[16] Οὐ μὴν ἀλλ´ ὅσοις γε συμβαίνει διὰ μισοπονηρίαν
ἀληθῶς ἁλίσκεσθαι πολλάκις ὑπ´ ὀργῆς, τὸ ἄγαν ἀφαιρετέον
αὐτῆς καὶ τὸ ἄκρατον ἅμα τῇ σφοδρᾷ πίστει περὶ
τῶν συνόντων. αὕτη γὰρ αὔξει μάλιστα τῶν αἰτιῶν τὸν
θυμόν, ὅταν ἢ χρηστὸς ὑποληφθεὶς ἀναφανῇ μοχθηρὸς ἢ
φιλεῖν δόξας ἐν διαφορᾷ τινι καὶ μέμψει γένηται. τὸ δ´
ἐμὸν ἦθος οἶσθα δήπουθεν ἡλίκαις ῥοπαῖς φέρεται πρὸς
εὔνοιαν ἀνθρώπων καὶ πίστιν. ὥσπερ οὖν οἱ κατὰ κενοῦ
βαίνοντες, ὅσῳ μᾶλλον ἐπερείδω τῷ φιλεῖν ἐμαυτόν,
ἁμαρτάνω μᾶλλον καὶ σφαλλόμενος ἀνιῶμαι· καὶ τοῦ μὲν
φιλεῖν ἀπαρύσαι τὸ ἐμπαθὲς ἄγαν καὶ πρόθυμον οὐκ ἂν
ἔτι δυνηθείην, τοῦ δὲ πιστεύειν σφόδρα χρησαίμην ἂν
ἴσως χαλινῷ τῇ Πλάτωνος εὐλαβείᾳ· καὶ γὰρ Ἑλίκωνα
τὸν μαθηματικὸν οὕτως ἐπαινεῖν φησιν, ὡς φύσει εὐμετάβολον
ζῷον, καὶ τοὺς τεθραμμένους ἐν
τῇ πόλει καλῶς δεδιέναι, μὴ ἄνθρωποι καὶ σπέρματα
ἀνθρώπων ὄντες ἐκφήνωσί που τῆς φύσεως τὴν ἀσθένειαν.
ὁ δὲ Σοφοκλῆς λέγων ὅτι
"τὰ πλεῖστα φωρῶν αἰσχρὰ φωράσεις βροτῶν"
ἄγαν ἔοικεν ἡμῖν ἐπεμβαίνειν καὶ κολούειν. οὐ μὴν
ἀλλὰ τὸ δύσκολον τοῦτο τῆς κρίσεως καὶ φιλαίτιον
εὐκολωτέρους ποιεῖ ταῖς ὀργαῖς· ἐκστατικὸν γάρ ἐστι
τὸ ἄφνω καὶ τὸ ἀπροσδόκητον· δεῖ δ´, ὥς που καὶ
Παναίτιος ἔφη, χρῆσθαι τῷ Ἀναξαγόρου, καὶ
καθάπερ ἐκεῖνος ἐπὶ τῇ τελευτῇ τοῦ παιδὸς εἶπεν
"ᾔδειν ὅτι θνητὸν ἐγέννησα," τοῦτο τοῖς παροξύνουσιν
ἑκάστοτ´ ἐπιφωνεῖν ἁμαρτήμασιν"ᾔδειν ὅτι σοφὸν
οὐκ ἐπριάμην δοῦλον" "ᾔδειν ὅτι καὶ τὸν ἄφιλον οὐκ
ἐκτησάμην""ᾔδειν ὅτι τὴν γυναῖκα γυναῖκ´ εἶχον." ἂν
