[16] Ἀλλ´ ἐπεὶ πολλοὺς τὰ τοῦ Εὐριπίδου κινεῖ δυνατῶς
τῆς φυγῆς κατηγορεῖν δοκοῦντος, ἴδωμεν ἃ λέγει καθ´
ἕκαστον ἐρωτῶν καὶ ἀποκρινόμενος·
‘τί τὸ στέρεσθαι πατρίδος; ἦ κακὸν μέγα;’
‘μέγιστον· ἔργῳ δ´ ἐστὶ μεῖζον ἢ λόγῳ.’
‘τίς ὁ τρόπος αὐτοῦ; τί φυγάσιν τὸ δυστυχές;’
‘ἓν μὲν μέγιστον· οὐκ ἔχει παρρησίαν.’
‘δούλου τόδ´ εἶπας, μὴ λέγειν ἅ τις φρονεῖ.’ |
‘τὴν τῶν κρατούντων ἀμαθίαν φέρειν χρεών.’
ταῦτα πρῶθ´ ὁρᾷς ὡς οὐκ ὀρθῶς οὐδ´ ἀληθῶς ἀξιοῦται.
πρῶτον μὲν γὰρ οὐ δούλου τό ‘μὴ λέγειν ἅ τις φρονεῖ’,
ἀλλὰ νοῦν ἔχοντος ἀνδρὸς ἐν καιροῖς καὶ πράγμασιν ἐχεμυθίας
καὶ σιωπῆς δεομένοις, ὥσπερ αὐτὸς ἀλλαχόθι
βέλτιον εἴρηκε
‘σιγᾶν θ´ ὅπου δεῖ καὶ λέγειν ἵν´ ἀσφαλές·’
ἔπειτα ‘τὴν τῶν κρατούντων ἀμαθίαν’ οὐχ ἧττον οἴκοι
μένοντας ἢ φεύγοντας ἀνάγκη φέρειν, ἀλλὰ καὶ μᾶλλον
πολλάκις οἱ μένοντες τῶν ἀπαλλαγέντων τοὺς ἰσχύοντας
ἐν πόλεσιν ἀδίκως τῷ συκοφαντεῖν ἢ βιάζεσθαι δεδίασι. τὸ
δὲ μέγιστον καὶ ἀτοπώτατον, εἰ παρρησίαν τῶν φυγάδων
ἀφαιρεῖται· θαυμαστὸν γάρ, εἰ Θεόδωρος ἀπαρρησίαστος
ἦν, ὃς Λυσιμάχου τοῦ βασιλέως εἰπόντος πρὸς αὐτόν ‘ἡ
πατρίς σε τοιοῦτον ὄντ´ ἐξέβαλε;’ ‘ναί,’ εἶπε ‘μὴ δυναμένη
φέρειν ὥσπερ ἡ Σεμέλη τὸν Διόνυσον.’ ἐπιδείξαντος δ´
αὐτῷ Τελεσφόρον ἐν γαλεάγρᾳ τοὺς ὀφθαλμοὺς ἐξορωρυγμένον
καὶ περικεκομμένον τὴν ῥῖνα καὶ τὰ ὦτα καὶ τὴν
γλῶτταν ἐκτετμημένον καὶ εἰπόντος ‘οὕτως ἐγὼ διατίθημι
τοὺς κακῶς με ποιοῦντας·’ ‘τί δὲ Θεοδώρῳ μέλει’, ἔφη,
‘πότερον ὑπὲρ γῆς ἢ ὑπὸ γῆς σήπεται;’ τί δέ; Διογένης
οὐκ εἶχε παρρησίαν, ὃς εἰς τὸ Φιλίππου στρατόπεδον
παρελθών, ὁπηνίκα μαχούμενος ἐχώρει τοῖς Ἕλλησι,
καὶ πρὸς αὐτὸν ἀναχθεὶς ὡς κατάσκοπος· ναί, κατάσκοπος
ἔφη ἀφῖχθαι τῆς ἀπληστίας αὐτοῦ καὶ τῆς ἀφροσύνης
ἥκοντος ἐν βραχεῖ καιρῷ διακυβεῦσαι περὶ τῆς ἡγεμονίας
ἅμα καὶ τοῦ σώματος; τί δέ; Ἀννίβας ὁ Καρχηδόνιος οὐκ
ἐχρῆτο παρρησίᾳ πρὸς Ἀντίοχον βασιλέα ὄντα φυγὰς ὤν,
ὁπηνίκα καιροῦ διδόντος ἐκέλευσεν αὐτὸν ἐπιχειρεῖν τοῖς
πολεμίοις, τοῦ δὲ θυσαμένου καὶ τὰ σπλάγχνα κωλύειν
φάσκοντος ἐπετίμησεν εἰπών ‘σὺ τί κρέας λέγει σκοπεῖς,
οὐ τί νοῦν ἔχων ἄνθρωπος;’ ἀλλ´ οὐδὲ γεωμετρῶν φυγὴ
παρρησίαν οὐδὲ γραμματικῶν ἀφαιρεῖται, περὶ ὧν ἴσασι
καὶ μεμαθήκασι διαλεγομένων, πόθεν γε δὴ καλῶν καὶ
ἀγαθῶν ἀνθρώπων; ἀλλὰ τὸ ἀγεννὲς πανταχοῦ τὴν φωνήν
‘ἐμφράττει, τὴν γλῶσσαν ἀποστρέφει, ἄγχει, σιωπᾶν
ποιεῖ.’ τὰ δ´ ἑξῆς τοῦ Εὐριπίδου ποῖά
τιν´ ἐστίν;
‘αἱ δ´ ἐλπίδες βόσκουσι φυγάδας, ὡς λόγος.’
