[34,5] Κροῖσος μὲν γὰρ εἶχεν εὔϊππον γῆν, Πολυκράτης
δὲ εὔνεω θάλατταν· ἀλλ´ οὐδὲν τούτων βέβαιον, οὐχ
ἡ γῆ Κροίσῳ, οὐχ ἡ θάλαττα Πολυκράτει· ἀλλ´ ἐλάμβανεν
Ὀρόντης μὲν Πολυκράτην, Κροῖσον δὲ Κῦρος·
καὶ διαδοχὴ μετ´ εὐτυχίαν μακρὰν ἀθρόων κακῶν. Διὰ
τοῦτο Σόλων οὐκ εὐδαιμόνισε Κροῖσον, σοφὸς γὰρ ἦν·
διὰ τοῦτο Ἄμασις ἀπείπατο Πολυκράτην, ἀσφαλὴς γὰρ
ἦν· διὰ τοῦτ´ ἐγὼ ἐπαινῶ βίον γευόμενον κακῶν, ἀλλὰ
γευόμενον μόνον,
χείλεα μέν τ´ ἐδίην´, ὑπερῴην δ´ οὐκ ἐδίηνεν·
ἔχοντα μὲν τὴν ἀρετήν, χρώμενον δὲ αὐτῇ καὶ πρὸς
ἀκουσίους τύχας. Καὶ γὰρ ὀφθαλμοῖς φίλον μὲν χρωμάτων
τὸ λαμπρότατον, ἀλλ´ ἐὰν μὴ παραθῇς τὸ φαιόν,
ἐλύπησας αὐτοῦ τὴν ἡδονήν· ἐὰν δὲ μίξῃς ταῖς εὐτυχίαις
τὰ δυσχερῆ, μᾶλλον αἰσθητῷ τῆς ἀρετῆς καὶ
συνήσεις τῆς εὐτυχίας.
| [34,5] V. Crésus régnait sur un pays abondant en excellente cavalerie. Polycrate
dominait sur une mer où ses vaisseaux faisaient la loi. Mais ni l'un ni l'autre, ne
conserva longtemps son empire, ni Crésus celui de la Lydie, ni Polycrate celui de la
mer. Polycrate fut fait prisonnier par Oroète, et Crésus par Cyrus. Après une
longue prospérité, ils éprouvèrent de longs malheurs. Aussi Solon ne regardait point
Crésus comme heureux. Solon était trop sage pour porter un tel jugement. Aussi
Amasis renonça à ses liaisons avec Polycrate. Il en prévoyait le danger. Aussi, pour ce
qui me concerne, celui qui, dans le cours de sa vie, n'a reçu du malheur qu'une légère
impression, qu'une faible atteinte, « celui dont les lèvres en ont effleuré la coupe, sans
que le breuvage ait pénétré jusqu'à son gosier», celui qui possède la vertu, et qui
sait en faire usage même dans l'adversité, celui-là est l'objet de mes éloges. Dans un
tableau, les couleurs les plus éclatantes sont celles qui plaisent le plus à la vue. Mais
si l'on ne les tempère point par des ombres, on en détruit l'agrément. Enlacez
quelques revers dans le tissu de vos prospérités, vous sentirez mieux le prix de la
vertu, vous apprécierez davantage votre bonheur.
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