[8,1161] (1161a)
(1) Ἐνίοτε δὲ ἄρχουσιν αἱ γυναῖκες ἐπίκληροι οὖσαι· οὐ δὴ γίνονται κατ' ἀρετὴν αἱ ἀρχαί, ἀλλὰ διὰ πλοῦτον καὶ δύναμιν, καθάπερ ἐν ταῖς ὀλιγαρχίαις. Τιμοκρατικῇ δ' ἔοικεν ἡ τῶν ἀδελφῶν· ἴσοι γάρ, πλὴν ἐφ' ὅσον (5) ταῖς ἡλικίαις
διαλλάττουσιν· διόπερ ἂν πολὺ ταῖς ἡλικίαις διαφέρωσιν, οὐκέτι ἀδελφικὴ
γίνεται ἡ φιλία. Δημοκρατία δὲ μάλιστα μὲν ἐν ταῖς ἀδεσπότοις τῶν οἰκήσεων
(ἐνταῦθα γὰρ πάντες ἐξ ἴσου), καὶ ἐν αἷς ἀσθενὴς ὁ ἄρχων καὶ ἑκάστῳ ἐξουσία.
XI. (10) Καθ' ἑκάστην δὲ τῶν πολιτειῶν φιλία φαίνεται, ἐφ' ὅσον καὶ τὸ
δίκαιον, βασιλεῖ μὲν πρὸς τοὺς βασιλευομένους ἐν ὑπεροχῇ εὐεργεσίας· εὖ
γὰρ ποιεῖ τοὺς βασιλευομένους, εἴπερ ἀγαθὸς ὢν ἐπιμελεῖται αὐτῶν, ἵν' εὖ
πράττωσιν, ὥσπερ νομεὺς προβάτων· ὅθεν καὶ Ὅμηρος τὸν Ἀγαμέμνονα (15)
ποιμένα λαῶν εἶπεν. Τοιαύτη δὲ καὶ ἡ πατρική, διαφέρει δὲ τῷ μεγέθει τῶν
εὐεργετημάτων· αἴτιος γὰρ τοῦ εἶναι, δοκοῦντος μεγίστου, καὶ τροφῆς καὶ
παιδείας. Καὶ τοῖς προγόνοις δὲ ταῦτα προσνέμεται· φύσει τε ἀρχικὸν πατὴρ
υἱῶν καὶ πρόγονοι ἐκγόνων καὶ βασιλεὺς βασιλευομένων. (20) Ἐν ὑπεροχῇ δὲ
αἱ φιλίαι αὗται, διὸ καὶ τιμῶνται οἱ γονεῖς. Καὶ τὸ δίκαιον δὴ ἐν τούτοις
οὐ ταὐτὸ ἀλλὰ τὸ κατ' ἀξίαν· οὕτω γὰρ καὶ ἡ φιλία. Καὶ ἀνδρὸς δὲ πρὸς
γυναῖκα ἡ αὐτὴ φιλία καὶ ἐν ἀριστοκρατίᾳ· κατ' ἀρετὴν γάρ, καὶ τῷ ἀμείνονι
πλέον ἀγαθόν, καὶ τὸ ἁρμόζον ἑκάστῳ· (25) οὕτω δὲ καὶ τὸ δίκαιον. Ἡ δὲ τῶν
ἀδελφῶν τῇ ἑταιρικῇ ἔοικεν· ἴσοι γὰρ καὶ ἡλικιῶται, οἱ τοιοῦτοι δ'
ὁμοπαθεῖς καὶ ὁμοήθεις ὡς ἐπὶ τὸ πολύ. Ἔοικε δὲ ταύτῃ καὶ ἡ κατὰ τὴν
τιμοκρατικήν· ἴσοι γὰρ οἱ πολῖται βούλονται καὶ ἐπιεικεῖς εἶναι· ἐν μέρει
δὴ τὸ ἄρχειν, καὶ ἐξ ἴσου· οὕτω δὴ (30) καὶ ἡ φιλία. Ἐν δὲ ταῖς
