[9,1170] (1170a) (ἄμφω γὰρ ἔχουσι τὰ τῇ φύσει ἡδέα)·
ὁ μακάριος δὴ φίλων τοιούτων δεήσεται, εἴπερ θεωρεῖν προαιρεῖται πράξεις
ἐπιεικεῖς καὶ οἰκείας, τοιαῦται δ' αἱ τοῦ ἀγαθοῦ φίλου ὄντος.
Οἴονταί τε δεῖν ἡδέως ζῆν τὸν εὐδαίμονα. Μονώτῃ μὲν οὖν χαλεπὸς ὁ βίος· οὐ
γὰρ ῥᾴδιον καθ' αὑτὸν ἐνεργεῖν συνεχῶς, μεθ' ἑτέρων δὲ καὶ πρὸς ἄλλους
ῥᾷον. Ἔσται οὖν ἡ ἐνέργεια συνεχεστέρα, ἡδεῖα οὖσα καθ' αὑτήν, ὃ δεῖ περὶ
τὸν μακάριον εἶναι· ὁ γὰρ σπουδαῖος, ᾗ σπουδαῖος, ταῖς κατ' ἀρετὴν πράξεσι
χαίρει, ταῖς δ' ἀπὸ κακίας δυσχεραίνει, καθάπερ ὁ μουσικὸς τοῖς καλοῖς
μέλεσιν ἥδεται, ἐπὶ δὲ τοῖς φαύλοις λυπεῖται. Γίνοιτο δ' ἂν καὶ ἄσκησίς
τις τῆς ἀρετῆς ἐκ τοῦ συζῆν τοῖς ἀγαθοῖς, καθάπερ καὶ Θέογνίς φησιν.
Φυσικώτερον δ' ἐπισκοποῦσιν ἔοικεν ὁ σπουδαῖος φίλος τῷ σπουδαίῳ τῇ φύσει
αἱρετὸς εἶναι. Τὸ γὰρ τῇ φύσει ἀγαθὸν εἴρηται ὅτι τῷ σπουδαίῳ ἀγαθὸν καὶ
ἡδύ ἐστι καθ' αὑτό.
Τὸ δὲ ζῆν ὁρίζονται τοῖς ζῴοις δυνάμει αἰσθήσεως, ἀνθρώποις δ' αἰσθήσεως ἢ
νοήσεως· ἡ δὲ δύναμις εἰς τὴν ἐνέργειαν ἀνάγεται, τὸ δὲ κύριον ἐν τῇ
ἐνεργείᾳ· ἔοικε δὴ τὸ ζῆν εἶναι κυρίως τὸ αἰσθάνεσθαι ἢ νοεῖν. Τὸ δὲ ζῆν
τῶν καθ' αὑτὸ ἀγαθῶν καὶ ἡδέων· ὡρισμένον γάρ, τὸ δ' ὡρισμένον τῆς τἀγαθοῦ
φύσεως· τὸ δὲ τῇ φύσει ἀγαθὸν καὶ τῷ ἐπιεικεῖ· διόπερ ἔοικε πᾶσιν ἡδὺ
εἶναι· οὐ δεῖ δὲ λαμβάνειν μοχθηρὰν ζωὴν καὶ διεφθαρμένην, οὐδ' ἐν λύπαις·
ἀόριστος γὰρ ἡ τοιαύτη, καθάπερ τὰ ὑπάρχοντα αὐτῇ. Ἐν τοῖς ἐχομένοις δὲ
περὶ τῆς λύπης ἔσται φανερώτερον. Εἰ δ' αὐτὸ τὸ ζῆν ἀγαθὸν καὶ ἡδύ (ἔοικε
