[9,1171] (1171a) Καὶ φίλων δή ἐστι πλῆθος ὡρισμένον, καὶ ἴσως οἱ πλεῖστοι μεθ' ὧν
ἂν δύναιτό τις συζῆν (τοῦτο γὰρ ἐδόκει φιλικώτατον εἶναι)· ὅτι δ' οὐχ οἷόν
τε πολλοῖς συζῆν καὶ διανέμειν ἑαυτόν, οὐκ ἄδηλον. Ἔτι δὲ κἀκείνους δεῖ
ἀλλήλοις φίλους εἶναι, εἰ μέλλουσι πάντες μετ' ἀλλήλων συνημερεύειν· τοῦτο
δ' ἐργῶδες ἐν πολλοῖς ὑπάρχειν. Χαλεπὸν δὲ γίνεται καὶ τὸ συγχαίρειν καὶ
τὸ συναλγεῖν οἰκείως πολλοῖς· εἰκὸς γὰρ συμπίπτειν ἅμα τῷ μὲν συνήδεσθαι
τῷ δὲ συνάχθεσθαι. Ἴσως οὖν εὖ ἔχει μὴ ζητεῖν ὡς πολυφιλώτατον εἶναι, ἀλλὰ
τοσούτους ὅσοι εἰς τὸ συζῆν ἱκανοί· οὐδὲ γὰρ ἐνδέχεσθαι δόξειεν ἂν πολλοῖς
εἶναι φίλον σφόδρα. Διόπερ οὐδ' ἐρᾶν πλειόνων· ὑπερβολὴ γάρ τις εἶναι
βούλεται φιλίας, τοῦτο δὲ πρὸς ἕνα· καὶ τὸ σφόδρα δὴ πρὸς ὀλίγους. Οὕτω δ'
ἔχειν ἔοικε καὶ ἐπὶ τῶν πραγμάτων· οὐ γίνονται γὰρ φίλοι πολλοὶ κατὰ τὴν
ἑταιρικὴν φιλίαν, αἱ δ' ὑμνούμεναι ἐν δυσὶ λέγονται. Οἱ δὲ πολύφιλοι καὶ
πᾶσιν οἰκείως ἐντυγχάνοντες οὐδενὶ δοκοῦσιν εἶναι φίλοι, πλὴν πολιτικῶς,
οὓς καὶ καλοῦσιν ἀρέσκους. Πολιτικῶς μὲν οὖν ἔστι πολλοῖς εἶναι φίλον καὶ
μὴ ἄρεσκον ὄντα, ἀλλ' ὡς ἀληθῶς ἐπιεικῆ· δι' ἀρετὴν δὲ καὶ δι' αὐτοὺς οὐκ
ἔστι πρὸς πολλούς, ἀγαπητὸν δὲ καὶ ὀλίγους εὑρεῖν τοιούτους.
XI. Πότερον δ' ἐν εὐτυχίαις μᾶλλον φίλων δεῖ ἢ ἐν δυστυχίαις; Ἐν ἀμφοῖν
γὰρ ἐπιζητοῦνται· οἵ τε γὰρ ἀτυχοῦντες δέονται ἐπικουρίας, οἵ τ'
εὐτυχοῦντες συμβίων καὶ οὓς εὖ ποιήσουσιν· βούλονται γὰρ εὖ δρᾶν.
Ἀναγκαιότερον μὲν δὴ ἐν ταῖς ἀτυχίαις, διὸ τῶν χρησίμων ἐνταῦθα δεῖ,
κάλλιον δ' ἐν ταῖς εὐτυχίαις, διὸ καὶ τοὺς ἐπιεικεῖς ζητοῦσιν· τούτους γὰρ
αἱρετώτερον εὐεργετεῖν καὶ μετὰ τούτων διάγειν. Ἔστι γὰρ καὶ ἡ παρουσία
αὐτὴ τῶν φίλων ἡδεῖα καὶ ἐν ταῖς εὐτυχίαις καὶ ἐν ταῖς δυστυχίαις.