παρεκβάσεσιν, ὥσπερ καὶ τὸ δίκαιον ἐπὶ μικρόν ἐστιν, οὕτω καὶ ἡ φιλία, καὶ
ἥκιστα ἐν τῇ χειρίστῃ· ἐν τυραννίδι γὰρ οὐδὲν ἢ μικρὸν φιλίας. Ἐν οἷς γὰρ
μηδὲν κοινόν ἐστι τῷ ἄρχοντι καὶ ἀρχομένῳ, οὐδὲ φιλία· οὐδὲ γὰρ δίκαιον·
οἷον τεχνίτῃ πρὸς ὄργανον καὶ (35) ψυχῇ πρὸς σῶμα καὶ δεσπότῃ πρὸς δοῦλον·
(1161b) (1) ὠφελεῖται μὲν γὰρ πάντα ταῦτα ὑπὸ τῶν χρωμένων, φιλία δ' οὐκ
ἔστι πρὸς τὰ ἄψυχα οὐδὲ δίκαιον. Ἀλλ' οὐδὲ πρὸς ἵππον ἢ βοῦν, οὐδὲ πρὸς
δοῦλον ᾗ δοῦλος. Οὐδὲν γὰρ κοινόν ἐστιν· ὁ γὰρ δοῦλος ἔμψυχον ὄργανον, τὸ
δ' ὄργανον ἄψυχος δοῦλος. (5) ᾟ μὲν οὖν δοῦλος, οὐκ ἔστι φιλία πρὸς αὐτόν,
ᾗ δ' ἄνθρωπος· δοκεῖ γὰρ εἶναί τι δίκαιον παντὶ ἀνθρώπῳ πρὸς πάντα τὸν
δυνάμενον κοινωνῆσαι νόμου καὶ συνθήκης· καὶ φιλία δή, καθ' ὅσον ἄνθρωπος.
Ἐπὶ μικρὸν δὴ καὶ ἐν ταῖς τυραννίσιν αἱ φιλίαι καὶ τὸ δίκαιον, ἐν δὲ ταῖς
δημοκρατίαις (10) ἐπὶ πλεῖον· πολλὰ γὰρ τὰ κοινὰ ἴσοις οὖσιν.
XII. Ἐν κοινωνίᾳ μὲν οὖν πᾶσα φιλία ἐστίν, καθάπερ εἴρηται. Ἀφορίσειε δ'
ἄν τις τήν τε συγγενικὴν καὶ τὴν ἑταιρικήν. Αἱ δὲ πολιτικαὶ καὶ φυλετικαὶ
καὶ συμπλοϊκαί, καὶ ὅσαι τοιαῦται, κοινωνικαῖς ἐοίκασι μᾶλλον· οἷον γὰρ
(15) καθ' ὁμολογίαν τινὰ φαίνονται εἶναι. Εἰς ταύτας δὲ τάξειεν ἄν τις καὶ
τὴν ξενικήν. Καὶ ἡ συγγενικὴ δὲ φαίνεται πολυειδὴς εἶναι, ἠρτῆσθαι δὲ πᾶσα
ἐκ τῆς πατρικῆς· οἱ γονεῖς μὲν γὰρ στέργουσι τὰ τέκνα ὡς ἑαυτῶν τι ὄντα,
τὰ δὲ τέκνα τοὺς γονεῖς ὡς ἀπ' ἐκείνων τι ὄντα. (20) Μᾶλλον δ' ἴσασιν οἱ
γονεῖς τὰ ἐξ αὑτῶν ἢ τὰ γεννηθέντα ὅτι ἐκ τούτων, καὶ μᾶλλον συνωκείωται
τὸ ἀφ' οὗ τῷ γεννηθέντι ἢ τὸ γενόμενον τῷ ποιήσαντι· τὸ γὰρ ἐξ αὐτοῦ
οἰκεῖον τῷ ἀφ' οὗ, οἷον ὀδοὺς θρὶξ ὁτιοῦν τῷ ἔχοντι· ἐκείνῳ δ' οὐδὲν τὸ
ἀφ' οὗ, ἢ ἧττον.
