[9,1168] (1168a) μάλιστα δ'
ἴσως τοῦτο περὶ τοὺς ποιητὰς συμβαίνει· ὑπεραγαπῶσι γὰρ οὗτοι τὰ οἰκεῖα
ποιήματα, στέργοντες ὥσπερ τέκνα. Τοιούτῳ δὴ ἔοικε καὶ τὸ τῶν εὐεργετῶν·
τὸ γὰρ εὖ πεπονθὸς ἔργον ἐστὶν αὐτῶν· τοῦτο δὴ ἀγαπῶσι μᾶλλον ἢ τὸ ἔργον
τὸν ποιήσαντα. Τούτου δ' αἴτιον ὅτι τὸ εἶναι πᾶσιν αἱρετὸν καὶ φιλητόν,
ἐσμὲν δ' ἐνεργείᾳ ᾳτῷ ζῆν γὰρ καὶ πράττεινν, ἐνεργείᾳ δὲ ὁ ποιήσας τὸ
ἔργον ἔστι πως· στέργει δὴ τὸ ἔργον, διότι καὶ τὸ εἶναι. Τοῦτο δὲ φυσικόν·
ὃ γάρ ἐστι δυνάμει, τοῦτο ἐνεργείᾳ τὸ ἔργον μηνύει. Ἅμα δὲ καὶ τῷ μὲν
εὐεργέτῃ καλὸν τὸ κατὰ τὴν πρᾶξιν, ὥστε χαίρειν ἐν ᾧ τοῦτο, τῷ δὲ παθόντι
οὐδὲν καλὸν ἐν τῷ δράσαντι, ἀλλ' εἴπερ, συμφέρον· τοῦτο δ' ἧττον ἡδὺ καὶ
φιλητόν. Ἡδεῖα δ' ἐστὶ τοῦ μὲν παρόντος ἡ ἐνέργεια, τοῦ δὲ μέλλοντος ἡ
ἐλπίς, τοῦ δὲ γεγενημένου ἡ μνήμη· ἥδιστον δὲ τὸ κατὰ τὴν ἐνέργειαν, καὶ
φιλητὸν ὁμοίως. Τῷ μὲν οὖν πεποιηκότι μένει τὸ ἔργον ντὸ καλὸν γὰρ
πολυχρόνιονν, τῷ δὲ παθόντι τὸ χρήσιμον παροίχεται. Ἥ τε μνήμη τῶν μὲν
καλῶν ἡδεῖα, τῶν δὲ χρησίμων οὐ πάνυ ἢ ἧττον· ἡ προσδοκία δ' ἀνάπαλιν
ἔχειν ἔοικεν. Καὶ ἡ μὲν φίλησις ποιήσει ἔοικεν, τὸ φιλεῖσθαι δὲ τῷ
πάσχειν· τοῖς ὑπερέχουσι δὲ περὶ τὴν πρᾶξιν ἕπεται τὸ φιλεῖν καὶ τὰ
φιλικά. Ἔτι δὲ τὰ ἐπιπόνως γενόμενα πάντες μᾶλλον στέργουσιν, οἷον καὶ τὰ
χρήματα οἱ κτησάμενοι τῶν παραλαβόντων· δοκεῖ δὲ τὸ μὲν εὖ πάσχειν ἄπονον
εἶναι, τὸ δ' εὖ ποιεῖν ἐργῶδες. Διὰ ταῦτα δὲ καὶ αἱ μητέρες
φιλοτεκνότεραι· ἐπιπονωτέρα γὰρ ἡ γέννησις, καὶ μᾶλλον ἴσασιν ὅτι αὑτῶν.
Δόξειε δ' ἂν τοῦτο καὶ τοῖς εὐεργέταις οἰκεῖον εἶναι.
