[11] Ὁ μὲν οὖν Ζήνων πυθόμενος ἣν ἔτι λοιπὴν εἶχε
ναῦν μετὰ τῶν φορτίων καταπεπομένην ὑπὸ τῆς θαλάσσης
‘εὖγ´,’ εἶπεν ‘ὦ τύχη, ποιεῖς, εἰς τρίβωνα καὶ βίον
φιλόσοφον συνελαύνους´ ἡμᾶς·’ ἀνὴρ δὲ μὴ τετυφωμένος
παντάπασι μηδ´ ὀχλομανῶν οὐκ ἂν οἶμαι μέμψαιτο τὴν
τύχην συνελαυνόμενος εἰς νῆσον, ἀλλ´ ἐπαινέσειεν ὅτι τὸν
πολὺν ἄλυν καὶ ῥέμβον ἑαυτοῦ καὶ πλάνας ἐν ἀποδημίαις
καὶ κινδύνους ἐν θαλάσσῃ καὶ θορύβους ἐν ἀγορᾷ περιελοῦσα
μόνιμον καὶ σχολαῖον καὶ ἀπερίσπαστον καὶ ἴδιον
βίον ὡς ἀληθῶς δίδωσι, κέντρῳ καὶ διαστήματι περιγράψασα
τὴν τῶν ἀναγκαίων χρείαν. ποία γὰρ νῆσος
οἰκίαν οὐκ ἔχει περίπατον λουτρὸν ἰχθῦς λαγωοὺς ἄγρᾳ
καὶ παιδιᾷ χρῆσθαι βουλομένοις; τὸ δὲ μέγιστον,
ἡσυχίας, ἧς διψῶσιν ἕτεροι, σοὶ πολλάκις τυχεῖν ἔνεστιν.
ἀλλὰ πεττεύοντας καὶ ἀποκρυπτομένους οἴκοι συκοφάνται
καὶ πολυπράγμονες ἐξιχνεύοντες καὶ διώκοντες ἐκ
τῶν προαστίων καὶ τῶν κήπων εἰς ἀγορὰν καὶ εἰς αὐλὴν
βίᾳ κατάγουσιν, εἰς δὲ νῆσον οὐκ ἐνοχλῶν τις οὐκ αἰτῶν
οὐ δανειζόμενος οὐκ ἐγγυήσασθαι παρακαλῶν οὐ συναρχαιρεσιάσαι,
| δι´ εὔνοιαν δὲ καὶ πόθον οἱ βέλτιστοι
τῶν ἀναγκαίων καὶ οἰκείων πλέουσιν, ὁ δ´ ἄλλος βίος
ἄσυλος καὶ ἱερὸς ἀνεῖται τῷ βουλομένῳ καὶ μεμαθηκότι
σχολάζειν. ὁ δὲ τοὺς περιτρέχοντας ἔξω καὶ τοῦ βίου τὸ
πλεῖστον ἐν πανδοκείοις καὶ πορθμείοις ἀναλίσκοντας εὐδαιμονίζων
ὅμοιός ἐστι τῷ τοὺς πλάνητας οἰομένῳ τῶν
ἀπλανῶν ἀστέρων πράττειν ἄμεινον. καίτοι τῶν πλανήτων
ἕκαστος ἐν μιᾷ σφαίρᾳ καθάπερ ἐν νήσῳ περιπολῶν
διαφυλάττει τὴν τάξιν· ‘ἥλιος γὰρ οὐχ ὑπερβήσεται μέτρα’
φησὶν ὁ Ἡράκλειτος· ‘εἰ δὲ μή, Ἐρινύες
μιν Δίκης ἐπίκουροι ἐξευρήσουσιν.’
| [11] Zénon, informé que le navire qui lui restait encore
avait été englouti par les flots avec sa cargaison : "Tu fais très
bien, ô Fortune, s'écria-t-il, de me renvoyer au manteau et
à la vie de philosophe". Pareillement, un homme qui ne
serait pas entièrement aveuglé par la vaine gloire et par le
besoin de la popularité, n'aurait pas, selon moi, à se plaindre
de la Fortune si elle le reléguait dans une île : il devrait, au
contraire, rendre grâce au Destin. Plus d'angoisses perpétuelles
ni d'agitations intérieures, plus de voyages lointains,
plus de dangers sur mer, plus de troubles sur la place publique.
La Fortune l'en a délivré, pour lui donner une existence
sédentaire, pleine de loisirs, étrangère à tous déchirements,
une vie qui est bien véritablement à lui, une vie qui
se concentre et se renferme dans le cercle des seuls besoins
nécessaires. Dans quelle île ne trouve-t-on pas une maison,
une promenade, un bain, des poissons, des lièvres, si l'on
veut chasser, pêcher et se divertir? J'allais oublier ce qui
est plus précieux que tout : la tranquillité, dont tous les autres
ont soif, et que vous pouvez y savourer à chaque instant. Que
nous jouions aux dés, que nous nous tenions cachés dans
notre appartement, les calomniateurs et les curieux surprennent
nos traces. Ils nous débusquent de nos maisons
du faubourg et de nos jardins, pour nous lancer de force au
milieu de la place publique ou à la cour. Mais soyez dans
une île : on ne viendra pas vous importuner. Il n'y aura
personne pour vous intenter un procès, pour vous emprunter
de l'argent, pour solliciter votre caution ou votre suffrage.
La tendresse et les souhaits abordent seuls auprès de
vous, et vous n'y recevez que les meilleurs de vos parents
et de vos amis. Tous vos autres instants sont comme inviolables
et sacrés : vous en êtes le maître, pour peu que vous
vouliez, que vous sachiez utiliser vos loisirs. Au contraire celui
pour qui courir loin de chez soi, passer la plus grande part
de sa vie dans les auberges et dans les bureaux de péage,
est le souverain bonheur, ressemble à un homme qui trouverait
la condition des planètes préférable à celle des étoiles
fixes. Et toutefois chaque planète roule dans son seul orbite,
comme dans une île, gardant l'ordre de ses révolutions. Le
soleil ne franchira jamais les bornes qui lui sont mesurées,
dit Héraclite. Autrement les Furies, ministres de la Justice,
se trouveraient sur son chemin.
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