[3,1,20] (20) - « Ἔπειτα δοκεῖ σοι, » ἔφη ὁ Κῦρος, « καὶ ἡ
τοιαύτη ἧττα σωφρονίζειν ἱκανὴ εἶναι
ἀνθρώπους, τὸ γνῶναι ἄλλους ἑαυτῶν
βελτίονας ὄντας; »
- « Πολύ γε μᾶλλον, » ἔφη ὁ Τιγράνης, « ἢ ὅταν
μάχῃ τις ἡττηθῇ. Ὁ μὲν γὰρ ἰσχύι κρατηθεὶς
ἔστιν ὅτε ᾠήθη σωμασκήσας ἀναμαχεῖσθαι·
καὶ πόλεις γε ἁλοῦσαι συμμάχους
προσλαβοῦσαι οἴονται ἀναμαχέσασθαι ἄν· οὓς
δ' ἂν βελτίους τινὲς ἑαυτῶν ἡγήσωνται, τούτοις
πολλάκις καὶ ἄνευ ἀνάγκης ἐθέλουσι
πείθεσθαι. »
- (21) « Σύ, » ἔφη, « ἔοικας οὐκ οἴεσθαι τοὺς
ὑβριστὰς γιγνώσκειν τοὺς ἑαυτῶν
σωφρονεστέρους, οὐδὲ τοὺς κλέπτας τοὺς μὴ
κλέπτοντας, οὐδὲ τοὺς ψευδομένους τοὺς
τἀληθῆ λέγοντας, οὐδὲ τοὺς ἀδικοῦντας τοὺς
τὰ δίκαια ποιοῦντας· οὐκ οἶσθα, ἔφη, ὅτι καὶ
νῦν ὁ σὸς πατὴρ ἐψεύσατο καὶ οὐκέτ' ἠμπέδου
τὰς πρὸς ἡμᾶς συνθήκας, εἰδὼς ὅτι ἡμεῖς οὐδ'
ὁτιοῦν ὧν ᾿Αστυάγης συνέθετο παραβαίνομεν; »
(22) - « Ἀλλ' οὐδ' ἐγὼ τοῦτο λέγω ὡς τὸ γνῶναι
μόνον τοὺς βελτίονας σωφρονίζει ἄνευ τοῦ
δίκην διδόναι ὑπὸ τῶν βελτιόνων, ὥσπερ ὁ ἐμὸς
πατὴρ νῦν δίδωσιν.
- « Ἀλλ', » ἔφη ὁ Κῦρος, « ὅ γε σὸς πατὴρ
πέπονθε μὲν οὐδ' ὁτιοῦν πω κακόν· φοβεῖται/ γε
μέντοι εὖ οἶδ' ὅτι μὴ πάντα τὰ ἔσχατα πάθῃ. »
(23) « Οἴει οὖν τι, » ἔφη ὁ Τιγράνης, « μᾶλλον
καταδουλοῦσθαι ἀνθρώπους τοῦ ἰσχυροῦ
φόβου; Οὐκ οἶσθ' ὅτι οἱ μὲν τῷ ἰσχυροτάτῳ
κολάσματι νομιζομένῳ σιδήρῳ παιόμενοι ὅμως
ἐθέλουσι καὶ πάλιν μάχεσθαι τοῖς αὐτοῖς; Οὓς δ'
ἂν σφόδρα φοβηθῶσιν ἄνθρωποι, τούτοις οὐδὲ
παραμυθουμένοις ἔτι ἀντιβλέπειν δύνανται;
- « Λέγεις σύ, » ἔφη, « ὡς ὁ φόβος τοῦ ἔργῳ
κακοῦσθαι μᾶλλον κολάζει τοὺς ἀνθρώπους. »
(24) « Καὶ σύ γε, » ἔφη, « οἶσθα ὅτι ἀληθῆ λέγω·
ἐπίστασαι γὰρ ὅτι οἱ μὲν φοβούμενοι μὴ φύγωσι
πατρίδα καὶ οἱ μέλλοντες μάχεσθαι δεδιότες μὴ
ἡττηθῶσιν (ἀθύμως διάγουσι, καὶ οἱ πλέοντες
μὴ ναυαγήσωσι,) καὶ οἱ δουλείαν καὶ δεσμὸν
φοβούμενοι, οὗτοι μὲν οὔτε σίτου οὔθ' ὕπνου
δύνανται λαγχάνειν διὰ τὸν φόβον· οἱ δὲ ἤδη
μὲν φυγάδες, ἤδη δ' ἡττημένοι, ἤδη δὲ
δουλεύοντες, ἔστιν ὅτε δύνανται καὶ μᾶλλον
τῶν εὐδαιμόνων ἐσθίειν τε καὶ καθεύδειν. (25)
Ἔτι δὲ φανερώτερον καὶ ἐν τοῖσδε οἷον φόρημα
ὁ φόβος· ἔνιοι γὰρ φοβούμενοι μὴ ληφθέντες
