HODOI ELEKTRONIKAI
Du texte à l'hypertexte

LUCIEN, La mort de Pérégrinos

Paragraphe 1-15

  Paragraphe 1-15

[0] ΠΕΡΙ ΤΗΣ ΠΕΡΕΓΡΙΝΟΥ ΤΕΛΕΥΤΗΣ [0] LA MORT DE PÉRÉGRINOS
[1] Λουκιανὸς Κρονίῳ εὖ πράττειν. κακοδαίμων Περεγρῖνος, ὡς αὐτὸς ἔχαιρεν ὀνομάζων ἑαυτόν, Πρωτεύς, αὐτὸ δὴ ἐκεῖνο τὸ τοῦ Ὁμηρικοῦ Πρωτέως ἔπαθεν· ἅπαντα γὰρ δόξης ἕνεκα γενόμενος καὶ μυρίας τροπὰς τραπόμενος, τὰ τελευταῖα ταῦτα καὶ πῦρ ἐγένετο· τοσούτῳ ἄρα τῷ ἔρωτι τῆς δόξης εἴχετο. καὶ νῦν ἐκεῖνος ἀπηνθράκωταί σοι βέλτιστος κατὰ τὸν Ἐμπεδοκλέα, παρ´ ὅσον μὲν κἂν διαλαθεῖν ἐπειράθη ἐμβαλὼν ἑαυτὸν εἰς τοὺς κρατῆρας, δὲ γεννάδας οὗτος, τὴν πολυανθρωποτάτην τῶν Ἑλληνικῶν πανηγύρεων τηρήσας, πυρὰν ὅτι μεγίστην νήσας ἐνεπήδησεν ἐπὶ τοσούτων μαρτύρων, καὶ λόγους τινὰς ὑπὲρ τούτου εἰπὼν πρὸς τοὺς Ἕλληνας οὐ πρὸ πολλῶν ἡμερῶν τοῦ τολμήματος. [1] Lucien à Cronios, sois heureux ! Ce pauvre Pérégrinos, pardon, Protée pour les intimes, vient aux dernières nouvelles de périr comme le Protée d'Homère. Par amour pour la gloriole, on l'avait déjà vu dans toutes les formes possibles et imaginables. Or, pour finir en beauté, il s'est habillé de feu tant il est vrai qu'il brûlait déjà d'une passion ardente ! Voici donc transformé ce brave homme en un petit tas de charbon comme Empédocle. Une nuance cependant avec son illustre devancier : avant de se jeter au fond du cratère embrasé de l'Etna, ce dernier s'était prémuni contre les regards indiscrets ; lui, en revanche, s'est immolé devant la foule des badauds, escaladant solennellement les degrés d'un énorme bûcher, non sans avoir préalablement annoncé son faramineux projet aux Grecs avec une avalanche de détails et de justifications, quelques jours seulement avant son grand spectacle.
[2] Πολλὰ τοίνυν δοκῶ μοι ὁρᾶν σε γελῶντα ἐπὶ τῇ κορύζῃ τοῦ γέροντος, μᾶλλον δὲ καὶ ἀκούω βοῶντος οἷά σε εἰκὸς βοᾶν, " τῆς ἀβελτερίας, τῆς δοξοκοπίας, —" τῶν ἄλλων λέγειν εἰώθαμεν περὶ αὐτῶν. σὺ μὲν οὖν πόρρω ταῦτα καὶ μακρῷ ἀσφαλέστερον, ἐγὼ δὲ παρὰ τὸ πῦρ αὐτὸ καὶ ἔτι πρότερον ἐν πολλῷ πλήθει τῶν ἀκροατῶν εἶπον αὐτά, ἐνίων μὲν ἀχθομένων, ὅσοι ἐθαύμαζον τὴν ἀπόνοιαν τοῦ γέροντος· ἦσαν δέ τινες οἳ καὶ αὐτοὶ ἐγέλων ἐπ´ αὐτῷ. ἀλλ´ ὀλίγου δεῖν ὑπὸ τῶν Κυνικῶν ἐγώ σοι διεσπάσθην ὥσπερ Ἀκταίων ὑπὸ τῶν κυνῶν ἀνεψιὸς αὐτοῦ Πενθεὺς ὑπὸ τῶν Μαινάδων. [2] Je t'imagine mort de rire à l'idée d'imaginer ce vieillard sénile et il me semble t'entendre : « Quelle absurdité ! Et surtout quel orgueil déplacé ! », et mille autres qualificatifs du même acabit. Mais, si c'est loin des faits que j'entends ton indignation, sache que c'est au pied du bûcher lui-même que j'ai vidé mon sac et dit tout que je pensais de cette comédie au beau milieu de spectateurs scandalisés par ma réaction, qui, pour la plupart, restaient béats d'admiration devant le numéro de ce vieil idiot. Certains, je le reconnais, s'esclaffaient devant lui. Néanmoins, à cause de mon discours, je faillis être réduit en bouilli par la meute des Cyniques, comme jadis Actéon par ses chiens, et son cousin Penthée par les Ménades.