δὲ καὶ ἐκ τοῦ πάντας ὀρέγεσθαι αὐτοῦ, καὶ μάλιστα τοὺς ἐπιεικεῖς καὶ
μακαρίους· τούτοις γὰρ ὁ βίος αἱρετώτατος, καὶ ἡ τούτων μακαριωτάτη ζωή),
ὁ δ' ὁρῶν ὅτι ὁρᾷ αἰσθάνεται καὶ ὁ ἀκούων ὅτι ἀκούει καὶ ὁ βαδίζων ὅτι
βαδίζει, καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων ὁμοίως ἔστι τι τὸ αἰσθανόμενον ὅτι ἐνεργοῦμεν,
ὥστε ἂν αἰσθανώμεθ', ὅτι αἰσθανόμεθα, κἂν νοῶμεν, ὅτι νοοῦμεν, τὸ δ' ὅτι
αἰσθανόμεθα ἢ νοοῦμεν, ὅτι ἐσμέν (τὸ γὰρ εἶναι ἦν αἰσθάνεσθαι ἢ νοεῖν),
(1170b) τὸ δ' αἰσθάνεσθαι ὅτι ζῇ, τῶν ἡδέων καθ' αὑτό (φύσει γὰρ ἀγαθὸν
ζωή, τὸ δ' ἀγαθὸν ὑπάρχον ἐν ἑαυτῷ αἰσθάνεσθαι ἡδύ), αἱρετὸν δὲ τὸ ζῆν καὶ
μάλιστα τοῖς ἀγαθοῖς, ὅτι τὸ εἶναι ἀγαθόν ἐστιν αὐτοῖς καὶ ἡδύ
(συναισθανόμενοι γὰρ τοῦ καθ' αὑτὸ ἀγαθοῦ ἥδονται), ὡς δὲ πρὸς ἑαυτὸν ἔχει
ὁ σπουδαῖος, καὶ πρὸς τὸν φίλον (ἕτερος γὰρ αὐτὸς ὁ φίλος ἐστίν)· καθάπερ
οὖν τὸ αὐτὸν εἶναι αἱρετόν ἐστιν ἑκάστῳ, οὕτω καὶ τὸ τὸν φίλον, ἢ
παραπλησίως. Τὸ δ' εἶναι ἦν αἱρετὸν διὰ τὸ αἰσθάνεσθαι αὑτοῦ ἀγαθοῦ ὄντος,
ἡ δὲ τοιαύτη αἴσθησις ἡδεῖα καθ' ἑαυτήν. Συναισθάνεσθαι ἄρα δεῖ καὶ τοῦ
φίλου ὅτι ἔστιν, τοῦτο δὲ γίνοιτ' ἂν ἐν τῷ συζῆν καὶ κοινωνεῖν λόγων καὶ
διανοίας· οὕτω γὰρ ἂν δόξειε τὸ συζῆν ἐπὶ τῶν ἀνθρώπων λέγεσθαι, καὶ οὐχ
ὥσπερ ἐπὶ τῶν βοσκημάτων τὸ ἐν τῷ αὐτῷ νέμεσθαι. Εἰ δὴ τῷ μακαρίῳ τὸ εἶναι
αἱρετόν ἐστι καθ' αὑτό, ἀγαθὸν τῇ φύσει ὂν καὶ ἡδύ, παραπλήσιον δὲ καὶ τὸ
τοῦ φίλου ἐστίν, κἂν ὁ φίλος τῶν αἱρετῶν εἴη. Ὃ δ' ἐστὶν αὐτῷ αἱρετόν,
τοῦτο δεῖ ὑπάρχειν αὐτῷ, ἢ ταύτῃ ἐνδεὴς ἔσται. Δεήσει ἄρα τῷ
εὐδαιμονήσοντι φίλων σπουδαίων.
