[93] ΠΕΡΙ ΠΟΛΥΦΙΛΙΑΣ.
(93a) Μένωνα τὸν Θετταλὸν οἰόμενον ἐν λόγοις ἱκανῶς γεγυμνάσθαι καὶ τοῦτο
δὴ τὸ ὑπὸ τοῦ (93b) Ἐμπεδοκλέους λεγόμενον
Σοφίης ἐπ´ ἄκροισι θαμίζειν
ἠρώτησεν ὁ Σωκράτης τί ἀρετή ἐστιν· ἀποκριναμένου δ´ ἰταμῶς ἐκείνου καὶ
προχείρως ὅτι καὶ παιδός ἐστιν ἀρετὴ καὶ πρεσβύτου καὶ ἀνδρὸς καὶ γυναικὸς
καὶ ἄρχοντος καὶ ἰδιώτου καὶ δεσπότου καὶ θεράποντος, « Εὖ γ´, » εἶπεν ὁ
Σωκράτης, « ὅτι μίαν ἀρετὴν αἰτηθεὶς σμῆνος ἀρετῶν κεκίνηκας, » οὐ κακῶς
τεκμαιρόμενος ὅτι μηδεμίαν εἰδὼς ἀρετὴν ὁ ἄνθρωπος πολλὰς ὠνόμαζεν. Ἆρ´
οὖν οὐχὶ καὶ ἡμῖν ἄν τις ἐπιχλευάσειεν ὅτι μηδέπω (93c) μίαν φιλίαν
κεκτημένοι βεβαίως φοβούμεθα μὴ λάθωμεν εἰς πολυφιλίαν ἐμπεσόντες; σχεδὸν
γὰρ οὐδὲν διαφέρομεν ἀνθρώπου κολοβοῦ καὶ τυφλοῦ, φοβουμένου μὴ Βριάρεως
ὁ ἑκατόγχειρ καὶ Ἄργος ὁ πανόπτης γένηται. Καίτοι τόν γε παρὰ τῷ Μενάνδρῳ
νεανίσκον ὑπερφυῶς ἐπαινοῦμεν εἰπόντα θαυμαστὸν ὅσον νομίζειν
Ἀγαθὸν ἕκαστον, ἂν ἔχῃ φίλου σκιάν.
Ἐναντίον δὲ μετὰ πολλῶν ἄλλων οὐχ ἥκιστα γ´ εἰς φιλίας κτῆσιν ἡμῖν ἡ τῆς
πολυφιλίας ὄρεξις, ὥσπερ ἀκολάστων γυναικῶν, τῷ πολλάκις καὶ (93d)
πολλοῖς συμπλέκεσθαι τῶν πρώτων κρατεῖν μὴ δυναμένοις ἀμελουμένων καὶ
ἀπορρεόντων· μᾶλλον δ´ ὥσπερ ὁ τῆς Ὑψιπύλης τρόφιμος εἰς τὸν λειμῶνα
καθίσας ἔδρεπεν
Ἕτερον ἐφ´ ἑτέρῳ αἰρόμενος
ἄγρευμ´ ἀνθέων ἡδομένᾳ ψυχᾷ
τὸ νήπιον ἄπληστον ἔχων,
οὕτως ἕκαστον ἡμῶν διὰ τὸ φιλόκαινον καὶ ἁψίκορον ὁ πρόσφατος ἀεὶ καὶ
ἀνθῶν ἐπάγεται, καὶ μετατίθησι πολλὰς ὁμοῦ καὶ ἀτελεῖς ἀρχὰς πράττοντας
φιλίας καὶ συνηθείας, ἔρωτι τοῦ διωκομένου παρερχομένους τὸν
καταλαμβανόμενον.