‘καλοῖς βλέπουσαί γ´ ὄμμασιν, μέλλουσι δέ.’
καὶ τοῦτο τῆς ἀβελτερίας ἔγκλημα μᾶλλον ἢ τῆς φυγῆς
ἐστιν. οὐ γὰρ οἱ μαθόντες οὐδ´ ἐπιστάμενοι χρῆσθαι τοῖς
παροῦσιν, ἀλλ´ οἱ ἀεὶ τοῦ μέλλοντος ἐκκρεμάμενοι καὶ
γλιχόμενοι τῶν ἀπόντων ὡς ἐπὶ σχεδίας διαφέρονται τῆς
ἐλπίδος, κἂν μηδέποτε τοῦ τείχους ἐκτὸς προέλθωσι.
‘φίλοι δὲ πατρὸς καὶ ξένοι ς´ οὐκ ὠφέλουν;’
‘εὖ πρᾶσσε· τὰ φίλων δ´ οὐδέν, ἤν τι δυστυχῇς.’
‘οὐδ´ ηὑγένειά ς´ ᾖρεν εἰς ὕψος μέγα;’
‘κακὸν τὸ μὴ ἔχειν· τὸ γένος {δὲ} οὐκ ἔβοσκέ με.’
ταῦτ´ ἤδη καὶ ἀχάριστα τοῦ Πολυνείκους ἀτιμίαν μὲν
εὐγενείας ἀφιλίαν δὲ τῆς φυγῆς κατηγοροῦντος, ὃς διὰ τὴν
εὐγένειαν ἠξιώθη μὲν φυγὰς ὢν γάμων βασιλικῶν, φίλων
δὲ συμμαχίᾳ καὶ δυνάμει τοσαύτῃ πεφραγμένος ἐστράτευσεν,
ὡς αὐτὸς μετὰ μικρὸν ὁμολογεῖ·
‘πολλοὶ δὲ Δαναῶν καὶ Μυκηναίων ἄκροι
πάρεισι, λυπρὰν χάριν ἀναγκαίαν δ´ ἐμοὶ
διδόντες.’
ὅμοια δὲ καὶ τὰ τῆς μητρὸς ὀλοφυρομένης·
‘ἐγὼ δέ σοι οὔτε πῦρ ἀνῆψα νόμιμον ἐν γάμοις - - -
ἀνυμέναια δ´ Ἰσμηνὸς ἐκηδεύθη λουτροφόρου χλιδᾶς.’
ταύτην ἔδει χαίρειν καὶ ἀγαπᾶν πυνθανομένην ναίοντα
βασίλεια τηλικαῦτα τὸν υἱόν· ἡ δὲ θρηνοῦσα τὴν οὐκ
ἀναφθεῖσαν λαμπάδα καὶ τὸν οὐ παρασχόντα λουτρὸν
Ἰσμηνόν, ὡς ἐν Ἄργει | μήθ´ ὕδωρ τῶν γαμούντων μήτε
πῦρ ἐχόντων, τὰ τοῦ τύφου κακὰ καὶ τῆς ἀβελτερίας τῇ
φυγῇ περιτίθησιν.
| [16] Mais puisque plusieurs sont frappés des passages
dans lesquels Euripide semble formuler contre l'exil des
accusations puissantes, voyons ce que fait dire ce poëte à
chacun des interlocuteurs, comme questions et comme réponses :
"JOCASTE. N'avoir plus de patrie, est-ce un mal sans recours?
POLYNICE. Oui, par le fait encor plus que par tout discours.
JOCASTE. Eh de quels maux l'exil charge-t-il donc la vie?
POLYNICE. Du plus grand : la franchise alors nous est ravie.
JOCASTE. L'esclave, bien plutôt, trahit la vérité.
POLYNICE. Il faut subir un maitre et sa stupidité".
Disons, avant tout, que ces boutades ne sont ni justes ni
vraies. D'abord l'habitude de ne pas révéler sa pensée appartient
moins aux esclaves qu'à l'homme prudent. Ce dernier
sait à merveille que certaines conjonctures, certaines
affaires veulent de la réserve et du silence, comme Euripide
lui-même l'a dit ailleurs plus judicieusement :
"Il faut savoir se taire et parler à propos".
