[2,3] Ἀλλὰ φέρε πρὸς θεῶν ἐκτελεσθῆναι καὶ φανῆναι
τοιοῦτον ἔργον· ἔσθ´ ὅστις ἂν ἰδὼν ὑπέλαβε κατὰ τύχην
γεγονέναι καὶ αὐτομάτως τὸ σχῆμα καὶ τὴν διάθεσιν καὶ
τὸ εἶδος; οὐδεὶς ἂν οἶμαι. τί δέ; τὸν κεραυνοφόρον; τί
δέ; τὸν ἐπὶ τῆς αἰχμῆς προσαγορευόμενον; εἶτ´ ἀνδριάντος
μὲν μέγεθος οὐκ ἂν ἄνευ τέχνης ὑπὸ τύχης γένοιτο
χρυσὸν καὶ χαλκὸν καὶ ἐλέφαντα καὶ πολλὴν καὶ πλουσίαν
ὕλην καταχεαμένης καὶ παραβαλούσης, ἄνδρα δὲ
μέγαν, μᾶλλον δὲ τῶν γεγονότων ἁπάντων μέγιστον,
ἐνδέχεται χωρὶς ἀρετῆς ἀποτελεσθῆναι διὰ τύχην, ὅπλα
καὶ χρήματα καὶ στόλους καὶ ἵππους παρασκευάσασαν;
ἃ τῷ μὴ μαθόντι χρῆσθαι κίνδυνός ἐστιν οὐ δύναμις,
οὐδὲ κόσμος ἀλλ´ ἔλεγχος τῆς ἀσθενείας καὶ μικρότητος.
ὀρθῶς γὰρ Ἀντισθένης ἔλεγεν ὅτι "πάντα δεῖ τοῖς πολεμίοις
εὔχεσθαι τἀγαθὰ πλὴν ἀνδρείας· γίνεται γὰρ
οὕτως οὐ τῶν ἐχόντων, ἀλλὰ τῶν κρατούντων". διὰ τοῦτό
φασι καὶ τὴν φύσιν ἀγεννεστάτῳ ζῴῳ τῷ ἐλάφῳ κέρατα
θαυμαστὰ τῷ μεγέθει καὶ τραχύτητι πρὸς ἄμυναν ἐμφῦσαι,
διδάσκουσαν ἡμᾶς ὡς οὐδὲν ὠφελεῖ τὸ ἰσχύειν καὶ
ὡπλίσθαι τοὺς μένειν καὶ θαρρεῖν μὴ δυναμένους. οὕτως
καὶ ἡ τύχη πολλάκις ἀτόλμοις καὶ ἀνοήτοις προσάπτουσα
δυνάμεις καὶ ἀρχάς, αἷς ἐνασχημονοῦσι, κοσμεῖ καὶ συνίστησι
τὴν ἀρετὴν ὡς μόνην μέγεθος ἀνδρὸς καὶ κάλλος
οὖσαν. εἰ μὲν γάρ, ὥς φησιν Ἐπίχαρμος,
"νοῦς ὁρῇ καὶ νοῦς ἀκούει, τἄλλα δὲ τυφλὰ καὶ κωφά‘,
λόγου τυγχάνει δεόμενα. αἱ γὰρ αἰσθήσεις ἰδίας ἔχειν
ἀφορμὰς δοκοῦσιν, ὅτι δὲ νοῦς ὠφελεῖ καὶ νοῦς κοσμεῖ
καὶ νοῦς τὸ νικῶν καὶ κρατοῦν καὶ βασιλεῦον, τὰ δ´ ἄλλα
τυφλὰ καὶ κωφὰ καὶ ἄψυχα παρέλκει καὶ βαρύνει καὶ
καταισχύνει χωρὶς ἀρετῆς τοὺς ἔχοντας, ἀπὸ τῶν πραγμάτων
λαβεῖν ἔστι. τῆς γὰρ αὐτῆς δυνάμεως ὑποκειμένης
καὶ ἡγεμονίας Σεμίραμις μὲν οὖσα γυνὴ στόλους
ἐπλήρου καὶ φάλαγγας ὥπλιζε καὶ Βαβυλῶνας ἔκτιζε,
καὶ περιέπλει τὴν Ἐρυθρὰν θάλασσαν Αἰθίοπας καταστρεφομένη
καὶ Ἄραβας, Σαρδανάπαλος δ´ ἀνὴρ πεφυκὼς
ἔξαινεν οἴκοι πορφύραν, ἀναβάδην ἐν ταῖς παλλακαῖς
καθήμενος· ἀποθανόντος δ´ αὐτοῦ, λιθίνην εἰκόνα κατασκευάσαντες
ἐπορχουμένην ἑαυτῇ βαρβαριστὶ καὶ τοῖς
δακτύλοις ὑπὲρ κεφαλῆς οἷον ὑποψοφοῦσαν, ἐπέγραψαν
"ἔσθιε, πῖνε, ἀφροδισίαζε· τἄλλα δ´ οὐδέν".