(93e) Πρῶτον μὲν οὖν ὥσπερ ἀφ´ ἑστίας ἀρξάμενοι τῆς τοῦ βίου φήμης ἣν ὑπὲρ
φίλων βεβαίων ἀπολέλοιπεν ἡμῖν, τὸν μακρὸν καὶ παλαιὸν αἰῶνα μάρτυρα ἅμα
τοῦ λόγου καὶ σύμβουλον λάβωμεν, ἐν ᾧ κατὰ ζεῦγος φιλίας λέγονται Θησεὺς
καὶ Πειρίθους, Ἀχιλλεὺς καὶ Πάτροκλος, Ὀρέστης καὶ Πυλάδης, Φιντίας καὶ
Δάμων, Ἐπαμεινώνδας καὶ Πελοπίδας. Σύννομον γὰρ ἡ φιλία ζῷον οὐκ ἀγελαῖόν
ἐστιν οὐδὲ κολοιῶδες, καὶ τὸ ἄλλον αὑτὸν ἡγεῖσθαι τὸν φίλον καὶ
προσαγορεύειν ἑταῖρον ὡς ἕτερον, οὐδέν ἐστιν ἢ μέτρῳ φιλίας τῇ δυάδι
χρωμένων. Οὔτε γὰρ δούλους οὔτε φίλους ἔστι κτήσασθαι πολλοὺς ἀπ´ ὀλίγου
νομίσματος. (93f) Τί οὖν νόμισμα φιλίας; εὔνοια καὶ χάρις μετ´ ἀρετῆς, ὧν
οὐδὲν ἔχει σπανιώτερον ἡ φύσις. Ὅθεν τὸ σφόδρα φιλεῖν καὶ φιλεῖσθαι πρὸς
πολλοὺς οὐκ ἔστιν, ἀλλ´ ὥσπερ οἱ ποταμοὶ πολλὰς σχίσεις καὶ κατατομὰς
λαμβάνοντες ἀσθενεῖς καὶ λεπτοὶ ῥέουσιν, οὕτω τὸ φιλεῖν ἐν ψυχῇ σφοδρὸν
πεφυκὸς εἰς πολλοὺς μεριζόμενον ἐξαμαυροῦται.
| [93] SUR LE GRAND NOMBRE D'AMIS.
(93a) Socrate demandait un jour à Ménon le Thessalien ce que c'était que
la vertu. Celui-ci, qui se regardait comme un homme très instruit, et qui,
selon l'expression (93b) d'Empédocle, croyait avoir fréquenté ce haut mont
où habite la sagesse, lui répondit sans hésiter, et d'un ton plein de
suffisance, qu'il fallait distinguer la vertu des enfants et des
vieillards, celle des hommes et des femmes, des magistrats et des
particuliers, des maîtres et des esclaves. « A merveille, reprit Socrate;
pour une vertu que je vous demandais, vous m'en faites sortir un essaim. »
Il conjecturait, et sans doute avec fondement, que Ménon ne
connaissait (93c) aucune vertu, par cela seul qu'il en nommait plusieurs.
Ne tomberions-nous pas dans le même ridicule, si, ne pouvant compter
solidement sur un seul ami, nous paraissions craindre d'en avoir un trop
grand nombre? semblables en cela à un manchot ou à un aveugle, qui
craindrait de devenir un Briarée à cent bras, ou un Argus à cent yeux.
Aussi rien de plus raisonnable que la pensée de ce jeune homme, qui, dans
Ménandre, regarde comme un très grand bien d'avoir seulement l'ombre d'un ami. Entre plusieurs causes qui font que nous avons peu d'amitiés durables, une des
principales, c'est le désir de les multiplier. Nous ressemblons à des
courtisanes qui, formant chaque jour (93d) de nouvelles liaisons, et
négligeant leurs anciens amis, les éloignent par cette indifférence, et ne
peuvent en conserver aucun. Ou plutôt nous faisons comme ce nourrisson
d'Hypsipyle, qui, assis dans une prairie,
"Allait de fleur en fleur d'une main enfantine,
Et moissonnait, sans choix, ce fragile butin".
Nous de même, par une suite de cet amour naturel que nous avons pour la
nouveauté, de ce dégoût qui suit bientôt nos jouissances, nous courons
sans cesse après des amitiés nouvelles dont la première fleur nous séduit
et nous entraîne. Nous formons une multitude de liaisons imparfaites qui
durent peu; et le désir d'un nouvel ami que nous poursuivons nous fait
abandonner celui que nous avions acquis.
(93e) Consultons sur ce point les anciens monuments de l'histoire,
comme nos témoins et nos conseils naturels. Que nous apprennent-ils sur
les amis que leur fidélité constante a rendus célèbres ? Nous ne les
trouvons jamais que deux à deux : Thésée et Pirithoüs, Achille et
Patrocle, Oreste et Pylade, Pythias et Damon, Épaminondas et Pélopidas. Il
en est de l'amitié comme de ces animaux qui, contents d'une seule
compagne, ne vont jamais en troupe. Le titre d'un autre soi-même,
qu'on donne à un ami, suppose que l'amitié se renferme ordinairement entre
deux personnes. On ne peut acheter avec peu de monnaie ni beaucoup
d'esclaves ni beaucoup d'amis. (93f) Mais quelle est la monnaie avec
laquelle on acquiert l'amitié? C'est la bienveillance et la vertu. Or,
rien n'étant plus rare dans la nature que cette espèce de monnaie, il ne
peut s'établir entre plusieurs personnes une amitié bien intime. Un fleuve
s'affaiblit à mesure qu'on divise son cours. Ainsi l'amitié perd de sa
force à proportion de ce qu'on la partage. Aussi les animaux qui ne font
qu'un petit ont-ils pour leur progéniture plus de tendresse que les autres.
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