[17] (17a) Ἐν δ´ ἐτίθει δύο κῆρε τανηλεγέος θανάτοιο,
τὴν μὲν Ἀχιλλῆος τὴν δ´ Ἕκτορος ἱπποδάμοιο,
ἕλκε δὲ μέσσα λαβών· ῥέπε δ´ Ἕκτορος αἴσιμον ἦμαρ,
ᾤχετο δ´ εἰς Ἀίδαο, λίπεν δέ ἑ Φοῖβος Ἀπόλλων,
τραγῳδίαν ὁ Αἰσχύλος ὅλην τῷ μύθῳ περιέθηκεν, ἐπιγράψας Ψυχοστασίαν καὶ
παραστήσας ταῖς πλάστιγξι τοῦ Διὸς ἔνθεν μὲν τὴν Θέτιν ἔνθεν δὲ τὴν Ἠῶ,
δεομένας ὑπὲρ τῶν υἱέων μαχομένων. Τοῦτο δὲ παντὶ δῆλον ὅτι μυθοποίημα καὶ
πλάσμα πρὸς ἡδονὴν ἢ ἔκπληξιν ἀκροατοῦ γέγονε. Τὸ δὲ
(17b) Ζεύς, ὅς τ´ ἀνθρώπων ταμίης πολέμοιο τέτυκται
καὶ τὸ
Θεὸς μὲν αἰτίαν φύει βροτοῖς,
ὅταν κακῶσαι δῶμα παμπήδην θέλῃ,
ταῦτα δ´ ἤδη κατὰ δόξαν εἴρηται καὶ πίστιν αὐτῶν, ἣν ἔχουσιν ἀπάτην περὶ
θεῶν καὶ ἄγνοιαν εἰς ἡμᾶς ἐκφερόντων καὶ μεταδιδόντων. Πάλιν αἱ περὶ τὰς
νεκυίας τερατουργίαι καὶ διαθέσεις ὀνόμασι φοβεροῖς ἐνδημιουργοῦσαι
φάσματα καὶ εἴδωλα ποταμῶν φλεγομένων καὶ τόπων ἀγρίων καὶ κολασμάτων
σκυθρωπῶν οὐ πάνυ πολλοὺς διαλανθάνουσιν (17c) ὅτι τὸ μυθῶδες αὐτοῖς πολὺ
καὶ τὸ ψεῦδος ὥσπερ τροφαῖς τὸ φαρμακῶδες ἐγκέκραται. Καὶ οὔθ´ Ὅμηρος οὔτε
Πίνδαρος οὔτε Σοφοκλῆς πεπεισμένοι ταῦτ´ ἔχειν οὕτως ἔγραψαν·
Ἔνθεν τὸν ἄπειρον ἐρεύγονται σκότον
βληχροὶ δνοφερᾶς νυκτὸς ποταμοί,
καὶ
Πὰρ δ´ ἴσαν Ὠκεανοῦ τε ῥοὰς καὶ Λευκάδα πέτρην,
καὶ
Στενωπὸς Ἅιδου καὶ παλιρροία βυθοῦ.
Ὅσοι μέντοι τὸν θάνατον ὡς οἰκτρὸν ἢ τὴν ἀταφίαν ὡς δεινὸν ὀλοφυρόμενοι
καὶ δεδιότες φωνὰς ἐξενηνόχασι
Μή μ´ ἄκλαυτον ἄθαπτον ἰὼν ὄπιθεν καταλείπειν
καὶ
Ψυχὴ δ´ ἐκ ῥεθέων πταμένη Ἀϊδόσδε βεβήκει,
(17d) ὃν πότμον γοόωσα, λιποῦς´ ἁδρότητα καὶ ἥβην
καὶ
Μή μ´ ἀπολέσῃς ἄωρον· ἡδὺ γὰρ τὸ φῶς
λεύσσειν· τὰ δ´ ὑπὸ γῆς μή μ´ ἰδεῖν ἀναγκάσῃς,
αὗται πεπονθότων εἰσὶ καὶ προεαλωκότων ὑπὸ δόξης καὶ ἀπάτης. Διὸ μᾶλλον
ἅπτονται καὶ διαταράττουσιν ἡμᾶς, ἀναπιμπλαμένους τοῦ πάθους καὶ τῆς
ἀσθενείας ἀφ´ ἧς λέγονται.
Πρὸς ταῦτα δὴ πάλιν παρασκευάζωμεν εὐθὺς ἐξ ἀρχῆς ἔχειν ἔναυλον ὅτι
ποιητικῇ μὲν οὐ πάνυ μέλον ἐστὶ τῆς ἀληθείας, ἡ δὲ περὶ ταῦτ´ ἀλήθεια καὶ
τοῖς μηδὲν (17e) ἄλλο πεποιημένοις ἔργον ἢ γνῶσιν καὶ μάθησιν τοῦ ὄντος εὖ
μάλα δυσθήρατός ἐστι καὶ δύσληπτος, ὡς ὁμολογοῦσιν αὐτοί. Καὶ τὰ
Ἐμπεδοκλέους ἔστω πρόχειρα ταυτί·
Οὕτως οὔτ´ ἐπιδερκτὰ τάδ´ ἀνδράσιν οὔτ´ ἐπακουστὰ
οὔτε νόῳ περιληπτά,
καὶ τὰ Ξενοφάνους·
Καὶ τὸ μὲν οὖν σαφὲς οὔτις ἀνὴρ γένετ´ οὐδέ τις ἔσται
(17f) εἰδὼς ἀμφὶ θεῶν τε καὶ ἅσσα λέγω περὶ πάντων,
καὶ νὴ Δία τὰ Σωκράτους ἐξομνυμένου παρὰ Πλάτωνι τὴν περὶ τούτων γνῶσιν.