X. Ἆρ' οὖν ὡς πλείστους φίλους ποιητέον, ἢ καθάπερ ἐπὶ τῆς ξενίας ἐμμελῶς
εἰρῆσθαι δοκεῖ μήτε πολύξεινος μήτ' ἄξεινος, καὶ ἐπὶ τῆς φιλίας ἁρμόσει
μήτ' ἄφιλον εἶναι μήτ' αὖ πολύφιλον καθ' ὑπερβολήν; Τοῖς μὲν δὴ πρὸς
χρῆσιν κἂν πάνυ δόξειεν ἁρμόζειν τὸ λεχθέν· πολλοῖς γὰρ ἀνθυπηρετεῖν
ἐπίπονον, καὶ οὐχ ἱκανὸς ὁ βίος αὐτὸ τοῦτο πράττειν. Οἱ πλείους δὴ τῶν
πρὸς τὸν οἰκεῖον βίον ἱκανῶν περίεργοι καὶ ἐμπόδιοι πρὸς τὸ καλῶς ζῆν·
οὐθὲν οὖν δεῖ αὐτῶν. Καὶ οἱ πρὸς ἡδονὴν δὲ ἀρκοῦσιν ὀλίγοι, καθάπερ ἐν τῇ
τροφῇ τὸ ἥδυσμα. Τοὺς δὲ σπουδαίους πότερον πλείστους κατ' ἀριθμόν, ἢ ἔστι
τι μέτρον καὶ φιλικοῦ πλήθους, ὥσπερ πόλεως; Οὔτε γὰρ ἐκ δέκα ἀνθρώπων
γένοιτ' ἂν πόλις, οὔτ' ἐκ δέκα μυριάδων ἔτι πόλις ἐστίν. Τὸ δὲ ποσὸν οὐκ
ἔστιν ἴσως ἕν τι, ἀλλὰ πᾶν τὸ μεταξὺ τινῶν ὡρισμένων.
| [9,1170] (1170a) puisqu'alors les deux amis jouissent de la satisfaction
la plus naturelle. Ce seront donc de tels amis qui seront nécessaires à
celui qui est parfaitement heureux, s'il se plaît surtout â contempler des
actions vertueuses, et qui lui soient propres, car tel sera le caractère
de celles que fera un ami vertueux.
D'un autre côté, on est persuadé que la vie de l'homme heureux doit être
pleine de satisfaction; or, l'isolement absolu est la source de bien des
peines: car il n'est pas facile d'être, par soi-même, dans une continuelle
activité, au lieu que cela est plus facile quand on s'associe à quelques
autres personnes, et qu'on agit pour les autres. L'activité, qui a déjà
des charmes par elle-même, sera donc plus continue, comme elle doit l'être
pour le parfait bonheur. Car l'homme de bien, par cela seul qu'il est
vertueux, se plait aux actes conformes à la vertu, et s'indigne de celui
qui y sont contraires : comme le musicien trouve du plaisir à entendre une
belle mélodie, et souffre une peine réelle, quand il en entend une
mauvaise. D'ailleurs, vivre avec des gens vertueux est une occasion de
s'exercer à la vertu, comme dit Théognis; et, à considérer la chose
sous le point de vue le plus naturel, il semble que l'honnête homme est
naturellement celui que préfère un homme également vertueux. Car ce qui
est bon par sa nature est, comme on l'a déjà dit, bon à l'homme
vertueux, et est agréable par soi-même.
D'un autre côté, la faculté de sentir constitue à elle seule la vie des
animaux, au lieu que celle des hommes se compose du sentiment et de la
pensée: or, la faculté se réduit en actes; l'activité est donc essentielle
(à l'homme), et par conséquent (pour lui) vivre, c'est sentir ou penser.
Enfin, vivre est bon et agréable en soi; car c'est quelque chose de fini:
or, le nombre fini est le symbole de la nature du bien ; mais ce qui est
bon par sa nature, l'est nécessairement pour l'homme de bien, d'où il suit
qu'il doit l'être aussi à tous les hommes. Mais il n'y faut pas comprendre
ceux qui sont vicieux et corrompus, ou accablés de peines et
d'afflictions: car ce serait quelque chose d'infini, comme (le vice,
la corruption, et la peine elle-même) qui se trouvent dans une pareille
vie, ainsi qu'on le fera bientôt voir plus clairement, en parlant (des plaisirs
et) des peines.
