[2,4] Εἴπωμεν οὖν, ὅτι μικροὺς ἡ Τύχη ποιεῖ καὶ περιδεεῖς
καὶ ταπεινόφρονας—ἀλλ´ οὐ δίκαιον οὔτε κακίαν
εἰς ἀτυχίαν οὔτ´ ἀνδρείαν καὶ φρόνησιν εἰς εὐτυχίαν τινὰ
τίθεσθαι—, μέγα〈ν δὲ τῷ ἄρχειν Ἀλέξανδρον; - - -
ἡ Τύχη; καὶ γὰρ ἔνδοξος ἐν ἐκείνῳ καὶ ἀήττητος καὶ
μεγαλόφρων καὶ ἀνύβριστος καὶ φιλάνθρωπος· εἶτ´
ἐκλιπόντος εὐθὺς ὁ Λεωσθένης ἔλεγε τὴν δύναμιν ἐμπλανωμένην
ἑαυτῇ καὶ περιπίπτουσαν ἐοικέναι τῷ Κύκλωπι
μετὰ τὴν τύφλωσιν ἐκτείνοντι πανταχοῖ τὰς χεῖρας ἐπ´
οὐδένα σκοπὸν φερομένας· οὕτως ἐρρέμβετο κενεμβατοῦν
καὶ σφαλλόμενον ὑπ´ ἀναρχίας τὸ μέγεθος αὐτῆς. μᾶλλον
δ´ ὥσπερ τὰ νεκρὰ σώματα, τῆς ψυχῆς ἐκλιπούσης,
οὐκέτι συνέστηκεν οὐδὲ συμπέφυκεν, ἀλλ´ ἐξίσταται καὶ
διαλύεται {ἀπ´ ἀλλήλων} καὶ ἄπεισι καὶ φεύγει, οὕτως
ἀφεῖσα τὸν Ἀλέξανδρον ἡ δύναμις ἤσπαιρεν, ἐπάλλετο,
ἐφλέγμαινε Περδίκκαις καὶ Μελεάγροις καὶ Σελεύκοις
καὶ Ἀντιγόνοις ὥσπερ πνεύμασι θερμοῖς ἔτι καὶ σφυγμοῖς
διᾴττουσι καὶ διαφερομένοις· τέλος δ´ ἀπομαραινομένη
καὶ φθίνουσα περὶ αὑτὴν οἷον εὐλάς τινας ἀνέζεσεν
ἀγεννῶν βασιλέων καὶ ἡγεμόνων ψυχορραγούντων. αὐτὸς
μὲν οὖν ταῦθ´ ὡς ἔοικεν Ἡφαιστίωνι διενεχθέντι πρὸς
Κρατερὸν ἐπιτιμῶν "τίς δ´" εἶπεν "ἡ σὴ δύναμις ἢ πρᾶξις,
ἄν σού τις ἀφέλῃ τὸν Ἀλέξανδρον;" ἐγὼ δὲ τοῦτ´ εἰπεῖν
πρὸς τὴν τότε Τύχην οὐκ ὀκνήσω "τί σου τὸ μέγεθος,
τίς δ´ ἡ δόξα, ποῦ δ´ ἡ δύναμις, ποῦ δὲ τὸ ἀνίκητον, ἄν
σού τις ἀφέλῃ τὸν Ἀλέξανδρον;" τουτέστιν "ἄν σού τις
ἀφέλῃ τῶν ὅπλων τὴν ἐμπειρίαν, τοῦ πλούτου τὴν φιλοτιμίαν,
τῆς πολυτελείας τὴν ἐγκράτειαν, ὧν ἀγωνίζῃ τὸ
θάρσος, ἐν οἷς κρατεῖς τὴν πραότητα; ποίησον ἄλλον εἰ
δύνασαι μέγαν, τοῖς χρήμασι μὴ χαριζόμενον, τοῖς
στρατεύμασι μὴ προκινδυνεύοντα, τοὺς φίλους μὴ τιμῶντα,
τοὺς αἰχμαλώτους μὴ ἐλεοῦντα, ταῖς ἡδοναῖς μὴ σωφρονοῦντα,
τοῖς καιροῖς μὴ ἀγρυπνοῦντα, ταῖς νίκαις μὴ
εὐδιάλλακτον, τοῖς κατορθώμασι μὴ φιλάνθρωπον. τίς
μέγας ἐν ἐξουσίαις μετ´ ἀβελτερίας καὶ μοχθηρίας; ἄφελε
τὴν ἀρετὴν τοῦ εὐτυχοῦντος, καὶ πανταχοῦ μικρός ἐστιν,
ἐν χάρισι διὰ σμικρολογίαν, ἐν πόνοις διὰ μαλακίαν, παρὰ
θεοῖς διὰ δεισιδαιμονίαν, πρὸς ἀγαθοὺς διὰ φθόνον, ἐν
ἀνδράσι διὰ φόβον, ἐν γυναιξὶ διὰ φιληδονίαν". ὥσπερ γὰρ
οἱ φαῦλοι τεχνῖται βάσεις μεγάλας μικροῖς ὑφιστάντες
ἀναθήμασιν ἐλέγχουσιν αὐτῶν {καὶ} τὰς μικρότητας,
οὕτως ἡ Τύχη ὅταν μικρὸν ἦθος ἐξάρῃ πράγμασιν ἔχουσιν
ὄγκον τινὰ καὶ περιφάνειαν, ἐπιδείκνυσι μᾶλλον καὶ
καταισχύνει σφαλλόμενον καὶ σαλευόμενον ὑπὸ κουφότητος.