Καὶ τῷ πλήθει δὲ τοῦ χρόνου· οἳ μὲν (25) γὰρ εὐθὺς γενόμενα στέργουσιν, τὰ
δὲ προελθόντος χρόνου τοὺς γονεῖς, σύνεσιν ἢ αἴσθησιν λαβόντα. Ἐκ τούτων
δὲ δῆλον καὶ δι' ἃ φιλοῦσι μᾶλλον αἱ μητέρες. Γονεῖς μὲν οὖν τέκνα
φιλοῦσιν ὡς ἑαυτούς (τὰ γὰρ ἐξ αὐτῶν οἷον ἕτεροι αὐτοὶ τῷ κεχωρίσθαι),
τέκνα δὲ γονεῖς ὡς ἀπ' ἐκείνων πεφυκότα, (30) ἀδελφοὶ δ' ἀλλήλους τῷ ἐκ
τῶν αὐτῶν πεφυκέναι· ἡ γὰρ πρὸς ἐκεῖνα ταυτότης ἀλλήλοις ταὐτὸ ποιεῖ· ὅθεν
φασὶ ταὐτὸν αἷμα καὶ ῥίζαν καὶ τὰ τοιαῦτα. Εἰσὶ δὴ ταὐτό πως καὶ ἐν
διῃρημένοις. Μέγα δὲ πρὸς φιλίαν καὶ τὸ σύντροφον καὶ τὸ καθ' ἡλικίαν·
ἧλιξ γὰρ ἥλικα, (35) καὶ οἱ συνήθεις ἑταῖροι· διὸ καὶ ἡ ἀδελφικὴ τῇ
ἑταιρικῇ ὁμοιοῦται.
| [8,1161] (1161a) Quelquefois, cependant, les femmes
exercent l'autorité, quand ce sont de riches héritières. Dans ce cas
encore, l'autorité n'est pas donnée à la vertu, mais au crédit et à la
richesse , comme cela arrive dans les gouvernements oligarchiques.
L'administration d'une famille régie par des frères a quelque ressemblance
avec le gouvernement timocratique; car l'égalité a lieu entre les membres
de la famille, du moins autant que la différence d'age peut le permettre :
aussi, quand cette différence est très considérable, l'amitié fraternelle
ne peut-elle plus avoir lieu.
Enfin, la forme démocratique semble se retrouver surtout dans les familles
qui n'ont pas de chef; car alors tous les membres y sont égaux; et,
lorsque celui qui a l'autorité est sans force (pour la faire respecter),
chacun y vit dans la licence et au gré de son caprice.
XI. Dans chacune de ces formes de gouvernement, l'amitié règne en même
proportion que la justice. Elle règne dans le coeur du monarque, suivant
qu'il est disposé à la bonté et à la bienfaisance : car, s'il est
vertueux, il veille au bien de ses sujets, et s'occupe sans cesse de les
rendre heureux ; il est comme un pasteur attentif au soin de son troupeau
; et c'est pour cela qu'Homère appelle Agamemnon le pasteur des peuples.
Telle est encore la tendresse paternelle; mais elle l'emporte par la
grandeur des bienfaits: car le père est l'auteur de l'existence,
c'est-à-dire, du plus grand des biens, pour ses enfants; il pourvoit à
leur nourriture et à leur éducation. On rend même un hommage semblable aux
ancêtres; car il y a une sorte d'autorité naturelle du père sur ses
enfants, des ancêtres sur leurs descendants, du roi sur ses sujets. De ces
relations naissent des sentiments de respect et de dévouement, portés au
plus haut degré d'exaltation; ils sont la source des honneurs que nous
rendons à nos ancêtres. Il y a donc aussi de la justice dans ces
sentiments, non pas la même sans doute, mais une justice proportionnée au
mérite; car c'est là un des caractères de l'amitié.
La tendresse d'un mari pour sa femme est un sentiment analogue à celui qui
règne dans le gouvernement aristocratique ; car la supériorité des
avantages y est, pour la vertu, en proportion du mérite et de ce qui
convient à chacun; et c'est là ce qui caractérise aussi la justice.
Quant à l'affection des frères, elle ressemble à celle qui unit les hommes
qui s'associent pour le plaisir et la joie ; car ils sont doux et à peu
près de même âge, et l'on trouve en eux la plupart du temps similitude
dans les moeurs et dans l'éducation ou dans l'instruction. La forme de
gouvernement que j'ai appelée timocratique, ressemble assez à cette espèce
d'affection, puisque les citoyens y aiment l'égalité, et sont animés du
désir de l'estime; que l'autorité y est exercée tour à tour et avec un
droit égal, ce qui est encore le caractère de l'amitié.
