστον ὁ τῶν ἐρώντων ἐνθουσιασμός ἐστιν οὔτ´
ἄλλον ἔχει θεὸν ἐπιστάτην καὶ ἡνίοχον ἢ τοῦτον, ᾧ νῦν
ἑορτάζομεν καὶ θύομεν.’
‘Ὅμως δ´ ἐπεὶ δυνάμει καὶ ὠφελείᾳ μάλιστα θεοῦ - - -
καθότι καὶ τῶν ἀνθρωπίνων ἀγαθῶν δύο ταῦτα, βασιλείαν
καὶ ἀρετήν, θειότατα καὶ νομίζομεν καὶ ὀνομάζομεν, ὥρα
σκοπεῖν πρότερον, εἴ τινι θεῶν ὁ Ἔρως ὑφίεται δυνάμεως.
καίτοι
’μέγα μὲν σθένος ἁ Κύπρις ἐκφέρεται νίκας‘
ὥς φησι καὶ Σοφοκλῆς, μεγάλη δ´ ἡ τοῦ
Ἄρεος ἰσχύς· καὶ τρόπον τινὰ τῶν ἄλλων θεῶν νενεμημένην
δίχα τὴν δύναμιν ἐν τούτοις ὁρῶμεν· ἡ μὲν γὰρ
οἰκειωτικὴ πρὸς τὸ καλὸν ἡ δ´ ἀντιτακτικὴ πρὸς τὸ
αἰσχρὸν ἀρχῆθεν ἐγγέγονε ταῖς ψυχαῖς, ὥς που καὶ
Πλάτων - - - τὰ εἴδη. σκοπῶμεν οὖν εὐθύς, ὅτι τῆς
Ἀφροδίτης τὸ ἔργον ἔρωτος ὤνιόν ἐστι δραχμῆς, καὶ οὔτε
πόνον οὐδεὶς οὔτε κίνδυνον ἀφροδισίων ἕνεκα μὴ ἐρῶν
ὑπέμεινε. καὶ ὅπως ἐνταῦθα μὴ Φρύνην ὀνομάζωμεν,
ὦ ἑταῖρε, Λαΐς τις ἢ Γναθαίνιον
’ἐφέσπερον δαίουσα λαμπτῆρος σέλας‘
ἐκδεχομένη καὶ καλοῦσα παροδεύεται πολλάκις· ’ἐλθὼν
δ´ ἐξαπίνης ἄνεμος‘ σὺν ἔρωτι πολλῷ καὶ πόθῳ ταὐτὸ
τοῦτο τῶν Ταντάλου λεγο | [16] — «Sans doute, répondit ce dernier, le mieux est qu'il
en soit ainsi ; et le sentiment contraire me paraît évidemment
une absurdité.»— "N'en serait-ce pas une aussi, reprit
mon père, si parmi les quatre espèces d'attachements, tels
que les ont déterminés les Anciens, le premier fondé sur
la nature, le second sur la parenté, le troisième sur la camaraderie,
le dernier enfin sur l'amour; si parmi ces attachements,
dis-je, chacun des trois autres était présidé par un
dieu prenant le titre de protecteur des amis, des hôtes, des
parents, des compatriotes, et si l'attachement qui est fondé
sur l'amour restait seul, comme s'il s'agissait d'une chose
impie, sans assistance divine, sans maître, surtout lorsque
rien ne demande une sollicitude, une direction plus éclairée ?»
— «Il est certain, dit Zeuxippe, que ce serait là aussi
une grande inconséquence.»
Il y a plus, continua mon père : ce serait le cas de
rappeler, même en passant, la doctrine de Platon. Il est une
espèce de fureur, qui du corps se communique à l'âme, et
qui, procédant de quelque intempérance, de quelque humeur
maligne ou du mélange de vapeurs funestes et contagieuses,
détermine une maladie aiguë et fort dangereuse.
Mais il y a une autre espèce de fureur qui ne s'engendre
pas sans quelque divinité, attendu qu'elle n'est pas innée en
nous; c'est une inspiration étrangère, un dérangement de
la raison et du bon sens, dérangement dont le principe et
l'action tiennent à la prépondérance d'une force supérieure.
Cette inspiration reçoit en général le nom d'enthousiasme.
Car, comme le mot «inspiration» marque que l'on est plein
d'un esprit étranger, comme le mot «prudence» indique
que l'on est prévoyant; de même cette agitation de l'âme est
appelée "enthousiasme", ce qui veut dire «participation,
association à quelque puissance divine». De cet enthousiasme
il y a une partie qui est divinatrice, et celle-là s'inspire
du transport que communique Apollon. Il y en a une
autre, que j'appellerai Bachique et qui vient de Bacchus.