| [2,4] Disons donc que la Fortune amoindrit les hommes,
qu'elle les rend timides et pleins de sentiments bas, mais
qu'il serait injuste de mettre la lâcheté sur le compte de
l'infortune, ou le courage et la prudence sur le compte du
bonheur. Le règne d'Alexandre rehaussa le rôle de la Fortune:
car en lui nous la voyons glorieuse, invincible, magnanime,
modérée, bienveillante. Puis, aussitôt qu'il vint à lui
manquer, elle sentit, comme le remarque Léosthène, son
propre pouvoir aller au hasard et succomber. Elle ressemblait
au Cyclope qui, après avoir perdu son oeil, avance les
mains dans toutes les directions, sans les porter vers aucun
but : tant, malgré sa grandeur, elle tournoyait sur elle-même,
marchant dans le vide et chancelant parce qu'elle
avait perdu celui qui la dirigeait! Ou plutôt, comme les cadavres
desquels la vie s'est retirée n'ont plus rien qui entretienne
la solidité et la cohésion de leurs parties, comme
toutes se déplacent, se dissolvent, s'en vont et disparaissent;
de même le pouvoir, quand Alexandre l'eut laissé,
expirait au milieu des convulsions et des soubresauts d'une
agonie fiévreuse. Les Perdiccas, les Méléagre, les Séleucus,
les Antigone, étaient en quelque sorte ses derniers
souffles de chaleur et les dernières palpitations qui se
promenaient et ondulaient encore. Cette puissance finit par
tomber complétement en décomposition et en pourriture; et
elle fit éclore autour d'elle comme une vermine de rois ignobles
et de généraux qui n'avaient que le souffle. Du reste,
Alexandre semblait l'avoir prévu. Un jour qu'Héphestion et
Cratère se disputaient, il réprimanda vivement le premier :
«Où serait ta puissance» lui dit-il, «et que ferais-tu si l'on
t'enlevait Alexandre ?» Pour moi, je n'hésiterai pas à dire
à la Fortune de ce temps-là : « Quelle aurait été ta grandeur,
ta gloire, ta puissance, ta prétention de rester invincible,
si l'on t'avait enlevé ton Alexandre? Autrement dit,
si l'on t'avait enlevé son expérience militaire, le noble emploi
qu'il faisait de ses richesses, sa modération au milieu
de tant de luxe, son intrépidité durant la bataille, sa clémence
après la victoire? Fais, si tu le peux, un autre monarque
qui atteigne à la même grandeur que lui sans employer
ses richesses à faire des heureux, sans affronter les
périls à la tête des armées, sans honorer ses amis, sans
être plein de commisération envers les prisonniers, sans
conserver la modération au milieu des plaisirs , sans déployer,
lorsqu'il le faut, une infatigable vigilance, sans
être tout disposé à concéder la paix après une victoire, sans
rester humain dans les succès ! Quel mortel sera grand au
sein du pouvoir absolu, s'il y porte des sentiments bas et
vicieux ? Que l'on ôte la vertu à un homme heureux, et partout
il se montrera petit : il le sera dans les bienfaits par sa
mesquinerie, dans les fatigues par sa mollesse, dans le culte
des Dieux par sa superstition; dans ses rapports avec les
hommes vertueux par sa jalousie, avec les gens de coeur par
la crainte qu'ils lui inspirent, avec les femmes par son amour
de la volupté. Comme les méchants artistes, en plaçant
sur de magnifiques piédestaux leurs petites statues, ne font
que mieux ressortir l'exiguïté de l'oeuvre ; de même,
quand la Fortune élève un petit esprit à une position supérieure
et sur un brillant théâtre, elle ne fait que signaler
davantage à l'attention et au mépris les incertitudes et
les hésitations de cette tète légère.
|