Κουφίζονται γὰρ οἱ λυπούμενοι συναλγούντων τῶν φίλων. Διὸ κἂν ἀπορήσειέν
τις πότερον ὥσπερ βάρους μεταλαμβάνουσιν, ἢ τοῦτο μὲν οὔ, ἡ παρουσία δ'
αὐτῶν ἡδεῖα οὖσα καὶ ἡ ἔννοια τοῦ συναλγεῖν ἐλάττω τὴν λύπην ποιεῖ. Εἰ μὲν
οὖν διὰ ταῦτα ἢ δι' ἄλλο τι κουφίζονται, ἀφείσθω· συμβαίνειν δ' οὖν
φαίνεται τὸ λεχθέν. Ἔοικε δ' ἡ παρουσία μικτή τις αὐτῶν εἶναι. Αὐτὸ μὲν
γὰρ τὸ ὁρᾶν τοὺς φίλους ἡδύ, (1171b) ἄλλως τε καὶ ἀτυχοῦντι, καὶ γίνεταί
τις ἐπικουρία πρὸς τὸ μὴ λυπεῖσθαι (παραμυθητικὸν γὰρ ὁ φίλος καὶ τῇ ὄψει
καὶ τῷ λόγῳ, ἐὰν ᾖ ἐπιδέξιος· οἶδε γὰρ τὸ ἦθος καὶ ἐφ' οἷς ἥδεται καὶ
λυπεῖται)· τὸ δὲ λυπούμενον αἰσθάνεσθαι ἐπὶ ταῖς αὑτοῦ ἀτυχίαις λυπηρόν·
πᾶς γὰρ φεύγει λύπης αἴτιος εἶναι τοῖς φίλοις. Διόπερ οἱ μὲν ἀνδρώδεις τὴν
φύσιν εὐλαβοῦνται συλλυπεῖν τοὺς φίλους αὑτοῖς, κἂν μὴ ὑπερτείνῃ τῇ
ἀλυπίᾳ, τὴν ἐκείνοις γινομένην λύπην οὐχ ὑπομένει, ὅλως τε συνθρήνους οὐ
προσίεται διὰ τὸ μηδ' αὐτὸς εἶναι θρηνητικός· γύναια δὲ καὶ οἱ τοιοῦτοι
ἄνδρες τοῖς συστένουσι χαίρουσι, καὶ φιλοῦσιν ὡς φίλους καὶ συναλγοῦντας.
Μιμεῖσθαι δ' ἐν ἅπασι δεῖ δῆλον ὅτι τὸν βελτίω. Ἡ δ' ἐν ταῖς εὐτυχίαις τῶν
φίλων παρουσία τήν τε διαγωγὴν ἡδεῖαν ἔχει καὶ τὴν ἔννοιαν ὅτι ἥδονται ἐπὶ
τοῖς αὑτοῦ ἀγαθοῖσ.. Διὸ δόξειεν ἂν δεῖν εἰς μὲν τὰς εὐτυχίας καλεῖν τοὺς
φίλους προθύμως (εὐεργετικὸν γὰρ εἶναι καλόν), εἰς δὲ τὰς ἀτυχίας
ὀκνοῦντα· μεταδιδόναι γὰρ ὡς ἥκιστα δεῖ τῶν κακῶν, ὅθεν τὸ ἅλις ἐγὼ
δυστυχῶν. Μάλιστα δὲ παρακλητέον ὅταν μέλλωσιν ὀλίγα ὀχληθέντες μεγάλ'
αὐτὸν ὠφελήσειν. Ἰέναι δ' ἀνάπαλιν ἴσως ἁρμόζει πρὸς μὲν τοὺς ἀτυχοῦντας
ἄκλητον καὶ προθύμως (φίλου γὰρ εὖ ποιεῖν, καὶ μάλιστα τοὺς ἐν χρείᾳ καὶ
τὸ μὴ ἀξιώσαντας· ἀμφοῖν γὰρ κάλλιον καὶ ἥδιον), εἰς δὲ τὰς εὐτυχίας
συνεργοῦντα μὲν προθύμως (καὶ γὰρ εἰς ταῦτα χρεία φίλων), πρὸς εὐπάθειαν
δὲ σχολαίως· οὐ γὰρ καλὸν τὸ προθυμεῖσθαι ὠφελεῖσθαι. Δόξαν δ' ἀηδίας ἐν
τῷ διωθεῖσθαι ἴσως εὐλαβητέον· ἐνίοτε γὰρ συμβαίνει. Ἡ παρουσία δὴ τῶν
φίλων ἐν ἅπασιν αἱρετὴ φαίνεται.
