[21] XXI. Δεῖ μὲν γὰρ ἀμέλει τῆς περὶ θεῶν δόξης ὥσπερ
ὄψεως λήμην ἀφαιρεῖν τὴν δεισιδαιμονίαν· εἰ δὲ τοῦτ´
ἀδύνατον, μὴ συνεκκόπτειν μηδὲ τυφλοῦν τὴν πίστιν, ἣν
οἱ πλεῖστοι περὶ θεῶν ἔχουσιν. αὕτη δ´ ἐστὶν οὐ φοβερά τις
οὐδὲ σκυθρωπή, καθάπερ οὗτοι πλάττουσι, διαβάλλοντες
τὴν πρόνοιαν ὥσπερ παισὶν Ἔμπουσαν ἢ Ποινὴν ἀλιτηριώδη
καὶ τραγικὴν ἐπικρεμαμένην. ἀλλ´ ὀλίγοι
μὲν τῶν ἀνθρώπων δεδίασι τὸν θεόν, οἷς οὐκ ἄμεινον μὴ
δεδιέναι· δεδιότες γὰρ ὥσπερ ἄρχοντα χρηστοῖς ἤπιον
ἐπαχθῆ δὲ φαύλοις ἑνὶ φόβῳ, δι´ ὃν οὐκ ἀδικοῦσι, πολλῶν
ἐλευθεροῦνται τῶν ἐπὶ τῷ ἀδικεῖν, καὶ παρ´ αὑτοῖς ἀτρέμα
τὴν κακίαν ἔχοντες οἷον ἀπομαραινομένην ἧττον ταράττονται
τῶν χρωμένων αὐτῇ καὶ τολμώντων εἶτ´ εὐθὺς
δεδιότων καὶ μεταμελομένων. ἡ δὲ τῶν πολλῶν καὶ
ἀμαθῶν καὶ οὐ πάνυ μοχθηρῶν διάθεσις πρὸς τὸν θεὸν
ἔχει μὲν ἀμέλει τῷ σεβομένῳ καὶ τιμῶντι μεμιγμένον
τινὰ σφυγμὸν καὶ φόβον, ᾗ καὶ δεισιδαιμονία κέκληται,
μυριάκις δὲ πλεῖόν ἐστι καὶ μεῖζον αὐτῇ τὸ εὔελπι καὶ
περιχαρὲς καὶ πᾶσαν εὐπραξίας ὄνησιν ὡς ἐκ θεῶν οὖσαν
εὐχόμενον καὶ δεχόμενον. δῆλον δὲ τεκμηρίοις τοῖς μεγίστοις·
οὔτε γὰρ διατριβαὶ τῶν ἐν ἱεροῖς οὔτε καιροὶ τῶν
ἑορτασμῶν οὔτε πράξεις οὔτ´ ὄψεις εὐφραίνουσιν ἕτεραι
μᾶλλον ὧν ὁρῶμεν ἢ δρῶμεν αὐτοὶ περὶ τοὺς θεούς, ὀργιάζοντες
ἢ χορεύοντες ἢ θυσίαις παρόντες καὶ τελεταῖς. οὐ
γὰρ ὡς τυράννοις τισὶν ἢ δεινοῖς κολασταῖς ὁμιλοῦσα τηνικαῦτα
ἡ ψυχὴ περίλυπός ἐστι καὶ ταπεινὴ καὶ δύσθυμος,
ὅπερ εἰκὸς ἦν· ἀλλ´ ὅπου μάλιστα δοξάζει καὶ διανοεῖται
παρεῖναι τὸν θεόν, ἐκεῖ μάλιστα λύπας καὶ φόβους καὶ τὸ
φροντίζειν ἀπωσαμένη τῷ ἡδομένῳ μέχρι μέθης καὶ
παιδιᾶς καὶ γέλωτος ἀφίησιν ἑαυτήν. ἐν τοῖς ἐρωτικοῖς,
ὡς ὁ ποιητὴς εἴρηκε
’καί τε γέρων καὶ γρῆυς, ἐπὴν χρυσῆς Ἀφροδίτης
μνήσωνται, καὶ τοῖσιν ἐπηέρθη φίλον ἦτορ,‘
ἐν δὲ πομπαῖς καὶ θυσίαις οὐ μόνον γέρων καὶ γρῆυς οὐδὲ
πένης καὶ ἰδιώτης ἀλλὰ ’καὶ παχυσκελὴς ἀλετρὶς πρὸς
μύλην κινουμένη‘ καὶ οἰκότριβες
καὶ θῆτες ὑπὸ γήθους καὶ χαρμοσύνης ἀναφέρονται· πλουσίοις
τε καὶ βασιλεῦσιν ἑστιάσεις καὶ πανδαισίαι τινὲς
πάρεισιν {ἀεί}, αἱ δ´ ἐφ´ ἱεροῖς καὶ θυηπολίαις, καὶ ὅταν
ἔγγιστα τοῦ θείου τῇ ἐπινοίᾳ ψαύειν δοκῶσι μετὰ τιμῆς
καὶ σεβασμοῦ, πολὺ διαφέρουσαν ἡδονὴν καὶ χάριν ἔχουσι.