ὁ μὲν οὖν Κράτης ἰδὼν χρυσῆν εἰκόνα Φρύνης τῆς
ἑταίρας ἑστῶσαν ἐν Δελφοῖς ἀνέκραγεν, ὅτι τοῦτο τῆς τῶν
Ἑλλήνων ἀκρασίας τρόπαιον ἕστηκε· τὸν δὲ Σαρδαναπάλου
βίον ἄν τις ἢ τάφον (οὐδὲν γάρ, οἶμαι, διαφέρει)
θεασάμενος εἴποι τοῦτο τῶν τῆς Τύχης ἀγαθῶν τρόπαιον
εἶναι. τί οὖν; ἐάσωμεν τὴν Τύχην Ἀλεξάνδρου μετὰ
Σαρδανάπαλον ἅψασθαι καὶ τοῦ μεγέθους ἐκείνου καὶ
τῆς δυνάμεως ἀντιποιεῖσθαι; τί γὰρ αὐτῷ πλέον ἔδωκεν
ὧν οἱ λοιποὶ βασιλεῖς ἔλαβον παρ´ αὐτῆς; ὅπλων, ἵππων,
βελῶν, χρημάτων, δορυφόρων; ποιησάτω τούτοις ἡ Τύχη
μέγαν Ἀριδαῖον, εἰ δύναται· ποιησάτω τούτοις μέγαν
{Ἄμασιν ἢ} Ὦχον ἢ Ὀάρσην ἢ Τιγράνην τὸν Ἀρμένιον ἢ
τὸν Βιθυνὸν Νικομήδην· ὧν ὁ μὲν τὸ διάδημα τοῖς Πομπηίου
ποσὶν ὑπορρίψας αἰσχρῶς τὴν βασιλείαν ἀνέλαβε,
λάφυρον γενομένην· Νικομήδης δὲ τὴν κεφαλὴν ξυράμενος
καὶ πιλίον ἐπιθέμενος ἀπελεύθερον ἑαυτὸν Ῥωμαίων
ἀνηγόρευσεν.
