[11] Πάντων δὲ τῶν παθῶν ἐθισμοῦ δεομένων οἷον
δαμάζοντος καὶ καταθλοῦντος ἀσκήσει τὸ ἄλογον καὶ
δυσπειθὲς οὐ πρὸς ἄλλο μᾶλλον ἔστιν ἐγγυμνάσασθαι τοῖς
οἰκέταις ἢ πρὸς τὸν θυμόν. οὔτε γὰρ φθόνος οὔτε φόβος
οὔτε φιλοτιμία τις ἐγγίνεται πρὸς αὐτούς, ὀργαὶ δὲ συνεχεῖς
πολλὰ ποιοῦσαι προσκρούματα καὶ σφάλματα, διὰ τὴν
ἐξουσίαν ὥσπερ ἐν ὀλισθηρῷ χωρίῳ μηδενὸς ἐνισταμένου
μηδὲ κωλύοντος ὑποφέρουσαι. οὐ γὰρ ἔστιν ἀναμάρτητον
ἐν πάθει τὸ ἀνυπεύθυνον κατασχεῖν μὴ πολλῇ τὴν ἐξουσίαν
ἐμπεριλαβόντα πραότητι μηδὲ πολλὰς ὑπομείναντα
φωνὰς γυναικὸς καὶ φίλων ἐγκαλούντων ἀτονίαν καὶ
ῥᾳθυμίαν. οἷς μάλιστα παρωξυνόμην καὶ αὐτὸς ἐπὶ τοὺς
οἰκέτας ὡς τῷ μὴ κολάζεσθαι διαφθειρομένους. ὀψὲ
μέντοι συνεῖδον, ὅτι πρῶτον μὲν ἐκείνους ἀνεξικακίᾳ
χείρονας ποιεῖν βέλτιόν ἐστιν ἢ πικρίᾳ καὶ θυμῷ διαστρέφειν
ἑαυτὸν εἰς ἑτέρων ἐπανόρθωσιν· ἔπειτα πολλοὺς
ὁρῶν αὐτῷ τῷ μὴ κολάζεσθαι πολλάκις αἰδουμένους
κακοὺς εἶναι καὶ μεταβολῆς ἀρχὴν τὴν συγγνώμην μᾶλλον
ἢ τὴν τιμωρίαν λαμβάνοντας, καὶ νὴ Δία δουλεύοντας
ἑτέροις ἀπὸ νεύματος σιωπῇ καὶ προθυμότερον ἢ μετὰ
πληγῶν καὶ στιγμάτων ἑτέροις, ἐπειθόμην ἡγεμονικώτερον
εἶναι τοῦ θυμοῦ τὸν λογισμόν. οὐ γάρ, ὡς ὁ ποιητὴς εἶπεν
"ἵνα γὰρ δέος, ἔνθα καὶ αἰδώς", ἀλλὰ
τοὐναντίον αἰδουμένοις ὁ σωφρονίζων ἐγγίνεται φόβος· ἡ
δὲ συνεχὴς πληγὴ καὶ ἀπαραίτητος οὐ μετάνοιαν ἐμποιεῖ
τοῦ κακουργεῖν ἀλλὰ τοῦ λανθάνειν πρόνοιαν μᾶλλον.