Mais, dans les altérations que subissent ces formes diverses, la justice
va toujours en s'affaiblissant, de manière que la plus mauvaise est celle
où elle paraît le moins; et il en est de même de l'amitié. En effet, la
tyrannie ne renferme aucun sentiment de ce genre, ou du moins n'en
conserve que bien peu; car, du moment où il n'y a rien de commun entre le
maître et le sujet, il n'y a non plus aucune affection réciproque : et il
n'y a pas plus de justice; mais le seul rapport qui existe entre eux est
celui de l'ouvrier à l'égard de l'outil, du corps à l'égard de l'âme, du
maître à l'égard de l'esclave ; (1161b) car il y a aussi une sorte de soin
et d'attention que l'on donne à ces objets quand on s'en sert. Mais on n'a
point de sentiments d'affection ni de justice pour les choses inanimées,
pas plus qu'on en a pour un cheval, ou un bœuf, ou même pour un esclave.
en tant qu'esclave : car l'esclave est un instrument animé, et l'outil ou
l'instrument est un esclave inanimé. Il ne peut donc pas être l'objet
de l'amitié en tant qu'esclave, mais il peut l'être en sa qualité d'homme
; et il semble, en effet, que tout homme est obligé à quelque devoir de
justice envers tout être capable de se soumettre à une loi commune, ou de
participer à une convention, et, par conséquent, est un objet convenable
d'amitié, en tant qu'il est homme.
Les sentiments d'affection et de justice n'existent donc que bien peu sous
un gouvernement tyrannique; ils ont, au contraire, le plus haut degré
d'énergie dans la démocratie, parce que les citoyens, y étant égaux, ont
entre eux une infinité de rapports communs.
XII. Toute amitié, sans doute, consiste dans une sorte de communauté (de
goûts, d'intérêts, d'opinions, de sentiments), comme on l'a déjà dit; mais
peut-être faut-il distinguer celle qui est produite par la parenté, des
liaisons qui n'ont que le plaisir ou l'amusement pour objet. Quant au lien
qui unit les membres d'une même société politique, d'une même tribu, ou
les hommes qui naviguent ensemble, et autres rapports de ce genre, ils
ressemblent plus à ceux qui se fondent sur une communauté d'intérêts; car
on y remarque comme un consentement tacite : l'on pourrait y joindre
encore les liaisons d'hospitalité.
Mais l'affection de famille se présente sous un assez grand nombre de
formes diverses, et semble dépendre presque entièrement du lien qui unit
les pères et les enfants. En effet, les parents aiment leurs enfants,
comme étant une partie d'eux-mêmes, et ceux-ci aiment leurs parents, comme
tenant d'eux une partie de ce qu'ils sont. Mais les parents connaissent
mieux ce qui vient, en quelque sorte, d'eux, que les enfants ne savent ce
qu'ils tiennent de leurs parents; et il y a un rapprochement naturel plus
intime de la part de l'être qui a donné la vie à celui qui l'a reçue,
qu'il n'y en a de ce dernier à l'auteur de son existence. Car ce qui est
de notre propre substance nous appartient, en quelque manière, comme les
dents, les cheveux, et, en général, tout ce qui tient à nous; au lieu que
l'être d'où proviennent ces choses, n'est propre à aucune d'elles, ou leur
appartient moins.
La différence du temps est encore à considérer ici : car ceux qui ont
donné la vie à d'autres êtres, les chérissent dès l'instant même de leur
naissance; mais ce n'est que lorsqu'ils sont un peu avancés dans la vie,
lorsque leur intelligence et leur sensibilité ont acquis un certain
développement, que les enfants chérissent les auteurs de leurs jours. Ceci
même fait voir pourquoi la tendresse des mères est plus vive. Les parents
aiment donc leurs enfants comme eux-mêmes; car leur existence, détachée
(s'il le faut ainsi dire) de celle des parents, en fait comme d'autres
êtres (en qui ils se retrouvent): mais les enfants n'aiment leurs parents
que comme la source ou la cause de leur existence.
La cause de l'affection réciproque des frères est la naissance qu'ils
doivent aux mêmes parents; car cette communauté de naissance leur inspire
les uns pour les autres un même sentiment. Aussi dit-on qu'ils sont un
même sang, qu'ils appartiennent à la même souche, et autres
expressions de ce genre; ils sont donc, s'il le faut ainsi dire, une même
substance dans des individus distincts. La nourriture commune et le peu de
différence d'âge sont encore un puissant motif d'amitié; car tout homme se
sent plus naturellement porté vers ceux qui sont de son âge, et la
ressemblance dans les moeurs est un lien qui unit ceux qui s'associent
pour le plaisir ou l'amusement : aussi l'amitié fraternelle
ressemble-t-elle beaucoup à cette sorte de liaisons.
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