| [2,3] Mais, de par les Dieux, j'y consens; admettons qu'un
tel ouvrage eût été accompli et présenté aux regards. Est-il
quelqu'un qui, en le voyant, eût pensé que c'était le hasard
qui l'avait créé, qui en avait disposé la forme, l'ensemble
et le coup d'oeil ? Non, sans doute. Que dira-t-on de l'Alexandre
Porte-foudre, de l'Alexandre Porte-lance? Eh bien
donc : il sera impossible que l'art n'ait pas, à l'exclusion de
la Fortune, présidé à la confection d'une statue colossale
dans laquelle l'or, le bronze, l'ivoire, les plus riches matériaux
auront été prodigués et mis en oeuvre; et d'autre
part, un grand homme, que dis-je! le plus grand qui ait
jamais paru, on admettrait qu'il ait été, sans le concours
de la Vertu, créé, accompli par la Fortune, comme si cette
dernière s'était chargée de fournir les armes, l'argent, les
villes et les chevaux! Mais ces accessoires mêmes deviennent,
aux mains de qui ne sait pas s'en servir, un vrai danger :
loin de constituer une force et un ornement, ils ne servent
qu'à démontrer l'impuissance et la petitesse. Car Antisthène
a dit avec raison, «qu'il faut souhaiter à ses ennemis tous
les biens du monde, excepté la vaillance, attendu que les
biens deviennent le partage, non pas de ceux qui les possèdent,
mais de ceux qui savent les dominer». C'est encore
à cause de cela, dit-on, que la nature ayant fait du cerf un
animal des plus timides, lui a donné pour sa défense des
cornes merveilleusement grandes et aiguës. Elle nous enseigne
par là, qu'il ne sert à rien d'être fort et bien armé, si
l'on ne peut faire preuve ni de résistance ni d'audace. Ainsi
pareillement, la Fortune met souvent à la disposition
d'hommes lâches et privés de raison une puissance et une
autorité dont ils font l'usage le plus honteux. Mais ce n'en
est que plus honorable pour la Vertu : rien n'établit mieux
son existence; rien ne prouve plus clairement qu'elle constitue
seule la grandeur et la beauté d'un héros. Epicharme
l'a dit avec vérité : c'est l'esprit qui voit, l'esprit qui entend;
tout autre élément, tout ce qui est dénué de raison, se trouve
être aveugle et muet. Les sens paraissent, il est vrai, avoir
leurs attributions particulières ; mais c'est l'esprit qui les
utilise, et fait d'eux un ornement. L'esprit est le vainqueur,
le maître, le roi; le reste, aveugle, muet, inanimé, n'est,
sans la vertu, qu'un poids accablant et ignominieux. Les faits
sont là pour le prouver. Maîtresse du même trône, du
même empire, Sémiramis, qui n'était qu'une femme, équipait
des flottes, armait des phalanges, bâtissait des Babylones,
faisait le tour de la mer Rouge, subjuguait l'Éthiopie
et l'Arabie. Au contraire Sardanapale, un homme, filait de
la pourpre au fond de ses appartements, couché, les pieds
en l'air, parmi ses concubines; et quand il fut mort, on lui
éleva une statue en pierre, qui le représentait dansant tout
seul à la manière barbare, faisant claquer ses doigts au-dessus
de sa tête; au bas on plaça cette inscription :
«Bois, mange, fais l'amour : tout le reste n'est rien.»
Cratès ayant vu une statue d'or élevée en pleine ville de
Delphes à la courtisane Phryné, s'écria, «que c'était un trophée
dressé par les Grecs à leur propre intempérance.» Il en
est de même de Sardanapale : à considérer sa vie ou son
tombeau, (car c'est tout un, ce me semble), on pouvait dire
que c'était là un trophée élevé aux faveurs que prodigue la Fortune.
Mais quoi! Souffrirons-nous qu'après un Sardanapale la
Fortune touche à Alexandre, et qu'elle s'arroge une part
de cette grandeur et de cette puissance' ? Que lui donna-t-elle
de plus que ce qu'avaient reçu d'elle les autres rois :
à savoir, que des armes, des chevaux, des traits, de l'argent,
des soldats? Or je mets la Fortune au défi de faire avec
ces objets un grand homme d'Aridée, de faire un grand
homme d'Amasis, d'Ochus, d'Oarsès, de Tigrane l'Arménien,
de Nicomède le Bithynien, dont l'un, jetant son diadème
aux pieds de Pompée , perdit honteusement sa couronne,
devenue une vile dépouille, et dont l'autre, Nicomède,
s'étant fait raser la tête et s'étant coiffé du piléus,
se proclama lui-même affranchi des Romains.
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