τρίτον ἀεὶ μνημονεύων καὶ διανοούμενος πρὸς ἐμαυτόν,
ὡς οὔθ´ ὁ τοξεύειν ἡμᾶς διδάξας ἐκώλυσε βάλλειν ἀλλὰ
μὴ διαμαρτάνειν οὔτε τῷ κολάζειν ἐμποδὼν ἔσται τὸ διδάσκειν
εὐκαίρως τοῦτο ποιεῖν καὶ μετρίως καὶ ὠφελίμως
καὶ πρεπόντως, πειρῶμαι τὴν ὀργὴν ἀφαιρεῖν μάλιστα τῷ
μὴ παραιρεῖσθαι τῶν κολαζομένων τὴν δικαιολογίαν ἀλλ´
ἀκούειν. ὅ τε γὰρ χρόνος ἐμποιεῖ τῷ πάθει διατριβὴν καὶ
μέλλησιν ἐκλύουσαν ἥ τε κρίσις εὑρίσκει καὶ τρόπον
πρέποντα καὶ μέγεθος ἁρμόττον κολάσεως· ἔτι δ´ οὐχ
ὑπολείπεται πρόφασις τῷ διδόντι δίκην ἀντιτείνειν πρὸς
τὴν ἐπανόρθωσιν, ἂν μὴ κατ´ ὀργὴν ἀλλ´ ἐξελεγχθεὶς
κολάζηται· τό τ´ αἴσχιστον οὐ πρόσεστι, φαίνεσθαι δικαιότερα
τοῦ δεσπότου λέγοντα τὸν οἰκέτην. ὥσπερ οὖν ὁ
Φωκίων μετὰ τὴν Ἀλεξάνδρου τελευτὴν οὐκ ἐῶν προεξανίστασθαι
τοὺς Ἀθηναίους οὐδὲ ταχὺ πιστεύειν,"εἰ σήμερον"
εἶπεν,"ἄνδρες Ἀθηναῖοι, τέθνηκε, καὶ αὔριον ἔσται καὶ
εἰς τρίτην τεθνηκώς," οὕτως οἶμαι δεῖν ὑποβάλλειν ἑαυτῷ
τὸν σπεύδοντα δι´ ὀργὴν ἐπὶ τὴν τιμωρίαν,"εἰ σήμερον
οὗτος ἠδίκηκε, καὶ αὔριον ἔσται καὶ εἰς τρίτην ἠδικηκώς·
καὶ δεινὸν οὐδέν, εἰ δώσει δίκην βράδιον, ἀλλ´ εἰ ταχὺ
παθὼν ἀεὶ φανεῖται μὴ ἀδικῶν"· ὅπερ ἤδη συμβέβηκε
πολλάκις. τίς γὰρ ἡμῶν οὕτω δεινός ἐστιν, ὥστε μαστιγοῦν
καὶ κολάζειν δοῦλον, ὅτι πέμπτην ἢ δεκάτην ἡμέραν
προσέκαυσε τοὖψον ἢ κατέβαλε τὴν τράπεζαν ἢ βράδιον
ὑπήκουσε; καὶ μὴν ταῦτ´ ἐστὶν ἐφ´ οἷς εὐθὺς γενομένοις
καὶ προσφάτοις οὖσι ταραττόμεθα καὶ πικρῶς καὶ ἀπαραιτήτως
ἔχομεν. ὡς γὰρ δι´ ὁμίχλης τὰ σώματα, καὶ δι´
ὀργῆς τὰ πράγματα μείζονα φαίνεται. διὸ δεῖ ταχὺ συμμνημονεύειν
τῶν ὁμοίων καὶ τοῦ πάθους ἔξωθεν ὄντας
ἀνυπόπτως, ἂν καθαρῷ τῷ λογισμῷ καὶ καθεστῶτι φαίνηται
μοχθηρόν, ἐπιστραφῆναι καὶ μὴ προέσθαι τότε
μηδ´ ἀφεῖναι τὴν κόλασιν ὥσπερ σιτίων ἀνορέκτους γεγονότας.
οὐδὲν γὰρ οὕτως αἴτιόν ἐστι τοῦ παρούσης ὀργῆς
κολάζειν, ὡς τὸ παυσαμένης μὴ κολάζειν ἀλλ´ ἐκλελύσθαι
καὶ ταὐτὸν πεπονθέναι τοῖς ἀργοῖς κωπηλάταις, οἳ
γαλήνης ὁρμοῦσιν εἶτα κινδυνεύουσιν ἀνέμῳ πλέοντες.