δὲ κἀκεῖνό τις ἐπιφθεγγόμενος ἀεὶ τὸ τοῦ Πλάτωνος
"ἦ που ἄρ´ ἐγὼ τοιοῦτος;" ἔξωθεν εἴσω τὸν λογισμὸν
ἀναστρέφῃ καὶ παρεμβάλλῃ ταῖς μέμψεσι τὴν εὐλάβειαν,
οὐ πολλῇ χρήσεται μισοπονηρίᾳ πρὸς ἑτέρους πολλῆς
ὁρῶν ἑαυτὸν συγγνώμης δεόμενον. νῦν δ´ ἕκαστος ἡμῶν
ὀργιζόμενος καὶ κολάζων Ἀριστείδου φωνὰς ἐπιφέρει καὶ
Κάτωνος"μὴ κλέπτε""μὴ ψεύδου," "διὰ τί ῥᾳθυμεῖς;" καὶ
ὃ δὴ πάντων αἴσχιστόν ἐστιν, ὀργιζομένοις ἐπιτιμῶμεν
μετ´ ὀργῆς καὶ τὰ διὰ θυμὸν ἡμαρτημένα θυμῷ κολάζομεν,
οὐχ ὥσπερ ἰατροί"πικρῷ πικρὰν κλύζουσι φαρμάκῳ
χολήν", ἀλλὰ μᾶλλον ἐπιτείνοντες
καὶ προσεκταράττοντες. ὅταν οὖν ἐν τούτοις γένωμαι
τοῖς ἐπιλογισμοῖς, ἅμα τι πειρῶμαι καὶ τοῦ πολυπράγμονος
ἀφαιρεῖν. τὸ γὰρ ἐξακριβοῦν ἅπαντα καὶ φωρᾶν καὶ
πᾶσαν ἕλκειν εἰς μέσον ἀσχολίαν οἰκέτου καὶ πρᾶξιν
φίλου καὶ διατριβὴν υἱοῦ καὶ ψιθυρισμὸν γυναικὸς ὀργὰς
φέρει πολλὰς καὶ συνεχεῖς καὶ καθημερινάς, ὧν δυσκολία
τρόπου καὶ χαλεπότης τὸ κεφάλαιόν ἐστιν. ὁ μὲν οὖν
θεός, ὡς Εὐριπίδης φησί,"τῶν ἄγαν ἅπτεται,
τὰ μικρὰ δ´ εἰς τύχην ἀφεὶς ἐᾷ·" ἐγὼ δὲ τῇ τύχῃ μὲν οὐδὲν
οἶμαι δεῖν ἐπιτρέπειν οὐδὲ παρορᾶν τὸν νοῦν ἔχοντα, πιστεύειν
δὲ καὶ χρῆσθαι τὰ μὲν γυναικὶ τὰ δ´ οἰκέταις τὰ δὲ
φίλοις οἷον ἄρχοντ´ ἐπιτρόποις τισὶ καὶ λογισταῖς καὶ
διοικηταῖς, αὐτὸν ἐπὶ τῶν κυριωτάτων ὄντα τῷ λογισμῷ
καὶ μεγίστων. ὡς γὰρ τὰ λεπτὰ γράμματα τὴν ὄψιν,
οὕτω τὰ μικρὰ πράγματα μᾶλλον ἐντείνοντα νύττει καὶ
ταράττει τὴν ὀργήν, ἔθος πονηρὸν ἐπὶ τὰ μείζονα λαμβάνουσαν.