ἀποθάνωσι προαποθνῄσκουσιν ὑπὸ τοῦ φόβου,
οἱ μὲν ῥιπτοῦντες ἑαυτούς, οἱ δ' ἀπαγχόμενοι, οἱ
δ' ἀποσφαττόμενοι· οὕτω πάντων τῶν δεινῶν ὁ
φόβος μάλιστα καταπλήττει τὰς ψυχάς. Τὸν δ'
ἐμὸν πατέρα, ἔφη, νῦν πῶς δοκεῖς διακεῖσθαι
τὴν ψυχήν, ὃς οὐ μόνον περὶ ἑαυτοῦ, ἀλλὰ καὶ
περὶ ἐμοῦ καὶ περὶ γυναικὸς καὶ περὶ πάντων
τῶν τέκνων (δουλείας) φοβεῖται; »
Καὶ ὁ Κῦρος εἶπεν·
(26) - « Ἀλλὰ νῦν μὲν ἔμοιγε οὐδὲν ἄπιστον
τοῦτον οὕτω διακεῖσθαι· δοκεῖ μέντοι μοι τοῦ
αὐτοῦ ἀνδρὸς εἶναι καὶ εὐτυχοῦντα ἐξυβρίσαι
καὶ πταίσαντα ταχὺ πτῆξαι, καὶ ἀνεθέντα γε
πάλιν αὖ μέγα φρονῆσαι καὶ πάλιν αὖ
πράγματα παρασχεῖν. »
(27) - « Ἀλλὰ ναὶ μὰ Δί', » ἔφη, « ὦ Κῦρε, ἔχει μὲν
προφάσεις τὰ ἡμέτερα ἁμαρτήματα ὥστ'
ἀπιστεῖν ἡμῖν· ἔξεστι δέ σοι καὶ φρούρια
ἐντειχίζειν καὶ τὰ ἐχυρὰ κατέχειν καὶ ἄλλο ὅ τι
ἂν βούλῃ πιστὸν λαμβάνειν. Καὶ μέντοι, ἔφη,
ἡμᾶς μὲν ἕξεις οὐδέν τι τούτοις μέγα
λυπουμένους· μεμνησόμεθα γὰρ ὅτι ἡμεῖς
αὐτῶν αἴτιοί ἐσμεν· εἰ δέ τινι τῶν ἀναμαρτήτων
παραδοὺς τὴν ἀρχὴν ἀπιστῶν αὐτοῖς φανεῖ,
ὅρα μὴ ἅμα τε εὖ ποιήσεις καὶ ἅμα οὐ φίλον
νομιοῦσί σε· εἰ δ' αὖ φυλαττόμενος τὸ
ἀπεχθάνεσθαι μὴ ἐπιθήσεις αὐτοῖς ζυγὰ τοῦ μὴ
ὑβρίσαι, ὅρα μὴ ἐκείνους αὖ δεήσει σε
σωφρονίζειν ἔτι μᾶλλον ἢ ἡμᾶς νῦν ἐδέησεν. »
(28) - « Ἀλλὰ ναὶ μὰ τοὺς θεούς, » ἔφη, «
τοιούτοις μὲν ἔγωγε ὑπηρέταις, οὓς εἰδείην
ἀνάγκῃ ὑπηρετοῦντας, ἀηδῶς ἄν μοι δοκῶ
χρῆσθαι· οὓς δὲ γιγνώσκειν δοκοίην ὅτι εὐνοίᾳ
καὶ φιλίᾳ τῇ ἐμῇ τὸ δέον συλλαμβάνοιεν,
τούτους ἄν μοι δοκῶ καὶ ἁμαρτάνοντας ῥᾷον
φέρειν ἢ τοὺς μισοῦντας μέν, ἔκπλεω δὲ πάντα
ἀνάγκῃ διαπονουμένους. »
Καὶ ὁ Τιγράνης εἶπε πρὸς ταῦτα·
- « Φιλίαν δὲ παρὰ τίνων ἄν ποτε λάβοις
τοσαύτην ὅσην σοι παρ' ἡμῶν ἔξεστι
κτήσασθαι νῦν; »
- « Παρ' ἐκείνων οἶμαι, » ἔφη, « (παρὰ) τῶν
μηδέποτε πολεμίων γεγενημένων, εἰ ἐθέλοιμι
εὐεργετεῖν αὐτοὺς ὥσπερ σὺ νῦν με κελεύεις
εὐεργετεῖν ὑμᾶς. »
(29) - « Ἦ καὶ δύναιο ἄν, » ἔφη, « ὦ Κῦρε, ἐν τῷ
παρόντι νῦν εὑρεῖν ὅτῳ ἂν χαρίσαιο ὅσαπερ τῷ
ἐμῷ πατρί; Αὐτίκα, ἔφη, ἤν τινα ἐᾷς ζῆν τῶν σε
μηδὲν ἠδικηκότων, τίνα σοι τούτου χάριν οἴει
αὐτὸν εἴσεσθαι; Τί δ', ἢν αὐτοῦ τέκνα καὶ
γυναῖκα μὴ ἀφαιρῇ, τίς σε τούτου ἕνεκα
φιλήσει μᾶλλον ἢ ὁ νομίζων προσήκειν αὑτῷ