VIII. Ἀπορεῖται δὲ καὶ πότερον δεῖ φιλεῖν ἑαυτὸν μάλιστα ἢ ἄλλον τινά.
Ἐπιτιμῶσι γὰρ τοῖς ἑαυτοὺς μάλιστ' ἀγαπῶσι, καὶ ὡς ἐν αἰσχρῷ φιλαύτους
ἀποκαλοῦσι, δοκεῖ τε ὁ μὲν φαῦλος ἑαυτοῦ χάριν πάντα πράττειν, καὶ ὅσῳ ἂν
μοχθηρότερος ᾖ, τοσούτῳ μᾶλλονἐγκαλοῦσι δὴ αὐτῷ οἷον ὅτι οὐδὲν ἀφ' ἑαυτοῦ
πράττειὁ δ' ἐπιεικὴς διὰ τὸ καλόν, καὶ ὅσῳ ἂν βελτίων ᾖ, μᾶλλον διὰ τὸ
καλόν, καὶ φίλου ἕνεκα, τὸ δ' αὑτοῦ παρίησιν. Τοῖς λόγοις δὲ τούτοις τὰ
ἔργα διαφωνεῖ, οὐκ ἀλόγως. (1168b) Φασὶ γὰρ δεῖν φιλεῖν μάλιστα τὸν
μάλιστα φίλον, φίλος δὲ μάλιστα ὁ βουλόμενος ᾧ βούλεται τἀγαθὰ ἐκείνου
ἕνεκα, καὶ εἰ μηδεὶς εἴσεται· ταῦτα δ' ὑπάρχει μάλιστ' αὐτῷ πρὸς αὑτόν,
καὶ τὰ λοιπὰ δὴ πάνθ' οἷς ὁ φίλος ὁρίζεται· εἴρηται γὰρ ὅτι ἀπ' αὐτοῦ
πάντα τὰ φιλικὰ καὶ πρὸς τοὺς ἄλλους διήκει. Καὶ αἱ παροιμίαι δὲ πᾶσαι
ὁμογνωμονοῦσιν, οἷον τὸ μία ψυχή καὶ κοινὰ τὰ φίλων καὶ ἰσότης φιλότης καὶ
γόνυ κνήμης ἔγγιον· πάντα γὰρ ταῦτα πρὸς αὑτὸν μάλιστ' ἂν ὑπάρχοι· μάλιστα
γὰρ φίλος αὑτῷ· καὶ φιλητέον δὴ μάλισθ' ἑαυτόν. Ἀπορεῖται δὴ εἰκότως
ποτέροις χρεὼν ἕπεσθαι, ἀμφοῖν ἐχόντοιν τὸ πιστόν. Ἴσως οὖν τοὺς τοιούτους
δεῖ τῶν λόγων διαιρεῖν καὶ διορίζειν ἐφ' ὅσον ἑκάτεροι καὶ πῇ ἀληθεύουσιν.
Εἰ δὴ λάβοιμεν τὸ φίλαυτον πῶς ἑκάτεροι λέγουσιν, τάχ' ἂν γένοιτο δῆλον.
Οἱ μὲν οὖν εἰς ὄνειδος ἄγοντες αὐτὸ φιλαύτους καλοῦσι τοὺς ἑαυτοῖς
ἀπονέμοντας τὸ πλεῖον ἐν χρήμασι καὶ τιμαῖς καὶ ἡδοναῖς ταῖς σωματικαῖς·
τούτων γὰρ οἱ πολλοὶ ὀρέγονται, καὶ ἐσπουδάκασι περὶ αὐτὰ ὡς ἄριστα ὄντα,
διὸ καὶ περιμάχητά ἐστιν. Οἱ δὴ περὶ ταῦτα πλεονέκται χαρίζονται ταῖς
ἐπιθυμίαις καὶ ὅλως τοῖς πάθεσι καὶ τῷ ἀλόγῳ τῆς ψυχῆς· τοιοῦτοι δ' εἰσὶν
οἱ πολλοί· διὸ καὶ ἡ προσηγορία γεγένηται ἀπὸ τοῦ πολλοῦ φαύλου ὄντος·
δικαίως δὴ τοῖς οὕτω φιλαύτοις ὀνειδίζεται. Ὅτι δὲ τοὺς τὰ τοιαῦθ' αὑτοῖς
ἀπονέμοντας εἰώθασι λέγειν οἱ πολλοὶ φιλαύτους, οὐκ ἄδηλον· εἰ γάρ τις ἀεὶ
σπουδάζοι τὰ δίκαια πράττειν αὐτὸς μάλιστα πάντων ἢ τὰ σώφρονα ἢ ὁποιαοῦν
ἄλλα τῶν κατὰ τὰς ἀρετάς, καὶ ὅλως ἀεὶ τὸ καλὸν ἑαυτῷ περιποιοῖτο, οὐδεὶς
ἐρεῖ τοῦτον φίλαυτον οὐδὲ ψέξει. Δόξειε δ' ἂν ὁ τοιοῦτος μᾶλλον εἶναι
φίλαυτος· ἀπονέμει γοῦν ἑαυτῷ τὰ κάλλιστα καὶ μάλιστ' ἀγαθά, καὶ χαρίζεται
ἑαυτοῦ τῷ κυριωτάτῳ, καὶ πάντα τούτῳ πείθεται· ὥσπερ δὲ καὶ πόλις τὸ
κυριώτατον μάλιστ' εἶναι δοκεῖ καὶ πᾶν ἄλλο σύστημα, οὕτω καὶ ἄνθρωπος·
καὶ φίλαυτος δὴ μάλιστα ὁ τοῦτο ἀγαπῶν καὶ τούτῳ χαριζόμενος. Καὶ ἐγκρατὴς
δὲ καὶ ἀκρατὴς λέγεται τῷ κρατεῖν τὸν νοῦν ἢ μή, ὡς τούτου ἑκάστου ὄντος·
| [9,1168] (1168a) C'est peut-être chez les poètes que cela se
remarque plus particulièrement; car ils ont communément pour leurs poèmes
la tendresse passionnée qu'un père a pour ses enfants. Or, c'est à