Ἐπὶ πᾶσι τοίνυν τὸ μὲν τοῦ Ἐμπεδοκλέους μέγα καὶ θεῖον
ἡγούμην, τὸ"νηστεῦσαι κακότητος", ἐπῄνουν δὲ
κἀκείνας ὡς οὐκ ἀχαρίστους οὐδ´ ἀφιλοσόφους ἐν εὐχαῖς
ὁμολογίας, ἀφροδισίων ἐνιαυτὸν ἁγνεῦσαι καὶ οἴνου, τιμῶντας
ἐγκρατείᾳ τὸν θεόν, ἢ ψευδολογίας πάλιν ἀπέχεσθαι
χρόνον ὡρισμένον, αὑτοῖς προσέχοντας πῶς ἀληθεύσομεν
ἔν τε παιδιᾷ καὶ μετὰ σπουδῆς ἁπάσης· εἶτα ταύταις τὴν
ἐμαυτοῦ παρέβαλλον εὐχὴν ὡς οὐχ ἧττον θεοφιλῆ καὶ
ἱεράν, ἡμέρας πρῶτον ὀλίγας ἀοργήτους οἷον ἀμεθύστους
καὶ ἀοίνους διαγαγεῖν, ὥσπερ νηφάλια καὶ μελίσπονδα
θύοντα, εἶτα μῆν´ ἕνα καὶ δύο, καὶ πειρώμενος ἐμαυτοῦ
κατὰ μικρὸν οὕτως τῷ χρόνῳ προύβαινον εἰς τὸ πρόσθεν
τῆς ἀνεξικακίας, ἐγκρατῶς προσέχων καὶ διαφυλάττων
μετ´ εὐφημίας ἵλεω καὶ ἀμήνιτον ἐμαυτόν, ἁγνεύοντα καὶ
λόγων πονηρῶν καὶ πράξεων ἀτόπων καὶ πάθους ἐφ´
ἡδονῇ μικρᾷ καὶ ἀχαρίστῳ ταραχάς τε μεγάλας καὶ
μεταμέλειαν αἰσχίστην φέροντος. ὅθεν, οἶμαι, καὶ θεοῦ
τι συλλαμβάνοντος, ἐσαφήνιζεν ἡ πεῖρα τὴν κρίσιν ἐκείνην,
ὅτι τὸ ἵλεων τοῦτο καὶ πρᾶον καὶ φιλάνθρωπον οὐδενὶ
τῶν συνόντων εὐμενές ἐστιν οὕτω καὶ φίλον καὶ ἄλυπον ὡς
αὐτοῖς τοῖς ἔχουσιν.
| [16] Il arrive pourtant que parfois la haine du vice inspire
véritablement des transports de courroux. Le moyen de
diminuer l'excès et la violence d'une semblable colère,
c'est de rabattre en même temps de la trop bonne opinion
que l'on a des gens dont on est entouré : car ce dernier
sentiment contribue plus que tout à augmenter l'indignation
excitée par les fautes. On supposait que cet homme
était vertueux, et l'on découvre que c'est un pervers. Cet
autre semblait nous aimer, et il nous cherche querelle, il
nous accable de reproches. Vous connaissez mon caractère,
si je ne me trompe, et vous savez combien facilement il me
porte à la bienveillance et à la crédulité. Eh bien, à l'exemple
de ceux qui marchent sur un sol creusé en dessous, plus
j'aime à m'assurer sur l'amitié de quelqu'un, plus, quand
je suis trompé, la douleur de ma déception est pénible pour
moi. Tarir en moi-même la source de cette tendresse excessive
et en quelque sorte passionnée, ne me serait plus
possible maintenant; mais pour me tenir en garde contre
une trop grande confiance je pourrais bien user, comme
d'une bride, de la prudence et de la retenue que montre
Platon. Quand il loue Hélicon le mathématicien il fait cette
réserve, qu'Hélicon est par lui loué "en tant que personnage
essentiellement changeant." Des enfants élevés à la
ville le même Platon dit, qu'il a une peur extrême qu'étant
des créatures humaines nées d'autres créatures humaines,
ils ne révèlent un jour les misères de leur nature.
Quand Sophocle s'écrie :
"A pénétrer au fond des choses de ce monde
On y voit dominer le hideux et l'immonde,"
il semble nous insulter, nous déprécier. Et pourtant l'amertume
et la sévérité de ce jugement doit nous rendre plus
doux dans nos colères : car toute chose soudaine et imprévue
nous transporte promptement hors de nous-mêmes. Il
faut mettre à profit l'exemple que nous donne Anaxagore
et que Panétius a rapporté quelque part. Son fils venant
de mourir, il s'écria : «Je savais bien que je l'avais
engendré mortel.» Pareillement, toutes les fois qu'une
faute commise peut nous mettre en colère, nous devons
nous écrier : «Je savais que je n'avais pas acheté un esclave
qui fût un sage ; je savais que je n'avais pas acquis l'amitié
d'un homme exempt de toutes passions; je savais que la
femme épousée par moi était femme." Mais que l'on se
répète souvent aussi le mot de Platon : "Ne suis-je pas par
hasard comme un tel?" En outre, que l'on ramène son
examen et son attention du dehors au dedans. C'est alors
que l'on deviendra circonspect en matière de réprimandes.