XII. Ἆρ' οὖν, ὥσπερ τοῖς ἐρῶσι τὸ ὁρᾶν ἀγαπητότατόν ἐστι καὶ μᾶλλον
αἱροῦνται ταύτην τὴν αἴσθησιν ἢ τὰς λοιπὰς ὡς κατὰ ταύτην μάλιστα τοῦ
ἔρωτος ὄντος καὶ γινομένου, οὕτω καὶ τοῖς φίλοις αἱρετώτατόν ἐστι τὸ
συζῆν; Κοινωνία γὰρ ἡ φιλία, καὶ ὡς πρὸς ἑαυτὸν ἔχει, οὕτω καὶ πρὸς τὸν
φίλον· περὶ αὑτὸν δ' ἡ αἴσθησις ὅτι ἔστιν αἱρετή, καὶ περὶ τὸν φίλον δή· ἡ
δ' ἐνέργεια γίνεται αὐτῆς ἐν τῷ συζῆν,
| [9,1171] (1171a) De même, en fait d'amis, il y a une limite qu'il ne faut pas
excéder, et peut-être est-ce le plus grand nombre de ceux avec qui l'on
peut vivre dans un commerce habituel: car c'est là ce qui nous a semblé
plus propre à entretenir ce sentiment. Or, il est facile de voir qu'on ne
saurait vivre ainsi avec beaucoup de personnes, et se partager, pour ainsi
dire, entre elles. D'un autre côté, l'on voit facilement que, pour
qu'elles puissent passer ainsi leur vie dans une union intime, il faut
qu'elles puissent aussi s'aimer les unes les autres, condition qui se
trouve difficilement dans un grand nombre de personnes. Il est même
difficile qu'on puisse s'associer aux plaisirs et aux peines de beaucoup
de gens: puisqu'alors il faudra probablement se réjouir avec l'un , dans
le même temps qu'on devra s'affliger avec l'autre. Peut-être donc vaut-il
mieux ne pas chercher à avoir le plus grand nombre d'amis; mais n'en
désirer qu'autant qu'il est possible d'en avoir, quand on vit
habituellement ensemble. Il semble, en effet, qu'on ne peut guère avoir un
attachement bien vif pour un grand nombre de personnes ; et c'est pour
cela que l'amour ne saurait exister entre plus de deux; car cette passion
est l'amitié même, portée au plus haut degré d'énergie, et, par
conséquent, ne peut avoir qu'un objet unique: d'où il suit qu'on ne peut
avoir une affection très vive que pour un petit nombre de personnes.
Les faits eux-mêmes viennent à l'appui de cette observation : car il n'y a
jamais d'amitié entière et parfaite entre plusieurs individus, et celles
qui ont eu le plus de célébrité dans le monde, n'ont existé, comme on sait,
qu'entre deux personnes ; au lieu que ceux qui ont de nombreux
amis, et qui font à tout le monde un accueil amical et familier, passent
pour n'être amis de personne ; on les appelle affables, complaisants,
quand cette manière d'être est en eux l'effet d'un caractère sociable.
Cependant, on peut, par le seul effet de ce caractère, avoir de nombreux
amis, sans être proprement officieux ou complaisant, mais parce qu'on est
réellement homme de bien. Au reste, il n'y a pas beaucoup de personnes
qu'on puisse aimer pour elles-mêmes, et à cause de leur vertu ; mais on
doit s'estimer heureux de rencontrer quelques amis de cette espèce.