peu près là le cas des bienfaiteurs; car l'obligé est, pour ainsi dire,
leur ouvrage, et ils le chérissent plus que l'ouvrage ne chérit celui à
qui il doit l'existence.
La cause de cela, c'est que l'existence est ce qu'on aime, ce qu'on
préfère à tout : or, nous existons surtout par l'exercice de notre
activité, c'est-à-dire, par la vie et par l'action. Celui qui a produit
une œuvre existe donc, en quelque manière, par l'exercice de son activité
: aussi aime-t-il son ouvrage par la même raison qui lui fait aimer
l'existence. C'est là l'impulsion de la nature : car ce qui existe en
puissance, l'œuvre le manifeste, ou l'exprime, par le développement de
l'activité.
Il y a encore dans l'action du bienfaiteur quelque chose d'honorable, en
sorte qu'il se plaît dans ce qui lui procure ce sentiment, tandis qu'il
n'y a, dans l'auteur du bienfait, rien d'honorable aux yeux de celui qui
l'a reçu; il n'y voit que son avantage, qui est une chose moins agréable
et moins digne d'amour. D'ailleurs, on trouve un certain charme à exercer
actuellement son activité; on en trouve même dans l'espoir de l'exercer à
l'avenir, et le souvenir des actions passées a aussi quelque chose de
doux; mais ce qui charme le plus, et ce qu'il y a de plus aimable, c'est
l'acte lui-même.
L'œuvre subsiste donc pour celui qui en est l'auteur, car ce qui est
honorable et beau est aussi durable; mais pour l'obligé, dès qu'il a reçu
le bienfait, il cesse d'en sentir l'utilité. La mémoire des choses belles
et honorables est délicieuse; celle des choses utiles ne l'est pas, ou
l'est beaucoup moins: et, quant à l'attente de ces deux sortes de choses,
il semble qu'on en soit affecté d'une manière toute contraire. En un mot,
l'attachement que l'on a pour d'autres a quelque ressemblance avec
l'action ou production ; au lieu que celui des autres pour nous, nous
place, pour ainsi dire; dans une situation passive : or, la supériorité
des facultés actives est toujours accompagnée d'une disposition à aimer et
de qualités aimables.
Enfin, on s'attache toujours bien plus à ce qui a coûté beaucoup de peine,
et c'est ainsi que ceux qui ont acquis eux-mêmes de la richesse, y
tiennent plus que ceux qui l'ont reçue de leurs parents. Or, recevoir un
bienfait ne semble pas coûter beaucoup de peine, tandis qu'il en coûte
pour obliger; et c'est pour cela que les mères ont plus de tendresse pour
leurs enfants. Car leur naissance a été plus pénible pour elles, et elles
savent mieux qu'ils sont nés d'elles. C'est aussi une circonstance qui
semble caractériser plus particulièrement les bienfaiteurs.