"Formez un choeur de danse avec les Corybantes,"
dit Sophocle : car pour les fureurs de la Mère des dieux et
pour celles de Pan, leur nature les rapproche des transports
de Bacchus. Une troisième fureur vient des Muses : c'est
celle qui s'emparant d'une âme tendre et vierge, y développe,
y fait éclater l'inspiration poétique et musicale. La
fureur dite martiale et guerrière, tout le monde sait quel
dieu la provoque et la déchaîne :
"Sans harmonie et sans charmes,
Elle n'aime que les larmes,
Ne respire que combats."
Il reste, en fait de délire et d'égarement, mon cher Daphnée,
une variété dernière qui ne manque ni d'éclat ni de
vivacité, et à propos de laquelle je veux, à Pemptidès que
voici, adresser une question :
"Quel dieu balance ce thyrse
Où pendent de si beaux fruits?"
et par ce thyrse, j'entends l'enthousiasme amoureux qui
nous porte vers les garçons honnêtes, vers les femmes pudiques,
enthousiasme en comparaison duquel rien n'est
plus vif et plus ardent.
«Ne voyez-vous pas, en effet, que le soldat, quand il a déposé
ses armes, apaise sa fureur guerrière?
"Ses serviteurs joyeux
Avec empressement détachent son armure";
et il s'assied, spectateur pacifique de la lutte des autres.
Pareillement, les bonds des Bacchantes et des Corybantes
sont calmés et cessent complètement, si l'on change l'ïambe
en trochée, et le mode de Phrygie en mode dorien. Pareillement
encore la Pythie, une fois descendue de ce trépied
d'où s'exhale l'inspiration, reste tout à fait paisible et tranquille.
Mais que la fureur amoureuse s'empare véritablement
d'un homme et le consume, il n'y a ni Muse, ni
charme magique, ni déplacement, qui puissent le maîtriser.
Près de la créature aimée, un tel homme exprime ses transports,
loin d'elle il se livre aux regrets : il la poursuit pendant
le jour, la nuit il reste en plein air à sa porte; à jeun
il implore la beauté qu'il aime, à table il la chante. Comme
quelqu'un l'a dit, les fictions poétiques, en raison de leur
vivacité, sont moins des rêves de gens éveillés que ne le sont
les fantaisies des amoureux. Ceux-ci se figurent voir la personne
qu'ils aiment, ils se figurent qu'ils l'embrassent, qu'ils
se plaignent tendrement d'elle. Pour ce qui est de la vue,
il semble qu'elle peigne, en général, les objets sur un fond
humide d'où ils s'effacent bientôt sans laisser de souvenir
dans la pensée, mais les images dont les amants sont pénétrés
se tracent comme à l'encaustique. De plus elles vivent
dans leur coeur, elles s'y meuvent, elles y parlent,
elles s'y conservent toujours.
«Le Romain Caton disait que «l'âme d'un amoureux vit
dans celle de l'objet aimé". Je crois que sa personne, son
caractère, sa vie, ses actions n'y vivent pas moins. Sous
l'empire d'un pareil entraînement, l'amoureux dévore en un
instant beaucoup d'espace, de la même manière que les
Cyniques prétendent avoir trouvé un chemin direct et
abrégé pour arriver à la vertu. En effet on arrive à la tendresse
et à la vertu par une même voie quand on suit pour
guide l'amour : emporté que l'on est avec le dieu comme
sur des flots par la passion. Pour me résumer, je prétends
qu'il n'y a rien d'étranger à la divinité dans l'enthousiasme
des amoureux, et que le dieu qui détermine et dirige leurs
transports est celui-là même dont nous célébrons aujourd'hui
la fête et à qui nous offrons un sacrifice.