Ἧττον γὰρ ὡς εἰδόσι τι περὶ τούτων προσέξουσι τοῖς ποιηταῖς ἐν οἷς τοὺς
φιλοσόφους ἰλιγγιῶντας ὁρῶσιν.
Ἔτι δὲ μᾶλλον ἐπιστήσομεν αὐτὸν ἅμα τῷ προσάγειν τοῖς ποιήμασιν
ὑπογράφοντες τὴν ποιητικὴν ὅτι μιμητικὴ τέχνη καὶ δύναμίς ἐστιν
ἀντίστροφος τῇ ζῳγραφίᾳ. Καὶ μὴ μόνον ἐκεῖνο τὸ θρυλούμενον ἀκηκοὼς ἔστω,
| [17] (17a) "Le souverain des dieux dans sa balance d'or
A placé les destins et d'Achille et d'Hector.
Pour consulter du sort la sentence éternelle,
Il les pèse avec soin de sa main immortelle.
Du magnanime Hector les jours infortunés
Penchent, et vers la mort déjà sont entraînés.
Forcé par les destins, Apollon l'abandonne".
C'est d'après cette idée qu'Eschyle a composé une tragédie intitulée la
Balance des âmes, où il représente Thétis et l'Aurore placées aux
deux côtés de la balance de Jupiter, et intercédant pour leurs fils
Achille et Memnon, qui combattent l'un contre l'autre. C'est, comme on
voit, une fiction imaginée par le poète pour amuser ou frapper le lecteur.
Mais ce vers d'Homère :
(17b) "Jupiter aux mortels dispense seul la guerre" ;
et ceux-ci d'un autre poète :
"Quand Dieu veut d'un mortel abattre la puissance,.
Lui-même de ses maux prépare la semence";
ces vers, dis-je, expriment la pensée des poètes et les fausses opinions
qu'ils ont sur la divinité. Au contraire, dans ces descriptions des enfers
qui nous présentent, sous les noms les plus terribles, des spectres
affreux, des torrents qui roulent des flammes, des lieux horribles et des
tourments épouvantables, il n'est personne (17c) qui ne sente combien le
mensonge s'y trouve confondu avec la vérité, comme le poison est
quelquefois mêlé dans les aliments.
Aussi Homère, Pindare et Sophocle ne croyaient-ils pas eux-mêmes ce qu'ils
en ont écrit dans les passages suivants :
"Là, du sein de ces eaux brûlantes
Que couvre une éternelle horreur,
S'exhalent des vapeurs sanglantes,
Dont l'enfer nourrit sa fureur.
Ils vont en côtoyant ces roches blanchissantes,
Où la mer vient briser ses vagues écumantes.
De l'empire des morts le gouffre ténébreux
Roule, au sein de la nuit, ses flots tumultueux".
Mais les plaintes que tant de poètes font sur la mort et la privation de
la sépulture, qu'ils déplorent comme de grands malheurs :
"Ne souffrez pas qu'ici, privé de sépulture,
Aux vautours inhumains je serve de pâture.
Son âme, pleine encor de force et de vigueur,
(17d) S'envole, et de son sort déplore la rigueur.
Épargnez ma tendre jeunesse;
Laissez-moi de la vie éprouver les douceurs;
Que de ces lieux où règne la tristesse,
Mes yeux longtemps encore ignorent les horreurs";
toutes ces plaintes expriment les vrais sentiments des poètes, et sont la
suite des fausses opinions qu'ils ont adoptées. C'est ainsi qu'ils font
passer dans notre âme le trouble et la faiblesse qu'ils éprouvent, et qui
leur inspirent ces discours.
Pour arrêter le prestige de leur séduction, il faut de bonne heure
prévenir les jeunes gens que la poésie fait peu de cas de la vérité ;
qu'il est même très difficile à ceux qui ne cherchent que le vrai (17e) de
la démêler dans leurs fictions. Les poètes eux-mêmes en conviennent, et je
puis citer en témoignage ces vers d'Empédocle :
"Tout l'effort des humains ne saurait dévoiler
Ce qu'en nos fictions il nous plaît de celer",
et ceux-ci de Xénophane :
"Il n'est point de mortel qui puisse bien comprendre
(17f) Ce qu'en parlant des dieux mes vers ont fait entendre".
J'en ai encore pour garant Socrate lui-même, qui déclare dans Platon (de
Rep., l. 2 et 3) qu'il n'a aucune intelligence de ces fictions poétiques.
On sera donc moins disposé à en croire les poètes, lorsqu'on verra que les
philosophes y sont embarrassés, et se perdent dans ces recherches.
Voulez-vous garantir plus sûrement les jeunes gens de cette séduction? En
leur mettant dans les mains les ouvrages des poètes, commencez par les
avertir que la poésie est un art imitateur et rival de la peinture ;
et non pas seulement dans ce sens si connu de tout le monde :
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