[2,10] Εὖγ´, ὦ Τύχη, τὸν Ἀλέξανδρον αὔξεις καὶ μέγαν
ποιεῖς, διορύττουσα πανταχόθεν, ὑπερείπουσα, πᾶν μέρος
ἀνοίγουσα τοῦ σώματος· οὐχ ὥσπερ ἡ Ἀθηνᾶ πρὸ τοῦ
Μενελάου τὸ βέλος εἰς τὰ καρτερώτατα τῶν
ὅπλων ὑπάγουσα θώρακι καὶ μίτρᾳ καὶ ζωστῆρι τῆς
πληγῆς τὸν τόνον ἀφεῖλε θιγούσης τοῦ σώματος, ὅσον
αἵματι πρόφασιν ῥυῆναι, ἀλλὰ γυμνὰ παρέχουσα τοῖς
βέλεσι τὰ καίρια, καὶ δι´ ὀστέων ἐλαύνουσα τὰς πληγάς,
καὶ περιτρέχουσα κύκλῳ τὸ σῶμα, καὶ πολιορκοῦσα τὰς
ὄψεις, τὰς βάσεις, ἐμποδίζουσα τὰς διώξεις, περισπῶσα
τὰς νίκας, ἀνατρέπουσα τὰς ἐλπίδας". ἐμοὶ μὲν οὐδεὶς
βαρυτέρᾳ δοκεῖ κεχρῆσθαι Τύχῃ τῶν βασιλέων, καίτοι
πολλοῖς ἐνέπεσε σκληρὰ καὶ βάσκανος· ἀλλ´ ὡς σκηπτὸς
ἀπέκοψε τοὺς ἄλλους καὶ διέφθειρε, πρὸς δ´ Ἀλέξανδρον
αὐτῆς τὸ δυσμενὲς γέγονε φιλόνεικον καὶ δύσερι καὶ
δυσεκβίαστον, ὥσπερ πρὸς τὸν Ἡρακλέα. ποίους γὰρ
Τυφῶνας ἢ πελωρίους γίγαντας οὐκ ἀνέστησεν ἀνταγωνιστὰς
ἐπ´ αὐτόν; ἢ τίνας οὐκ ὠχύρωσε τῶν πολεμίων
πλήθεσιν ὅπλων ἢ βάθεσι ποταμῶν ἢ τραχύτησι κρημνῶν
ἢ θηρίων ἀλκαῖς ἀλλοφύλων; εἰ δὲ μὴ μέγ´
ἦν τὸ Ἀλεξάνδρου φρόνημα μηδ´ ἀπ´ ἀρετῆς ὁρμώμενον
μεγάλης ἐξανέφερε καὶ διηρείδετο πρὸς τὴν Τύχην,
οὐκ ἂν ἔκαμε καὶ ἀπηγόρευσε παραταττόμενος ἐξοπλιζόμενος
πολιορκῶν διώκων Βάκτρα Μαράκανδα Σογδιανούς,
μετακαλούμενος ἀποστάσεσι μυρίαις, ἀποτροπαῖς σκιρτήσεσιν
ἐθνῶν, βασιλέων ἀφηνιασμοῖς, ἐν ἔθνεσιν ἀπίστοις
καὶ ἐπιβούλοις ὕδραν τέμνων ἀεί τισι πολέμοις ἐπιβλαστάνουσαν;
| [2,10] «Courage donc, Fortune ! Tu grandis Alexandre et tu
fais de lui un géant, lorsque tu le cribles de toutes parts,
lorsque tu le bats en brèche, lorsque tu transperces chaque
partie de son corps. Tu ne te conduis pas comme Minerve,
qui détournait sur les pièces les plus solides de l'armure le
javelot lancé contre Ménélas : la cuirasse, le ceinturon, le
baudrier de celui qu'elle favorisait amortirent la force du
coup ; la peau ne fut qu'effleurée, et à peine aurait-on pu
dire qu'il y eût effusion de sang. Mais toi, Fortune, tu présentes
aux javelots les membres d'Alexandre nus et complétement
découverts ; tu fais pénétrer les coups jusqu'à
l'os; tu fais le tour de son corps ; tu assiéges ses yeux et ses
jambes ; tu l'entraves quand il poursuit l'ennemi ; tu lui arraches
ses victoires par lambeaux; tu ruines ses espérances.
Pour moi, il me semble qu'aucun monarque n'a plus cruellement
éprouvé les rigueurs de la Fortune, quoiqu'elle se
soit appesantie sur plusieurs d'entre eux avec bien de la
rage et de la jalousie. Mais elle a frappé et anéanti les
autres comme aurait fait la foudre, tandis que sa haine
contre Alexandre a été d'une opiniâtreté, d'un acharnement
que rien n'a pu vaincre. On eût dit qu'elle se mesurait avec
Hercule. Quels Typhons, quels géants monstrueux ne suscita-t-elle
pas contre le héros macédonien pour lui faire la
guerre ! Quelles villes ennemies ne fortifia-t-elle pas en les
approvisionnant d'armes, en les entourant de fleuves profonds,
de précipices escarpés, en associant à leur défense
des animaux étrangers et d'une force extraordinaire ! Que
si Alexandre n'avait pas été doué de la plus grande énergie,
s'il n'avait pas puisé dans sa vertu sublime les plus généreuses
inspirations pour se roidir contre la Fortune, n'aurait-il
pas succombé sous le découragement au milieu de
tant de batailles à soutenir, de tant de troupes à équiper,
de tant de siéges, de tant de poursuites à continuer, de tant
de défections, de tant de haines, de tant d'assauts des différentes
nations, de tant de révoltes de rois qui secouaient
son joug, rois de Bactriane, rois de Maracande, rois de
Sogdiane? Au milieu de tant de peuples inconstants et perfides,
la guerre était comme une hydre dont il coupait toujours
les têtes et dont les têtes toujours renaissaient.
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