"Toutefois, puisque c'est principalement à la puissance
et à l'utilité que nous mesurons la grandeur d'un dieu, de
même qu'entre les biens humains ce sont ces deux-ci, la
royauté et la vertu, que nous estimons et appelons les plus
divins, il est à propos d'examiner si l'amour le cède en
puissance à aucune des divinités. Sans doute
"Vénus a dans sa force un gage de victoire,"
comme dit Sophocle; grande est la vigueur de Mars; et
nous voyons que des autres dieux le pouvoir se partage,
jusqu'à un certain point, en deux influences, l'une qui nous
rapproche très étroitement du beau, l'autre qui nous rend
antipathiques à ce qui est honteux: dispositions innées l'une
et l'autre dans nos âmes, comme Platon le dit quelque part
des idées. Remarquons avant tout ici, que les plaisirs de la
chair, sans l'amour, peuvent s'acheter pour une drachme,
et qu'en vue de se les procurer nul ne supportera jamais de
fatigues ou de dangers à moins d'être amoureux. Et sans
nommer ici ni les Phryné ni les Laïs, quand une Gnathénium
"Allume sur le soir sa lampe qui scintille"
pour recevoir et appeler les passants, ceux-ci bien souvent
continuent leur route.
"Mais que survienne un vent soudain,"
nous apportant l'amour avec ses violences et ses désirs, il
n'en faudra pas davantage pour que ces mêmes faveurs
aient à nos yeux le prix des fameux trésors et de la puissance
de Tantale. Tant il est vrai qu'il y a faiblesse et dégoût
dans les plaisirs qu'offre Vénus, si l'amour ne les
anime de son souffle!
"Un argument vous en convaincra mieux encore. Bien
des gens ont laissé partager les faveurs amoureuses, non
seulement de leurs maîtresses, mais encore de leurs femmes,
qu'ils étaient les premiers à prostituer. Ainsi, mon cher
ami, un citoyen Romain nommé Cabbas avait, dit-on, un
jour chez lui Mécène à souper. Voyant que ce dernier s'escrimait
à faire des signes à la maîtresse du logis, il pencha
doucement la tête comme s'il dormait. Cependant un de ses
domestiques s'était glissé du dehors vers la table, et volait
le vin ; mais Cabbas l'avait vu : "Coquin, lui dit-il, ne
sais-tu pas que je dors pour Mécène seulement?" Cette
complaisance n'a peut-être rien de singulier, parce que
Cabbas était une sorte de bouffon. Mais citons un autre
fait. Dans Argos, Nicostrate et Phayllus étaient chacun à la
tête d'un parti opposé de la république. Le roi Philippe
eut occasion de venir dans la ville; et l'opinion générale
était que Phayllus, grâce aux attraits de sa femme qui
était d'une grande beauté, ne manquerait pas, en ménageant
à Philippe une rencontre avec elle, de s'assurer la
prépondérance et l'autorité souveraine. Nicostrate le pensa
comme les autres, et il s'en alla faire le guet devant la porte
du logis de Phayllus. Qu'imagina ce dernier? Il chaussa sa
femme de bottines, il lui mit une tunique et un chapeau à
la macédonienne ; et sans que personne le sût, il s'arrangea
de manière à ce qu'elle eût accès auprès du prince, comme
si elle eût été un des pages.
«Au contraire, de cette foule d'amoureux qui ont existé
et qui existent encore en savez-vous un seul qui ait prostitué
à un autre l'objet de ses amours, même quand il se fût
agi d'obtenir les honneurs que reçoit Jupiter? Pour moi, je
ne le pense pas. Car comment cela eût-il été possible? Les
tyrans ne trouvent personne qui leur résiste et qui veuille
leur disputer le pouvoir : mais en amour ils ont beaucoup
de rivaux, et bien souvent on leur a disputé les tendresses
de jeunes et beaux adolescents Vous avez entendu raconter
l'histoire d'Aristogiton l'Athénien, d'Antiléon de Métaponte
et de Mélanippe d'Agrigente. Ils ne songeaient pas à
se soulever contre leurs tyrans, bien que ceux-ci eussent
mis le désordre dans les affaires publiques et se livrassent
à toutes sortes d'excès; mais quand on voulut séduire leurs
mignons, ils résistèrent comme s'il se fût agi d'asiles sacrés
et inviolables, et ils ne gardèrent plus de ménagements. On
dit encore qu'Alexandre écrivit à Théodore, frère de Protée :
«Envoyez-moi votre musicienne, en échange de dix talents,
si vous n'êtes pas amoureux d'elle.» Une autre fois,
comme Antipatridas, un des compagnons de ce même
Alexandre, avait amené avec lui une joueuse de harpe à une
de ses débauches de table, et que cette femme plaisait au
monarque, celui-ci demanda à Antipatridas si par hasard
il en était amoureux, et, sur la réponse affirmative
d'Antipatridas : «Eh bien misérable, dit-il, puisses-tu périr
misérablement!» Mais il s'abstint, et ne toucha pas cette femme.
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