ταύτης οὐδὲν ἀνδρὶ μέτεστιν ἀπεγνωκότι τῆς προνοίας.
οὐ γὰρ οἴνου πλῆθος οὐδ´ ὄπτησις κρεῶν τὸ εὐφραῖνόν
ἐστιν ἐν ταῖς ἑορταῖς, ἀλλ´ ἐλπὶς ἀγαθὴ καὶ δόξα τοῦ
παρεῖναι τὸν θεὸν εὐμενῆ καὶ δέχεσθαι τὰ γινόμενα κεχαρισμένως.
αὐλὸν μὲν γὰρ ἐνίων ἑορτῶν καὶ στέφανον
ἀφαιροῦμεν, θεοῦ δὲ θυσίᾳ μὴ παρόντος πρὸς ἱερῶν ἀποδοχὴν
ἄθεόν ἐστι καὶ ἀνεόρταστον καὶ ἀνενθουσίαστον τὸ λειπόμενον·
μᾶλλον δὲ 〈τὸ〉 ὅλον ἀτερπὲς αὐτῷ καὶ λυπηρόν·
ὑποκρίνεται γὰρ εὐχὰς καὶ προσκυνήσεις οὐθὲν δεόμενος
διὰ φόβον τῶν πολλῶν καὶ φθέγγεται φωνὰς ἐναντίας οἷς
φιλοσοφεῖ· καὶ θύων μὲν ὡς μαγείρῳ παρέστηκε τῷ ἱερεῖ
σφάττοντι, θύσας δ´ ἄπεισι λέγων τὸ Μενάνδρειον
’ἔθυον οὐ προσέχουσιν οὐδέν μοι θεοῖς‘·
οὕτως γὰρ Ἐπίκουρος οἴεται δεῖν σχηματίζεσθαι καὶ μὴ
καταφρονεῖν μηδ´ ἀπεχθάνεσθαι τοῖς πολλοῖς, οἷς χαίρουσιν
ἕτεροι πράττοντας, αὐτοὺς δυσχεραίνοντας·
’πᾶν γὰρ ἀναγκαῖον πρᾶγμ´ ὀδυνηρὸν ἔφυ‘
κατὰ τὸν Εὔηνον. ᾗ καὶ τοὺς δεισιδαίμονας οὐ
χαίροντας ἀλλὰ φοβουμένους οἴονται θυσίαις καὶ τελεταῖς
ὁμιλεῖν, μηθὲν ἐκείνων αὐτοὶ διαφέροντες, εἴ γε δὴ διὰ
φόβον τὰ αὐτὰ δρῶσιν, οὐδ´ ἐλπίδος χρηστῆς ὅσον ἐκεῖνοι
μεταλαγχάνοντες, ἀλλὰ μόνον δεδιότες καὶ ταραττόμενοι
μὴ φανεροὶ γένωνται τοὺς πολλοὺς παραλογιζόμενοι καὶ
φενακίζοντες· ἐφ´ οὓς καὶ τὰ περὶ θεῶν καὶ ὁσιότητος
αὐτοῖς βιβλία συντέτακται, ’ἑλικτὰ καὶ οὐδὲν ὑγιὲς ἀλλὰ
πᾶν πέριξ‘ ἐπαμπεχομένοις καὶ ἀποκρυπτομένοις
διὰ φόβον ἃς ἔχουσι δόξας.
| [21] Il faudrait sans doute de l'opinion admise sur les
Dieux, comme on ôte de l'oeil une chassie, enlever la superstition.
Mais si cela est impossible, ne supprimons
pas du moins, ne desséchons pas la foi que le plus grand
nombre des hommes ont dans les Dieux. Or cette foi n'a
rien de craintif, rien de farouche. Elle ne ressemble pas
au portrait qu'en font les Épicuriens. Ils calomnient la
Providence, qu'ils dépeignent comme cette Furie dont on
fait peur aux enfants, comme une Divinité vengeresse et
d'attitude toute tragique. Il y a peu d'hommes qui craignent
Dieu de telle sorte qu'il ne dût leur être plus avantageux
de ne pas le craindre. Quand on le redoute comme un chef
propice aux bons, terrible aux méchants, cette seule
crainte, grâce à laquelle on n'a pas besoin d'en avoir une
autre, cette seule crainte nous affranchit du désir d'être injustes.
La méchanceté que l'on a dans le coeur s'amortit
alors en quelque sorte insensiblement. On est moins troublé
que ceux qui, se livrant au crime avec audace, sont
aussitôt saisis par les terreurs et le repentir.
