[12] Φυλακτέον δὲ καὶ τὸ πολλὰ καὶ πολλάκις
αὐτὸν προβάλλειν· ἔστι γὰρ καὶ τοῦτο τρόπον τινὰ
παρεπιδεικνυμένου. τὸ δ´ ἑτέρου προτείνοντος
ἀκροᾶσθαι μετ´ εὐκολίας φιλόλογον καὶ κοινωνικόν,
ἂν μή τι τῶν ἰδίων ἐνοχλῇ καὶ κατεπείγῃ πάθος
ἐπισχέσεως δεόμενον ἢ νόσημα παρηγορίας. τάχα
μὲν γὰρ οὐδ´ "ἀμαθίην κρύπτειν ἄμεινον," ὥς
φησιν Ἡράκλειτος, ἀλλ´ εἰς μέσον τιθέναι καὶ
θεραπεύειν. ἂν δ´ ὀργή τις ἢ προσβολὴ δεισιδαιμονίας
ἢ διαφορὰ πρὸς οἰκείους σύντονος ἢ
περιμανὴς ἐξ ἔρωτος ἐπιθυμία
κινοῦσα χορδὰς τὰς ἀκινήτους φρενῶν
ἐπιταράξῃ τὴν διάνοιαν, οὐ φευκτέον εἰς ἑτέρους
λόγους ἀποδιδράσκοντας τὸν ἔλεγχον, ἀλλὰ περὶ
αὐτῶν τούτων ἀκουστέον ἐν ταῖς διατριβαῖς, καὶ
μετὰ τὰς διατριβὰς ἰδίᾳ προσιόντας αὐτοὺς καὶ
προσανακρίνοντας. ἀλλὰ μὴ τοὐναντίον, ὥσπερ οἱ
πολλοὶ χαίρουσι τοῖς φιλοσόφοις περὶ ἄλλων διαλεγομένοις
καὶ θαυμάζουσιν· ἂν δὲ τοὺς ἄλλους
ἐάσας ὁ φιλόσοφος αὐτοῖς ἐκείνοις ἰδίᾳ παρρησιάζηται
περὶ τῶν διαφερόντων καὶ ὑπομιμνήσκῃ, δυσχεραίνουσι
καὶ περίεργον νομίζουσιν. ἐπιεικῶς γάρ,
ὥσπερ τῶν τραγῳδῶν ἐν τοῖς θεάτροις, καὶ τῶν
φιλοσόφων ἐν ταῖς σχολαῖς οἴονται δεῖν ἀκούειν,
ἐν δὲ τοῖς ἔξω πράγμασιν οὐδὲν αὐτοὺς ἑαυτῶν
διαφέρειν ἡγοῦνται, πρὸς μὲν τοὺς σοφιστὰς
εἰκότως τοῦτο πεπονθότες (ἀναστάντες γὰρ ἀπὸ
τοῦ θρόνου καὶ ἀποθέμενοι τὰ βιβλία καὶ τὰς
εἰσαγωγὰς ἐν τοῖς ἀληθινοῖς τοῦ βίου μέρεσι
μικροὶ καὶ ὑπὸ χεῖρα φαίνονται τοῖς πολλοῖς),
πρὸς δὲ τοὺς ὄντως φιλοσόφους οὐ καλῶς, ἀγνοοῦντες
ὅτι καὶ σπουδὴ καὶ παιδιὰ καὶ νεῦμα
καὶ μειδίαμα καὶ σκυθρωπασμὸς αὐτῶν, μάλιστα
δ´ ὁ πρὸς ἕκαστον ἰδίᾳ περαινόμενος λόγος ἔχει
τινὰ καρπὸν ὠφέλιμον τοῖς ὑπομένειν καὶ προσέχειν
ἐθισθεῖσι.
| [12] Il faut se garder aussi de proposer un trop grand nombre
de questions et d'en proposer trop souvent : car c'est
encore là faire en quelque sorte montre de sa personne. Mais
écouter soi-même un autre qui se donne la peine d'en formuler,
c'est fournir la preuve d'un esprit curieux et avide
de communications. On excepterait, toutefois, le cas où l'on
se sentirait obsédé, sollicité par quelque passion demandant
à être arrêtée, ou par une douleur morale qu'il fallût adoucir.
Car peut-être, comme dit Héraclite, le mieux n'est-il
pas de cacher son ignorance : peut-être est-il préférable de
la mettre en lumière afin de la guérir. Si un mouvement de
colère, un accès de superstition, une querelle violente avec
nos domestiques, un désir furieux provoqué par l'amour,
"De l'âme remuant les plus secrètes fibres",
porte le trouble dans notre intelligence, n'allons pas nous
réfugier vers quelque autre sujet d'entretien, et reculer
ainsi devant l'occasion d'être repris de nos fautes. Ce sont
les discours où il est parlé de ces mouvements mêmes, qu'il
faut aller entendre ; et après la séance on prendra le maître
à part, pour conférer avec lui et lui adresser des questions.
On agira au rebours de beaucoup de gens : ils goûtent les
philosophes discourant sur les autres, et ils les admirent;
mais si l'orateur, laissant de côté le prochain, leur adresse
personnellement des observations pleines de franchise sur
leurs devoirs les plus importants et les leur remet en mémoire,
ils s'irritent et prétendent qu'il s'occupe de ce qui ne
le regarde pas. Ces gens se figurent volontiers que, semblable
aux tragédiens qui sont sur le théâtre, le philosophe
doit être entendu dans son école, mais que pour tout ce qui
est hors de là il n'a sur eux aucune supériorité. Sans doute
cette opinion est vraie à l'égard des sophistes. Quand ceux-ci
sont descendus de leur trône , qu'ils ont déposé leurs
livres et leurs prolégomènes, ils laissent voir dans les actes
importants de la vie leur bassesse et leur servilité. Mais on
ne sait pas ce qu'il en est des véritables philosophes : on
ignore que de leur part une seule parole, plaisante ou sérieuse,
un seul geste, un sourire, un froncement de sourcils,
et surtout une allocution bien concluante adressée directement,
ont toujours du fruit et de l'utilité quand, par habitude
prise, on a le courage de les laisser parler en leur
prêtant l'oreille.
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