[3] δὲ πᾶσα τοῦ πράγματος διασκευὴ τοιάδε ἦν. τὸν μὲν ποιητὴν οἶσθα οἷός τε ἦν καὶ ἡλίκα ἐτραγῴδει παρ´ ὅλον τὸν βίον, ὑπὲρ τὸν Σοφοκλέα καὶ τὸν Αἰσχύλον. ἐγὼ δὲ ἐπεὶ τάχιστα εἰς τὴν Ἦλιν ἀφικόμην, διὰ τοῦ γυμνασίου ἀνιὼν ἐπήκουον ἅμα Κυνικοῦ τινος μεγάλῃ καὶ τραχείᾳ τῇ φωνῇ τὰ συνήθη ταῦτα καὶ ἐκ τριόδου τὴν ἀρετὴν ἐπιβοωμένου καὶ ἅπασιν ἁπαξαπλῶς λοιδορουμένου. εἶτα κατέληξεν αὐτῷ βοὴ ἐς τὸν Πρωτέα, καὶ ὡς ἂν οἷός τε πειράσομαί σοι αὐτὰ ἐκεῖνα ἀπομνημονεῦσαι ὡς ἐλέγετο. σὺ δὲ γνωριεῖς δηλαδή, πολλάκις αὐτοῖς παραστὰς βοῶσιν. [3] Ce n'est pas la peine de te décrire le scénario. Tu connais l'artiste en question et tu devine qu'il a tout fait pour surpasser Sophocle et Eschyle. Moi, en entrant à Élis, les premiers mots que j'entendis en traversant le gymnase furent ceux d'un cynique miteux qui prononçait des mots cent fois ressassés sur la vertu, tout en crachant son venin sur les pauvres passants. Plus tard il emprunta le chemin de Protée. Aussi vais-je m'efforcer avec objectivité de tout te rapporter de ses élucubrations. Je pense que tu en reconnaîtras le style, toi qui es déjà singulièrement blasé par les discours creux de ces bavards.
[4] "Πρωτέα γάρ τις," ἔφη, "κενόδοξον τολμᾷ λέγειν, γῆ καὶ ἥλιε καὶ ποταμοὶ καὶ θάλαττα καὶ πατρῷε ἩράκλειςΠρωτέα τὸν ἐν Συρίᾳ δεθέντα, τὸν τῇ πατρίδι ἀνέντα πεντακισχίλια τάλαντα, τὸν ἀπὸ τῆς Ῥωμαίων πόλεως ἐκβληθέντα, τὸν τοῦ Ἡλίου ἐπισημότερον, τὸν αὐτῷ ἀνταγωνίσασθαι τῷ Ὀλυμπίῳ δυνάμενον; ἀλλ´ ὅτι διὰ πυρὸς ἐξάγειν τοῦ βίου διέγνωκεν ἑαυτόν, εἰς κενοδοξίαν τινὲς τοῦτο ἀναφέρουσιν; οὐ γὰρ Ἡρακλῆς οὕτως; οὐ γὰρ Ἀσκληπιὸς καὶ Διόνυσος κεραυνῷ; οὐ γὰρ τὰ τελευταῖα Ἐμπεδοκλῆς εἰς τοὺς κρατῆρας;" [4] Voici ce qu'il disait : « D'aucuns accusent Protée d'un incommensurable amour de la gloire. Ô Gaia, ô Hélios, ô rivières et flots marins, ô salvateur Héraclès ! Protée, qui tâta douloureusement des geôles syriennes, qui légua plus de cinq mille talents à sa cité, qui fut exclu de Rome ; Protée, plus éblouissant que le soleil, et qui pourrait rivaliser avec l'Olympien lui-même ! Voilà que parce qu'il recherche dans le feu une issue à cette vie, on voit en lui un extravagant notoire ! Après tout, Héraclès n'a-t-il pas agi de la sorte ? Asclépios et Dionysos n'ont- ils pas connu les affres terribles de la foudre ? Enfin, Empédocle ne s'est-t-il pas volontairement précipité dans un cratère en fusion ? »