XI. Mais a-ton plus besoin d'amis dans la prospérité que dans l'adversité ?
On en cherche au moins dans l'une et l'autre situation; car les
infortunés ont besoin d'assistance, et les gens heureux ont besoin de
trouver des personnes avec qui ils puissent vivre, et à qui ils puissent
faire du bien, ce qui est en eux un désir général. Il est donc plus
nécessaire d'avoir des amis dans l'infortune : aussi est-ce alors qu'on a
besoin de ceux qui sont utiles; mais il est plus beau d'en avoir dans la
prospérité, et c'est pour cela qu'on en recherche qui soient vertueux :
car c'est à ceux-là qu'on doit préférer de faire du bien, et c'est avec
eux qu'il est doux de vivre. En effet, la seule présence des amis est un
charme, aussi bien dans la bonne que dans la mauvaise fortune : car ils
allègent nos chagrins, en les partageant; et c'est pour cela qu'on ne
saurait dire si c'est comme un fardeau dont ils nous allègent, en le
supportant en partie avec nous, ou bien, si le plaisir que nous fait leur
présence, et la pensée qu'ils s'affligent avec nous, rendent nos peines
moins vives. Nous ne chercherons point, quant à présent, à expliquer la
cause du soulagement qu'on éprouve en pareil cas, et s'il y en a quelque
autre que celles que nous venons d'indiquer : toujours l'effet que
nous avons dit semble-t-il avoir ordinairement lieu. La présence d'un ami
paraît même réunir en soi ces causes diverses; sa seule vue a d'abord
quelque chose de doux, (1171b) surtout pour l'infortuné; elle est, en
quelque manière, une assistance contre l'affliction : car un ami, pour peu
qu'il ait d'adresse et de délicatesse, trouve l'art de consoler par son
seul aspect et par ses discours, ayant la connaissance du caractère de
celui qui souffre et de ce qui est propre à lui causer du plaisir ou de la
peine.
Cependant, on s'afflige de sentir que nos malheurs puissent attrister ceux
qu'on aime; car il n'est personne qui n'évite d'être une cause
d'affliction pour ses amis. Voilà pourquoi les hommes qui ont
naturellement un caractère ferme et courageux, craignent de voir leurs
amis s'affliger avec eux; et, à moins qu'on ne soit d'une insensibilité
peu ordinaire, on ne supporte pas l'idée de la peine qu'on peut leur
faire. En général, l'homme courageux, peu disposé à s'abandonner lui-même
aux plaintes et aux gémissements, a de l'éloignement pour ceux qui sont
toujours prêts à pleurer sur les malheurs des autres; au lieu que les
femmelettes, et les hommes qui leur ressemblent, sont flattés qu'on
gémisse avec eux, et ne regardent comme amis que ceux qui souffrent de
leurs douleurs. Or, en tout genre, ce sont toujours les meilleurs modèles
qu'il faut suivre.
La prospérité fait que l'on trouve beaucoup de charme dans la présence,
dans le commerce habituel de ceux qu'on aime, et aussi dans la pensée
qu'ils sont heureux du bonheur dont on jouit. Par cette raison, on doit
naturellement s'empresser à les appeler auprès de soi, lorsqu'il arrive
quelque événement heureux; car il est beau de se plaire à faire du bien
aux autres. Dans l'infortune, au contraire, on ne doit consentir qu'avec
peine à voir ses amis; car il faut, le moins qu'on peut, leur faire
partager sa souffrance. C'est pour cela qu'un poète a dit : « C'est bien
assez que je sois malheureux... ». Mais il faut surtout les appeler
lorsqu'ils peuvent, sans prendre beaucoup de peine, nous être d'une grande
utilité. D'un autre côté, peut-être aussi doit-on s'empresser de
rechercher un ami dans l'infortune, sans attendre qu'il vous appelle; car
le devoir de l'amitié est de faire du bien, surtout à celui qui est dans
la détresse, et qui n'a pas exigé d'assistance : c'est des deux parts un
procédé plus touchant et plus honorable. Il faut se porter avec ardeur à
seconder la bonne fortune de ses amis, parce qu'ils peuvent même avoir
besoin d'assistance en pareil cas : mais on doit marquer peu
d'empressement à en recevoir des services; car rien ne fait moins
d'honneur que de s'occuper sans cesse de son intérêt personnel. Au reste,
peut-être faut-il prendre garde de déplaire à ses amis, en s'obstinant à
refuser leurs services, comme il arrive quelquefois. Dans tous les cas
donc, la présence des amis paraît une chose précieuse et désirable.
XII. Mais de même que ce qui charme le plus c'est de contempler la
personne qu'on aime, et comme il n'y a aucune sensation qu'on préfère à
celle-là, (puisque c'est celle qui donne naissance à cette passion et qui
l'entretient,) en est-il ainsi de l'amitié? Vivre avec ses amis est-il, en
effet, ce qu'il y a de plus désirable, puisque l'amitié est un commerce
assidu, et qu'on a ordinairement pour un ami les mêmes sentiments qu'on a
pour soi-même? Or, ce qu'on aime en soi, c'est le sentiment de
l'existence, et, par conséquent, c'est aussi ce qu'on aime dans son ami ;
mais l'activité de ce sentiment s'exerce principalement dans un commerce
assidu
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