ἀφαιρεθῆναι; Τὴν δ' ᾿Αρμενίων βασιλείαν εἰ μὴ
ἕξει, οἶσθά τινα, ἔφη, λυπούμενον μᾶλλον ἢ
ἡμᾶς; οὐκοῦν καὶ τοῦτ', ἔφη, δῆλον ὅτι ὁ
μάλιστα λυπούμενος εἰ μὴ βασιλεὺς εἴη οὗτος
καὶ λαβὼν τὴν ἀρχὴν μεγίστην ἄν σοι χάριν εἰδείη.
| [3,1,20] — Alors tu crois, dit Cyrus, qu’une défaite qui lui fait voir qu’il y a
des gens meilleurs que lui est capable de rendre un homme sage ?
— Beaucoup plus qu’une défaite dans un combat, dit Tigrane. On a vu
plus d’une fois un homme vaincu par la force croire qu’en exerçant son
corps, il pourrait reprendre le combat, et des États subjugués se flattent de
pouvoir, en s’adjoignant des alliés, recommencer la guerre ; mais ceux
que l’on a jugés supérieurs à soi, on consent souvent même sans
contrainte à leur obéir.
(21) — Tu sembles oublier, dit Cyrus, que les hommes violents
connaissent des gens qui sont plus modérés qu’eux, les voleurs des
gens qui ne volent pas, les menteurs des gens qui disent la vérité, les
criminels des gens qui pratiquent la justice. Ne sais-tu pas, ajouta-t-il, que,
dans le cas présent, ton père a menti et n’a pas respecté les accords
conclus entre nous, tout en sachant que de notre côté, nous ne violons
aucune des clauses dont Astyage est convenu avec vous ?
(22) — Mais moi non plus, je ne prétends pas que le seul fait de connaître
des gens meilleurs que soi rend plus sage ; il faut encore être puni par
ceux qui vous sont supérieurs, comme l’est en ce moment mon père.
— Mais, reprit Cyrus, ton père n’a souffert jusqu’ici aucun mal ; il est
vrai qu’il a peur, je le sais, de subir le dernier des châtiments.
(23) — Imagines-tu rien, dit Tigrane, qui asservisse plus les âmes qu’une
forte crainte ? Ne sais-tu pas que ceux qui sont frappés par le fer, ce
qu’on regarde comme le châtiment le plus fort, désirent cependant
reprendre la lutte contre les mêmes hommes ? mais ceux que l’on
redoute violemment, même s’ils vous consolent, ceux-là on ne peut les
regarder en face. — Tu prétends, reprit Cyrus, que la crainte châtie les
hommes plus que la punition effective ?