[5] Ὡς δὲ ταῦτα εἶπεν Θεαγένηςτοῦτο γὰρ κεκραγὼς ἐκεῖνος ἐκαλεῖτοἠρόμην τινὰ τῶν παρεστώτων, "Τί βούλεται τὸ περὶ τοῦ πυρός, τί Ἡρακλῆς καὶ Ἐμπεδοκλῆς πρὸς τὸν Πρωτέα." δέ, "Οὐκ εἰς μακράν," ἔφη, "καύσει ἑαυτὸν Πρωτεὺς Ὀλυμπίασιν." "Πῶς," ἔφην, " τίνος ἕνεκα;" εἶτα μὲν ἐπειρᾶτο λέγειν, ἐβόα δὲ Κυνικός, ὥστε ἀμήχανον ἦν ἄλλου ἀκούειν. ἐπήκουον οὖν τὰ λοιπὰ ἐπαντλοῦντος αὐτοῦ καὶ θαυμαστάς τινας ὑπερβολὰς διεξιόντος κατὰ τοῦ Πρωτέως· τὸν μὲν γὰρ Σινωπέα τὸν διδάσκαλον αὐτοῦ Ἀντισθένη οὐδὲ παραβάλλειν ἠξίου αὐτῷ, ἀλλ´ οὐδὲ τὸν Σωκράτη αὐτόν, ἐκάλει δὲ τὸν Δία ἐπὶ τὴν ἅμιλλαν. εἶτα μέντοι ἔδοξεν αὐτῷ ἴσους πως φυλάξαι αὐτούς, καὶ οὕτω κατέπαυε τὸν λόγον· [5] Ces propos émanent de Théagène : c'est ainsi qu'il se nomme. Moi, tout penaud, je demande à l'un de ses disciples où il veut en venir avec son feu ; je cherche à savoir ce que Protée, Héraclès et Empédocle viennent faire dans cette galère. Alors l'autre me sort ceci : « Sous peu, Protée sera aux jeux olympiques. » - Comment, répliquai-je, et pourquoi donc ? La réponse allait fuser quand le cynique en chef se mit brailler comme un dément, si bien que je ne pus rien entendre. Je fus donc condamné à écouter les salades de ce pouilleux, avec toutes les fumeuses évocations relatives à son Protée. Ne se contentant pas de le placer au niveau du philosophe de Sinope ou de son maître Antisthène, il le proclama au-dessus de Socrate, sur un pied d'égalité avec Zeus. C'est vous dire ! Enfin, il termina sur ces mots :
[6] "Δύο γὰρ ταῦτα," ἔφη, " βίος ἄριστα δημιουργήματα ἐθεάσατο, τὸν Δία τὸν Ὀλύμπιον καὶ Πρωτέα· πλάσται δὲ καὶ τεχνῖται, τοῦ μὲν Φειδίας, τοῦ δὲ φύσις. ἀλλὰ νῦν ἐξ ἀνθρώπων εἰς θεοὺς τὸ ἄγαλμα τοῦτο οἰχήσεται, ὀχούμενον ἐπὶ τοῦ πυρός, ὀρφανοὺς ἡμᾶς καταλιπόν." ταῦτα ξὺν πολλῷ ἱδρῶτι διεξελθὼν ἐδάκρυε μάλα γελοίως καὶ τὰς τρίχας ἐτίλλετο, ὑποφειδόμενος μὴ πάνυ ἕλκειν· καὶ τέλος ἀπῆγον αὐτὸν λύζοντα μεταξὺ τῶν Κυνικῶν τινες παραμυθούμενοι. [6] « L'univers peut s'enorgueillir de contempler deux entités sublimes par excellence : Zeus Olympien et Protée. Le premier a jailli des mains de l'artiste Phidias ; le second a été sculpté par Dame Nature. Mais par malheur, cette grâce céleste quittera bientôt le monde des humains pour gagner le séjour des dieux sur des ailes flamboyantes : nous serons privés de sa protection, tous orphelins de lui. » Une fois qu'il eut terminé son discours, soit dit en passant le corps inondé de sueur, il se mit à gémir avec une emphase grotesque, puis tira sur sa tignasse en prenant garde cependant d'en arracher le moindre cheveu... Puis, quelques cyniques le raccompagnèrent en feignant de le consoler de son insoutenable tristesse...