On sera moins impitoyable à l'égard des autres, parce
qu'on verra combien on a besoin soi-même d'indulgence.
A l'opposé de cela chacun de nous, quand il assouvit sa
colère et qu'il inflige un châtiment, prononce des sentences
à l'Aristide ou à la Caton : «Ne vole plus. Ne mens plus :
Pourquoi es-tu paresseux?» Et, chose honteuse par-dessus
toutes, c'est avec colère que nous réprimandons ceux qui
sont en colère, avec emportement que nous châtions les
fautes commises par emportement; et cela, non pas avec
le succès des médecins
"Qui par des sucs amers chassent l'amère bile",
mais en augmentant les passions et en portant le trouble
dans les âmes.
Toutes les fois donc que je me livre à ces réflexions, je
tâche en même temps de diminuer quelque chose de ma
curiosité. La manie d'exercer constamment une scrupuleuse
investigation, de tirer à clair tout ce qu'il y a dans la conduite
d'un esclave, dans les actes d'un ami, dans les
occupations d'un fils, dans les babillages d'une épouse,
cette manie provoque des colères fréquentes et continuelles,
qui en résumé nous rendent intolérants et moroses.
Dieu, a dit Euripide,
"Se réserve le soin des choses d'importance,
Et des petites laisse au hasard l'intendance."
Pour moi, sans croire qu'un homme raisonnable doive rien
abandonner à la fortune et négliger quoi que ce soit, j'estime
qu'il faut en certaines circonstances se fier et s'en rapporter
pleinement à sa femme, à ses domestiques, à ses
amis : ainsi que fait un souverain, qui emploie des intendants,
des vérificateurs, des administrateurs, et qui réserve
à son propre examen les affaires capitales et importantes.
Car, comme les petites lettres fatiguent la vue, de
même les affaires minimes, par cela même qu'elles tendent
trop l'esprit, provoquent et animent les désordres de la
colère. C'est une mauvaise habitude que l'on transporte
de là aux affaires de grande conséquence.
Par-dessus tout je regarde comme une maxime admirable
et toute divine ce précepte d'Empédocle :
"Ne soyez point méchants : imposez-vous ce jeûne".
J'ai toujours loué, comme ne manquant ni de grâce ni de
sagesse, certains voeux que l'on s'impose dans ses prières : de
renoncer durant toute une année aux femmes et au vin pour
honorer Dieu par sa continence; de s'abstenir de tout mensonge
durant un certain espace de temps, pour s'observer
soi-même et pour voir si l'on peut parvenir à respecter la
vérité aussi bien dans les choses légères que dans les circonstances
sérieuses. J'ai fait moi-même un voeu, que je ne
crains pas de rapprocher de ceux-là, le trouvant aussi pieux
et aussi saint : c'est de passer d'abord quelques jours sans
me mettre en colère, comme on en passe d'autres sans boire
et s'enivrer. C'était là une sorte de jeûne que je m'imposais,
une sorte de libations au miel. Puis ce fut durant un
un mois, durant deux mois que je tentai insensiblement
cette expérience sur moi-même. Ainsi, avec le temps, je fis
de notables progrès dans la patience. J'étais devenu maître
de moi. Je me maintenais, avec une grande douceur de langage,
dans un état de mansuétude et de calme complet.
J'étais pur de tous propos méchants, de toute action inconvenante.
Je dominais cette passion de la colère, qui pour
une satisfaction si courte et si peu agréable laisse tant de
troubles et un si amer repentir. Grâce à cette résolution
mienne, et Dieu aussi m'aidant, l'expérience m'a démontré
combien est vraie cette maxime : «que notre indulgence,
notre douceur, notre humanité ne sont pas pour ceux qui
nous entourent la source d'une satisfaction, d'une amitié,
d'un bonheur plus vifs, qu'elles ne le sont pour nous-mêmes
qui possédons ces qualités."
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