(24) — Tu sais bien toi-même que je dis vrai ; tu sais aussi que ceux qui
craignent d’être exilés de leur patrie et ceux qui sont sur le point de livrer
bataille et redoutent la défaite, passent les jours dans le découragement ;
de même que les navigateurs qui ont peur du naufrage et ceux qui
craignent l’esclavage et les chaînes, tous ceux-là ne peuvent prendre de
nourriture ni de repos, à cause de leur crainte ; mais une fois exilés, une
fois vaincus, une fois réduits en esclavage, ils sont capables parfois de
manger et de dormir mieux même que les gens heureux. (25) Voici
quelques exemples encore qui te montreront clairement quel fardeau est
la peur. Certains hommes craignant d’être mis à mort, s’ils sont pris, se
font mourir auparavant sous le coup de la peur, les uns en se précipitant,
les autres en se pendant, les autres en s’égorgeant, tant il est vrai que
de tout ce qui est à redouter, c’est la peur qui abat le plus les âmes !
Quant à mon père, ajouta-t-il, dans quelles dispositions d’esprit crois-tu
qu’il est en ce moment, lui qui redoute l’esclavage non pas seulement
pour lui-même, mais encore pour moi, pour sa femme, pour tous ses enfants ?»
Cyrus répondit :
(26) «Je crois sans peine qu’il est pour le moment dans ces dispositions
; mais je crois aussi que le même homme peut être insolent dans la
prospérité et abattu rapidement par l’insuccès, et que si, de nouveau, il
se relève, il reprend son arrogance et suscite de nouveaux embarras.
(27) — Par Zeus, dit Tigrane, nos fautes t’autorisent à te défier de nous,
Cyrus ; mais tu peux élever des fortifications, occuper nos places fortes, et
prendre toutes les garanties que tu voudras. Malgré cela, ajouta-t-il, nous
n’en serons pas au désespoir ; car nous nous souviendrons que c’est
nous qui en sommes la cause. Et si, confiant le pouvoir à un homme
irréprochable, tu sembles t’en défier, prends garde que malgré tes
bienfaits, il ne te regarde pas comme un ami ; si, au contraire, pour te
garder de sa haine, tu ne lui imposes pas un joug qui l’empêche d’être
insolent, prends garde que tu n’aies à l’assagir lui aussi plus encore
que tu n’as dû le faire à présent pour nous.
(28) — Oui, par les dieux, répondit Cyrus, je vois bien que je n’aurais
que du déplaisir à employer des serviteurs, si je savais qu’ils ne me
servent que par contrainte. Mais si je crois trouver de la bienveillance et
de l’amitié dans les serviteurs qui m’aident en ce que j’ai à faire, je
les supporterai plus facilement même en faute, ce me semble, que des
serviteurs qui me haïraient tout en remplissant leurs devoirs
scrupuleusement, par contrainte.» Tigrane reprit : «Tu parles d’amitié.
Qui jamais peut t’en montrer autant que tu peux en avoir de nous à présent ?
— Ceux-là, je crois, répondit-il, qui n’ont jamais été mes ennemis, si je
consens à les favoriser comme tu m’engages maintenant à vous
favoriser, vous.
(29) — Et pourrais-tu, Cyrus, reprit-il, dans les circonstances présentes,
trouver quelqu’un à qui tu pourrais faire une aussi grande faveur qu’à
mon père ? Par exemple, ajouta-t-il, si tu laisses vivre un homme qui n’a
aucun tort envers toi, quel gré penses-tu qu’il t’en saura ? Et si tu ne lui
ravis ni ses enfants ni sa femme, qui est-ce qui t’aimera pour cela plus
que celui qui estime que tu es en droit de les lui enlever ? De même pour
le royaume d’Arménie, crois-tu qu’il y ait quelqu’un qui s’afflige plus
que nous de ne pas l’avoir ? N’est-il pas évident aussi que celui qui
serait le plus chagriné de n’être pas roi, ce serait précisément celui-là
qui, recevant de toi le pouvoir, aurait pour toi la plus grande
reconnaissance ?
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