VIII. On demande, s'il faut s'aimer soi-même plus que tout, ou porter son
affection sur un autre ? Car ceux qui s'aiment eux-mêmes de préférence
à tout, sont généralement blâmés, et on les flétrit, en quelque manière,
en leur donnant le nom d'égoïstes. Il est bien vrai que le méchant ne
voit, pour ainsi dire, que lui-même dans tout ce qu'il fait, et qu'il se
considère d'autant plus exclusivement qu'il est plus vicieux. Aussi lui
reproche-t-on (d'être incapable de faire une action noble et généreuse).
Au lieu que l'homme de bien n'agit qu'en vue de ce qui est honnête ou de
ce qui est utile à ses amis; et plus il est vertueux, plus il observe
cette règle de conduite, et néglige ses propres intérêts.
Cependant ce langage n'est d'accord ni avec les faits, ni avec la raison:
(1168b) car on dit, que celui qu'il faut le plus aimer est celui qui est
le plus notre ami: et certes, notre ami le plus sincère, est celui qui ne
nous veut du bien que pour nous-mêmes, quand tout le monde devrait
l'ignorer. Or, c'est là précisément le caractère des sentiments que chacun
a pour soi-même; à quoi il faut joindre toutes les autres conditions qui
entrent dans la définition de l'amitié. D'ailleurs les causes de cette
affection sont prises en nous-mêmes, comme on l'a déjà dit, et se
répandent, pour ainsi dire, de là sur les autres hommes. Tous les
proverbes même confirment cette opinion; ainsi lorsqu'on dit: Une seule
âme; et, entre amis tout est commun; et, égalité, amitié ; et, le
genou est plus près que la jambe; toutes ces façons de parler
s'appliquent plus exactement à l'individu lui-même, puisqu'il est
nécessairement son meilleur ami, et par conséquent c'est lui-même surtout
qu'il doit aimer. On doute néanmoins encore, avec quelque apparence de
raison, à laquelle de ces deux opinions il faut donner son assentiment,
chacune ayant quelque probabilité en sa faveur.
Peut-être donc faudrait-il analyser ou discuter les raisons sur lesquelles
on s'appuie de part et d'autre, et déterminer jusqu'à quel point, et par
où chacun des deux systèmes est véritable. Or, en observant quelle
signification l'un et l'autre attachent à l'expression amour de soi,
peut-être parviendrait-on à éclaircir la question. Par exemple, ceux qui
en font un terme de reproche ou d'outrage, appellent hommes personnels, ou
égoïstes, les gens avides de richesses, ou d'honneurs, ou qui se livrent
avec excès aux plaisirs des sens; car tel est le penchant de la plupart
des hommes; tels sont les objets constants de leurs désirs et de leurs
efforts , et ceux qu'ils estiment le plus ; aussi sont-ce ceux qu'on se
dispute avec le plus de violence. Or, quand on est possédé de ces sortes
de désirs, on s'occupe sans cesse à les satisfaire, et à satisfaire en
général ses passions, et par conséquent la partie de l'âme qui est
dépourvue de raison. C'est donc avec justice qu'on verse le blâme et le
mépris sur ceux qui s'aiment de cette manière, et personne n'ignore qu'en
effet l'on appelle vulgairement égoïstes et personnels ceux qui cherchent
à se procurer ces sortes de jouissances. Car personne ne s'avisera
d'appeler égoïste l'homme qui s'applique à pratiquer, plus qu'aucun autre,
la justice, ou la tempérance, ou toute autre vertu, et qui, en général, se
montrera sans cesse empressé à faire des actions nobles et généreuses;
personne ne le blâmera.
C'est pourtant celui-là qui semblerait plutôt être égoïste, cherchant à
s'assurer les biens réels et les plus précieux, à contenter en tout la
plus noble et la principale partie de lui-même, et se montrant de tout
point docile aux impulsions qu'il en reçoit. Mais, de même qu'une cité
semble exister essentiellement dans ce qui en fait la partie la plus
importante (ce qui est vrai également de toute corporation ou assemblage
de parties); ainsi en est-il de l'homme. Par conséquent, celui-là est
surtout ami de soi-même, qui aime par-dessus tout cette partie essentielle,
et qui cherche à la satisfaire : et l'on dit de l'homme qu'il est
tempérant, ou intempérant, (qu'il a de l'empire sur lui-même, ou qu'il
n'en a pas) suivant que l'esprit, (l'intelligence ou la raison) domine ou
ne domine pas en lui, attendu que c'est là ce qui constitue proprement
l'individu.
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