καὶ γὰρ ἡμεῖς τοῦ λογισμοῦ κατεγνωκότες ἀτονίαν καὶ
μαλακίαν ἐν τῷ κολάζειν σπεύδομεν παρόντι τῷ θυμῷ
καθάπερ πνεύματι παραβόλως. τροφῇ μὲν γὰρ ὁ πεινῶν
κατὰ φύσιν χρῆται τιμωρίᾳ δ´ ὁ μὴ πεινῶν μηδὲ διψῶν
αὐτῆς μηδ´ ὥσπερ ὄψου πρὸς τὸ κολάσαι τοῦ θυμοῦ δεόμενος,
ἀλλ´ ὅταν πορρωτάτω τοῦ ὀρέγεσθαι γένηται προσάγων
τὸν λογισμὸν ἀναγκαίως. οὐ γάρ, ὡς Ἀριστοτέλης
ἱστορεῖ κατ´ αὐτὸν ἐν Τυρρηνίᾳ μαστιγοῦσθαι
τοὺς οἰκέτας πρὸς αὐλόν, οὕτω πρὸς ἡδονὴν δεῖ καθάπερ
ἀπολαύσματος ὀρέξει τῆς τιμωρίας ἐμφορεῖσθαι καὶ χαίρειν
κολάζοντας κολάσαντας δὲ μετανοεῖν ὧν τὸ μὲν
θηριῶδες τὸ δὲ γυναικῶδες· ἀλλὰ καὶ λύπης καὶ ἡδονῆς
χωρὶς ἐν τῷ τοῦ λογισμοῦ χρόνῳ τὴν δίκην κομίζεσθαι μὴ
ὑπολείποντας τῷ θυμῷ πρόφασιν.
| [11] Toutes les passions ayant besoin d'être domptées,
et en quelque sorte terrassées, par l'habitude, afin que l'exercice
triomphe de leur irréflexion et de leur indocilité, il n'en
est pas une contre laquelle nos domestiques nous donnent
plus d'occasion de nous fortifier que la colère. En effet nous
n'avons ni jalousie, ni crainte, ni rivalité à déployer à
leur égard, mais nous nous irritons à chaque instant contre
eux. C'est là un écueil où continuellement nous venons
échouer, à cause de notre pouvoir sans bornes. C'est, si on
le veut encore, un terrain glissant. A chaque pas nous tombons,
parce que rien ne nous arrête, rien ne nous retient.
Comment en effet se défendre des excès fâcheux d'une passion
qui n'a de compte à rendre à personne? Il faut, pour se garantir,
que l'on entoure son absolu pouvoir d'une douceur
sans égale, et que l'on ne s'inquiète pas des observations
répétées, ou d'une épouse ou d'amis, qui vous reprocheront
votre mollesse et votre indolence. Ce sont le plus souvent de
semblables suggestions qui m'ont rendu moi-même plus
sévère contre mes domestiques. Je croyais qu'en ne les
punissant pas je les gâterais. Plus tard, seulement, je reconnaissais
mon erreur. D'abord il vaut mieux les rendre
pires en tolérant leurs méfaits, que se déformer soi-même
par l'aigreur et la colère en prétendant redresser les autres.
Ensuite, j'ai vu souvent que les esclaves qu'on ne châtiait
pas avaient honte de se mal conduire. Ils commençaient à
s'amender quand on leur pardonnait, bien plutôt que quand
on les avait punis; et, par Jupiter, ils obéissaient sur le
moindre signe, sans dire un seul mot, avec plus d'ardeur
que d'autres qu'on accablait de coups et de meurtrissures.
J'en vins à me persuader qu'on se fait mieux obéir par la raison
que par la colère. Car il ne serait pas vrai de dire avec le poète
"Où règne la terreur se trouve aussi la honte."
Bien au contraire, la honte est toujours suivie d'une
crainte salutaire, tandis que les coups répétés constamment
et d'une manière inflexible n'inspirent jamais le regret
d'avoir mal agi. Seulement on redouble de prévoyance pour
n'être pas découvert.
Il est une troisième considération que j'ai toujours présente
à l'esprit et à la mémoire. Lorsqu'on nous apprend à
tirer de l'arc on nous défend, non pas de lancer des flèches,
mais de manquer le but. De même ce n'est pas s'opposer
à une punition que d'enseigner à l'infliger avec opportunité,
dans des proportions raisonnables, utilement, convenablement.