Au reste, si la vie est un bien, elle doit être, par cela même, une chose
agréable. C'est ce qu'on voit par le charme qu'y trouvent tous les hommes,
et surtout ceux qui sont vertueux et heureux : car ce sont eux qui
attachent le plus de prix à la vie, et à qui elle offre la félicité la
plus accomplie. Cependant, tout homme qui voit, ou entend, ou marche, sent
qu'il voit, qu'il entend, qu'il marche; il en est ainsi de toutes les
autres actions ; il y a en nous quelque chose qui sent que nous agissons.
Nous pouvons donc sentir que nous sentons, et penser que nous pensons; or,
sentir que l'on sent et qu'on pense, c'est être; car être, c'est sentir ou
penser. (1170b) Mais sentir que l'on vit, est en soi une chose agréable,
puisque, par sa nature, la vie est un bien. C'est aussi une chose agréable
que de sentir le bien que l'on possède en soi-même. Vivre est donc une
chose désirable, surtout pour les hommes vertueux, parce que c'est pour
eux un bien et une jouissance que d'être, et parce que la conscience
qu'ils ont de posséder ce qui est un bien en soi, les comble de joie.
L'homme vertueux est à l'égard de son ami, dans la même disposition où il
est par rapport à lui-même : car un ami est un autre nous-mêmes. Autant
donc que chacun souhaite d'exister, autant, ou peu s'en faut, il souhaite
que son ami existe. Mais on ne désire d'être qu'autant que l'on se sent
vertueux, et un pareil sentiment est par lui-même rempli de charmes ; il
faut donc aussi sentir que notre ami existe, ce qui ne peut avoir lieu,
qu'autant qu'on vit avec lui, qu'on est avec lui en commerce de paroles et
de pensées ; car c'est là ce qui s'appelle, pour les hommes, vivre
ensemble, et non pas comme pour les animaux, pour qui c'est seulement
paître dans le même lieu. Si donc l'existence est désirable en soi, pour
l'homme au comble de la félicité, attendu que naturellement la vie est un
bien et une jouissance, l'existence d'un ami est à peu près au même degré
désirable, et l'ami sera au nombre des choses qu'on doit souhaiter. Mais
ce qu'on doit souhaiter pour soi-même, il faut qu'on le possède;
autrement, le bonheur sera incomplet en ce point. Donc, pour qu'un homme
puisse jouir d'uni félicité parfaite, il faudra qu'il ait des amis vertueux.
X. Mais faut-il s'attacher le plus grand nombre possible d'amis ? Ou
bien, peut-on appliquer aussi à l'amitié, ce qui a été dit par un poète,
des liaisons d'hospitalité : « N'en point avoir beaucoup, n'en être pas
entièrement dépourvu, » et dira-t-on pareillement cela des amis ?
C'est sans doute aux amitiés fondées sur l'utilité, que ce qu'on vient de
dire paraît plus applicable. Car rendre service pour service à un grand
nombre de personnes, est une tâche très pénible, et la vie toute entière
n'y suffirait pas. Par conséquent, les amis de cette espèce, au-delà du
nombre qu'exigent les circonstances particulières où l'on se trouve, sont
une superfluité embarrassante, et un véritable obstacle au bonheur et à
l'agrément de la vie. Il ne faut donc pas (beaucoup) de ceux-là ; et quant
à ceux qui ne peuvent servir qu'au plaisir, il en faut bien peu, comme il
faut peu d'assaisonnement dans les aliments.
Mais, des amis vertueux, faut-il s'efforcer d'en avoir le plus grand
nombre possible, ou bien y a-t-il, en ce genre, une limite qu'on ne doive
pas dépasser, comme il y en a une pour le nombre des citoyens d'une
république ? Car dix hommes ne font pas une cité, et dix myriades n'en
font plus une. Toutefois, ce n'est peut-être pas un nombre précis, mais
seulement renfermé entre des limites déterminées.
|