Ensuite, pour ce qui est de supporter la stupidité et l'ignorance
d'hommes plus puissants, ce n'est pas moins en
restant chez soi que dans l'exil, qu'on est contraint de la
subir. J'irai même plus loin. Souvent ceux qui restent n'ont
pas le franc parler des bannis, à l'égard de ceux qui exercent
dans les villes une domination injuste : la crainte des
dénonciations ou de la violence rend muets les premiers.
Mais ce qui est plus grave et plus absurde que tout, c'est
de prétendre que les exilés ne peuvent parler. Singulière
était la façon avec laquelle Théodore manquait de franchise.
Le roi Lysimaque lui demandait comment sa patrie avait
condamné à l'exil un homme tel que lui : « C'est tout simple,
dit Théodore. Elle ne pouvait plus me porter, comme Sémélé
ne pouvait plus porter Bacchus. Et pourtant Lysimaque
venait de lui montrer dans une cage Télesphorus,
à qui il avait fait crever les yeux, mutiler le nez avec les
oreilles, et couper la langue. En même temps il avait dit à
Théodore : "Voilà dans quel état je mets ceux qui me déplaisent."
Qu'est-ce encore? Dira-t-on que Diogène n'avait pas de
franchise? Il était allé au camp de Philippe dans le moment
où ce prince marchait pour combattre la Grèce, et il fut
traîné devant lui comme espion : « Oui, dit-il, comme
espion de cette insatiable avidité et de cette folie qui va te
faire en une minute jouer sur un coup de dé et ta couronne
et ta vie. Citerai-je Annibal le Carthaginois? Ne montra-t-il
pas assez de franchise avec Antiochus? Cependant il
était exilé, quand l'autre était un roi. Il l'engageait à profiter
d'une occasion favorable pour fondre sur l'ennemi.
Comme le monarque, qui venait de faire un sacrifice, lui répétait
que les entrailles des victimes s'y opposaient, il le reprit
amèrement: « Ainsi, vous faites ce que disent des morceaux
de chair, et non pas ce que dit un homme qui s'y connaît! »
Un géomètre, celui qui est habitué à mesurer des lignes,
perdrait-il, parce qu'il serait exilé, l'habitude de parler
avec autant de précision sur ce qu'il sait et sur ce qui
concerne son métier? Pourquoi cela arriverait-il à ceux qui
sont gens de bien et d'honneur? Non. En tout endroit du
monde c'est la bassesse du coeur qui ferme la bouche, qui
enchaîne la langue, resserre le gosier et contraint au si-
lence. Mais continuons. Que dit ensuite Euripide?
"JOCASTE. Pour l'exilé, dit-on, l'espoir est un secours.
POLYNICE. Sans doute il lui sourit; mais attendre toujours!"
C'est là faire le procès à la faiblesse d'esprit plutôt qu'à
l'exil. Car ce ne sont pas ceux qui se sont étudiés et ont
appris à profiter du présent, mais ceux qui, toujours suspendus
par l'attente de l'avenir, rêvent un bonheur éloigné,
qui se laissent emporter sur l'espérance comme sur un navire,
sans avoir pourtant jamais mis le pied hors des murailles de leur ville.
"JOCASTE. Te manquaient-ils, les soins des hôtes de ton père?
PoLYNICE. On n'a jamais d'amis au sein de la misère.
JOCASTE. Ton illustre naissance a dû te secourir?
POLYNICE. Lorsqu'on n'a rien, le rang ne saurait vous nourrir."
Maintenant Polynice va jusqu'à l'ingratitude : il accuse
l'exil de faire méconnaître les égards dûs à la naissance et
de mettre les amis en fuite. Pourtant lui-même, grâce à sa
noble origine, il épousa, tout exilé qu'il était, la fille d'un
roi ; et quant à ce qui est des amis, les siens l'assistèrent avec
assez de forces et avec assez d'alliés pour qu'il pût organiser
une expédition. C'est ce qu'il reconnaît un peu plus loin :
"De Mycène et d'Argos plusieurs princes puissants
M'assistent; mais la honte est ce que j'en ressens.
J'accepte malgré moi".
La même inconvenance se retrouve dans les lamentations
de sa mère :
"Ai-je allumé pour toi la torche nuptiale?
Le jour de ton hymen, de son onde lustrale
L'Ismène a-t-il baigné ton corps? ô douleur ! Non".
Elle aurait dû se réjouir, elle aurait dû être trop heureuse,
en apprenant que son fils prenait possession d'un si
brillant palais. Au contraire, elle déplore une torche non
allumée, un bain non pris dans l'Ismène. Comme si Argos
n'avait ni de l'eau ni du feu pour de futurs mariés ! Et les
maux de la vanité et de l'irréflexion, elle les met sur le
compte de l'exil.
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