[3,48] πρῶτον μὲν γὰρ ἂν τίς φανείη στρατηγὸς ἀλογιστότερος
Ἀννίβου, τίς καὶ σκαιότερος ἡγεμών, ὃς τοσούτων ἡγούμενος
δυνάμεων καὶ τὰς μεγίστας ἐλπίδας ἔχων ἐν τούτοις
τοῦ κατορθώσειν τοῖς ὅλοις, οὔτε τὰς ὁδοὺς οὔτε
τόπους, ὡς οὗτοί φασιν, οὔτε ποῦ πορεύεται τὸ
παράπαν οὔτε πρὸς τίνας ἐγίνωσκε, τὸ δὲ πέρας,
οὐδ´ εἰ καθόλου {τοὐναντίον} δυνατοῖς ἐπιβάλλεται
πράγμασιν; ἀλλ´ ὅπερ οἱ τοῖς ὅλοις ἐπταικότες καὶ
κατὰ πάντα τρόπον ἐξαποροῦντες οὐχ ὑπομένουσιν,
ὥστ´ εἰς ἀπρονοήτους καθιέναι τόπους μετὰ δυνάμεως,
τοῦτο περιτιθέασιν οἱ συγγραφεῖς Ἀννίβᾳ τῷ
τὰς μεγίστας ἐλπίδας ἀκεραίους ἔχοντι περὶ τῶν
καθ´ αὑτὸν πραγμάτων. ὁμοίως δὲ καὶ τὰ περὶ
τῆς ἐρημίας, ἔτι δ´ ἐρυμνότητος καὶ δυσχωρίας τῶν
τόπων ἔκδηλον ποιεῖ τὸ ψεῦδος αὐτῶν. οὐχ ἱστορήσαντες
γὰρ ὅτι συμβαίνει τοὺς Κελτοὺς τοὺς παρὰ
τὸν Ῥοδανὸν ποταμὸν οἰκοῦντας οὐχ ἅπαξ οὐδὲ δὶς
πρὸ τῆς Ἀννίβου παρουσίας, οὐδὲ μὴν πάλαι προσφάτως
δέ, μεγάλοις στρατοπέδοις ὑπερβάντας τὰς
Ἄλπεις παρατετάχθαι μὲν Ῥωμαίοις, συνηγωνίσθαι
δὲ Κελτοῖς τοῖς τὰ περὶ τὸν Πάδον πεδία κατοικοῦσι,
καθάπερ ἡμεῖς ἐν τοῖς πρὸ τούτων ἐδηλώσαμεν,
πρὸς δὲ τούτοις οὐκ εἰδότες ὅτι πλεῖστον
ἀνθρώπων φῦλον κατ´ αὐτὰς οἰκεῖν συμβαίνει τὰς
Ἄλπεις, ἀλλ´ ἀγνοοῦντες ἕκαστα τῶν εἰρημένων
ἥρω τινά φασιν ἐπιφανέντα συνυποδεῖξαι τὰς ὁδοὺς
αὐτοῖς. ἐξ ὧν εἰκότως ἐμπίπτουσιν εἰς τὸ παραπλήσιον
τοῖς τραγῳδιογράφοις. καὶ γὰρ ἐκείνοις
πᾶσιν αἱ καταστροφαὶ τῶν δραμάτων προσδέονται
θεοῦ καὶ μηχανῆς διὰ τὸ τὰς πρώτας ὑποθέσεις
ψευδεῖς καὶ παραλόγους λαμβάνειν, τούς τε συγγραφέας
ἀνάγκη τὸ παραπλήσιον πάσχειν καὶ ποιεῖν
ἥρωάς τε καὶ θεοὺς ἐπιφαινομένους, ἐπειδὰν τὰς
ἀρχὰς ἀπιθάνους καὶ ψευδεῖς ὑποστήσωνται. πῶς
γὰρ οἷόν τε παραλόγοις ἀρχαῖς εὔλογον ἐπιθεῖναι
τέλος; Ἀννίβας γε μὴν οὐχ ὡς οὗτοι γράφουσιν,
λίαν δὲ περὶ ταῦτα πραγματικῶς ἐχρῆτο ταῖς ἐπιβολαῖς.