A la vérité le commun des hommes, ignorants plutôt que
profondément pervertis, sont à l'égard de la Divinité dans
des dispositions telles qu'au respect et à la vénération ils
mêlent une sorte de tressaillement et de terreur, appelée
superstition. Mais dans cette superstition il y a, et d'une
manière continue, mille fois plus de bon espoir et de contentement,
parce qu'au moins l'on demande et l'on reçoit
toutes les faveurs et tous les biens comme les supposant émanés
des Dieux. Cette supériorité morale se manifeste par
les preuves les plus grandes. Nuls exercices plus que les
exercices religieux, nulles époques plus que les fêtes, nuls
spectacles plus que ceux qui occupent nos yeux ou nos bras
au service des Dieux, ne nous semblent intéressants. Nous
aimons les cérémonies saintes, les choeurs, les sacrifices,
les initiations. Ce n'est pas comme quand on se trouve devant
certains tyrans ou devant des juges inexorables dans
leurs punitions, lesquels, comme c'est trop concevable, inspirent
une profonde tristesse, de l'abattement, du désespoir.
Lorsqu'au contraire l'âme croit et présume que Dieu est présent,
elle écarte bien loin les chagrins, les craintes, les
inquiétudes. La joie à laquelle elle se livre va jusqu'à
l'ivresse, et ce ne sont que divertissements et que ris. Dans
les ébats amoureux, comme dit le poète,
"Et la vieille et le vieux, que de sa verge d'or
Vénus a réveillés, savent aimer encor;"
mais dans les pompes religieuses et les sacrifices, ce n'est
pas seulement le vieux et la vieille, ce n'est pas seulement
le plébéien et le pauvre, c'est encore
"La fille de moulin, à jambes de poteaux,
Faisant tourner la meule ..."
ce sont les esclaves nés à la maison, ce sont les plus humbles
mercenaires, qui tressaillent de joie et d'allégresse. Les
riches et les souverains prennent constamment place à
des festins et à des banquets d'une somptuosité sans égale;
mais les repas célébrés à la suite de solennités religieuses
et de sacrifices offerts par toute une cité, les repas dans
lesquels on se figure mentalement approcher des Dieux au
point de les toucher, repas où préside le respect et la vénération,
inspirent une joie pleine de gratitude. Rien de pareil
n'est réservé à l'homme qui méconnaît la Providence. Car
ce n'est ni la quantité du vin, ni la qualité des viandes
rôties à point, qui font le délice des fêtes religieuses, mais
l'espérance heureuse et la conviction d'être visité par un
Dieu bienveillant, lequel accueillera avec plaisir ce qu'on
a fait pour lui. Il y a, en effet, d'autres réjouissances dans
lesquelles nous supprimons les flûtes et les couronnes;
mais un sacrifice où Dieu n'est pas présent est comme un
temple sans destination. Je n'y vois plus qu'une réunion
d'athées. Le caractère d'une fête, l'enthousiasme, tout y
manque; ou plutôt c'est une corvée tout à fait désagréable
et pénible, même pour celui qui l'offre. Il fait semblant de
prier, d'adorer un Dieu à qui il ne demande rien, et il se
livre à ces démonstrations parce qu'il craint la multitude.
Il prononce des paroles contraires aux doctrines philosophiques
par lui professées. S'il offre un sacrifice, il voit un
cuisinier dans la personne du prêtre qui égorge la victime; et la
cérémonie achevée, il se retire en prononçant ces vers de Ménandre :
"Je vois bien qu'à mon sacrifice
Les Dieux restent indifférents."
Car c'est ainsi qu'Épicure pense que l'on doit se composer
à l'extérieur. Il ne veut pas qu'on refuse rien aux exigences
religieuses de la foule ni qu'on s'attire la haine publique,
bien que l'on répugne personnellement aux actes accomplis
avec joie par les autres, et bien que, comme dit Evenus,
"Un devoir imposé nous soit toujours pénible".
Aussi les Épicuriens sont-ils convaincus que les gens superstitieux
assistent sans joie, et au contraire avec crainte,
aux sacrifices et aux initiations. Eux-mêmes, pourtant, ne
diffèrent en aucune façon de ces superstitieux. Car enfin, ils
accomplissent par crainte les mêmes dévotions, et ils ne participent
pas aux bonnes espérances par lesquelles elles sont
inspirées Ils n'éprouvent que des alarmes et du trouble :
ayant toujours peur qu'on ne s'aperçoive qu'ils en imposent
à la foule et qu'ils jouent la comédie. Il est vrai que
contre cette même foule ils protestent dans les livres composés
par eux sur les Dieux et sur la Divinité; mais dans de
de pareils livres,
"Rien n'est vrai, rien n'est franc : ce ne sont que détours" :
ils enveloppent et dissimulent par crainte les doctrines qui
sont les leurs.
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