C'est pourquoi mon principal moyen de réprimer ma
colère, c'est de ne pas enlever à ceux que je châtie le droit
de justification, c'est de leur donner audience. Je laisse ainsi
à ma passion le temps de se calmer. C'est un retard qui en
amortit la violence : de sorte que le jugement sait trouver le
mode qui convient et la grandeur proportionnelle du châtiment.
Autre avantage encore : on n'enlève pas à celui qui est
puni un prétexte pour protester contre la punition, si elle est
chez celui qui l'inflige non pas l'effet d'un mouvement de
colère mais celui d'une conviction éclairée. Enfin on évite,
ce qu'il y a de souverainement honteux, de donner à l'esclave
l'occasion de montrer dans son langage plus de justice que
n'en montre son maître.
De même donc, que Phocion après la mort d'Alexandre
ne voulait pas que les Athéniens se laissassent aller à des
transports de joie et qu'ils fussent trop prompts à y ajouter
foi : "Athéniens, leur disait-il, si Alexandre est mort aujourd'hui,
il sera aussi bien mort demain et après-demain" ; de
même, je crois que celui que la colère rend impatient de se
venger doit se dire tout bas en lui-même : «Si l'homme
que je veux châtier a été coupable aujourd'hui, il sera encore
coupable demain et après demain.» Il n'y a aucun mal à ce
qu'il soit puni plus tard, et il y en aurait à ce que le châtiment
fût précipité, si son innocence devait être ultérieurement
reconnue. C'est là ce qui est souvent arrivé. Qui de
nous, en effet, serait assez cruel pour punir et faire battre
un esclave cinq ou dix jours après un ragoût brûlé, après
une table renversée, après un ordre exécuté trop lentement?
Et pourtant voilà les crimes qui à l'instant où ils viennent
d'être commis, où ils sont tout récents, nous transportent
de colère et nous trouvent féroces et inflexibles. Car comme
les corps à travers un brouillard, ainsi les actes à travers la
colère grossissent d'une façon démesurée.
Il faut donc se remettre tout aussitôt en mémoire des faits
analogues et se dégager de la passion, de manière à ne plus
être sous l'empire d'aucune prévention. Si la raison pure, la
raison calme nous démontre qu'il y a faute, sévissons. Ne
mettons ni retard ni délai dans le châtiment : car ce serait
comme quand on mange trop tard et que l'on n'a plus d'appétit.
Quelle est la cause pour laquelle on châtie sous l'empire
de la colère? C'est surtout parce que quand elle est
passée on ne châtie pas, on oublie. On imite ces rameurs
fainéants qui restent à l'ancre pendant le calme, et qui ensuite
naviguent avec péril au milieu du vent. Eh bien!
lorsque nous condamnons comme indolence et mollesse les
délais que la réflexion oppose au châtiment, nous nous
hâtons d'obéir à la présence de la colère comme à un vent
impétueux. Que l'on mange quand on a faim, rien de plus
naturel. Mais quand il est question de se venger, il faut n'en
avoir ni faim ni soif. La colère ne doit pas devenir une
sorte d'assaisonnement par lequel nous soyons excités à
punir. C'est quand on a le plus possible éloigné ce désir,
que l'on doit recourir par nécessité à la raison. Toutefois il
ne faut pas, comme Aristote raconte que de son temps les
esclaves en Tyrrhénie étaient fouettés au son de la flûte, il
ne faut pas que le châtiment devienne un plaisir et une jouissance,
il ne faut pas que l'on trouve du bonheur à punir,
pour avoir à se le reprocher ensuite. Ce serait se montrer
tour à tour cruel comme une bête féroce, et faible comme
une femme. Non : sans peine comme sans plaisir, dans
les délais que la raison aura prescrits, on infligera le châtiment,
et l'on ne laissera pas le moindre prétexte à la colère.
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