καὶ γὰρ τὴν τῆς χώρας ἀρετήν, εἰς ἣν
ἐπεβάλετο καθιέναι, καὶ τὴν τῶν ὄχλων ἀλλοτριότητα
πρὸς Ῥωμαίους ἐξητάκει σαφῶς, εἴς τε τὰς
μεταξὺ δυσχωρίας ὁδηγοῖς καὶ καθηγεμόσιν ἐγχωρίοις
ἐχρῆτο τοῖς τῶν αὐτῶν ἐλπίδων μέλλουσι
κοινωνεῖν. ἡμεῖς δὲ περὶ τούτων εὐθαρσῶς ἀποφαινόμεθα
διὰ τὸ περὶ τῶν πράξεων παρ´ αὐτῶν
ἱστορηκέναι τῶν παρατετευχότων τοῖς καιροῖς, τοὺς
δὲ τόπους κατωπτευκέναι καὶ τῇ διὰ τῶν Ἄλπεων
αὐτοὶ κεχρῆσθαι πορείᾳ γνώσεως ἕνεκα καὶ θέας.
| [3,48] Pourrait-on en effet trouver un général
plus inconsidéré, un chef moins avisé qu'Hannibal, si,
comme ils le prétendent, il s'était mis en marche à
la tête d'une armée aussi nombreuse, sur laquelle il
comptait fermement pour remporter le triomphe le
plus complet, sans s'être le moins du monde informé
de la route à suivre, des pays qu'on devait traverser,
des peuples chez lesquels il faudrait passer ? N'était-ce
pas tenter une entreprise absolument impossible?
Cette action, devant laquelle reculeraient même des
gens perdus sans ressources et réduits à toute extrémité,
de s'engager avec une armée dans une région
inconnue, ils l'attribuent à Hannibal à un moment où
ses plus belles espérances de victoire n'étaient même
pas entamées. En outre, quand ils nous représentent
ces montagnes comme désertes, abruptes et inaccessibles,
il est évident qu'ils sont bien loin de la réalité.
Ils ne savaient donc pas qu'avant la venue d'Hannibal
les Gaulois des bords du Rhône avaient plus d'une fois
passé les Alpes et qu'ils venaient encore de le faire
tout récemment, avec des forces considérables, pour
aller — comme je l'ai dit plus haut — se joindre à
leurs frères des plaines du Pô en guerre avec les Romains?
Ils ignoraient également que les Alpes même
sont habitées par une population très nombreuse ? Il
fallait ne rien connaître de tout cela, pour se croire
obligé de faire apparaître je ne sais quel héros, qui
vient servir de guide aux Carthaginois. Ils ont donné,
ce me semble, dans le même écueil que les auteurs tragiques :
ces poètes ont toujours besoin, pour le dénouement
de leurs pièces, d'un "deus ex machina", parce
qu'ils partent de données fictives et invraisemblables ;
c'est pour la même raison que nos historiens se voient
forcés d'avoir recours à des apparitions de dieux et
de héros, quand ils ont commencé par raconter des
faits incroyables et mensongers : comment ferait-on
finir raisonnablement un récit dont le début est contraire
à la raison ? Pour ce qui est d'Hannibal, loin
de tenir la conduite que ces écrivains lui attribuent,
il agit en cette circonstance avec la plus grande prudence :
il s'était soigneusement assuré des ressources
du pays où il allait s'engager et des sentiments hostiles
aux Romains qui y régnaient ; pour les passages difficiles,
il se faisait conduire par des guides indigènes,
qui avaient les mêmes intérêts que lui et qu'animaient
les mêmes espérances. Je puis parler de ces événements
avec assurance, parce que je tiens mes renseignements
de témoins contemporains et que j'en ai visité le théâtre
au cours d'un voyage que j'ai fait dans les Alpes
pour observer de mes propres yeux ce qui en était.
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