[7] Μετὰ δὲ τοῦτον ἄλλος εὐθὺς ἀναβαίνει, οὐ περιμείνας διαλυθῆναι τὸ πλῆθος ἀλλὰ ἐπ´ αἰθομένοις τοῖς προτέροις ἱερείοις ἐπέχει τῶν σπονδῶν. καὶ τὸ μὲν πρῶτον ἐπὶ πολὺ ἐγέλα καὶ δῆλος ἦν νειόθεν αὐτὸ δρῶν· εἶτα ἤρξατο ὧδέ πως· "Ἐπεὶ κατάρατος Θεαγένης τέλος τῶν μιαρωτάτων αὐτοῦ λόγων τὰ Ἡρακλείτου δάκρυα ἐποιήσατο, ἐγὼ κατὰ τὸ ἐναντίον ἀπὸ τοῦ Δημοκρίτου γέλωτος ἄρξομαι." καὶ αὖθις ἐγέλα ἐπὶ πολύ, ὥστε καὶ ἡμῶν τοὺς πολλοὺς ἐπὶ τὸ ὅμοιον ἐπεσπάσατο. [7] Mais il avait à peine achevé sa digression qu'un autre lui donna la réplique, ne laissant guère le temps à la foule émue de s'épancher dans un torrent de larmes. À son tour, ce dernier offrit sa libation sur la viande encore fumante du sacrifice. Il égaya tout le monde par sa bonne humeur et sa franchise. Que je rapporte ses premiers mots : « Maintenant que cet escroc de Théagène a conclu son verbiage par les sanglots d'Héraclite, il est normal que je commence mon discours par le rire de Démocrite. » De fait, il se remit à rire aux éclats, de sorte que, subissant la contagion, l'auditoire finit par l'imiter.
[8] εἶτα ἐπιστρέψας ἑαυτόν, " τί γὰρ ἄλλο," ἔφη, " ἄνδρες, χρὴ ποιεῖν ἀκούοντας μὲν οὕτω γελοίων ῥήσεων, ὁρῶντας δὲ ἄνδρας γέροντας δοξαρίου καταπτύστου ἕνεκα μονονουχὶ κυβιστῶντας ἐν τῷ μέσῳ; ὡς δὲ εἰδείητε οἷόν τι τὸ ἄγαλμά ἐστι τὸ καυθησόμενον, ἀκούσατέ μου ἐξ ἀρχῆς παραφυλάξαντος τὴν γνώμην αὐτοῦ καὶ τὸν βίον ἐπιτηρήσαντος· ἔνια δὲ παρὰ τῶν πολιτῶν αὐτοῦ ἐπυνθανόμην καὶ οἷς ἀνάγκη ἦν ἀκριβῶς εἰδέναι αὐτόν. [8] L'homme reprit alors la parole mais sur un ton plus grave : « Franchement, mes chers amis, qu'y a-t-il de mieux, devant ces niaiseries de vieux dingos, que de les voir se crêper le chignon au beau milieu de nous ? Vous voulez être mieux informés sur le vrai visage de cette 'grâce céleste' ? Soyez attentifs à mes propos : je sais tout de ses humeurs et de son existence. Ses compatriotes m'ont révélé les détails de sa biographie et, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils en avaient disséqué tous les aspects. »
[9] "Τὸ γὰρ τῆς φύσεως τοῦτο πλάσμα καὶ δημιούργημα, τοῦ Πολυκλείτου κανών, ἐπεὶ εἰς ἄνδρας τελεῖν ἤρξατο, ἐν Ἀρμενίᾳ μοιχεύων ἁλοὺς μάλα πολλὰς πληγὰς ἔλαβεν καὶ τέλος κατὰ τοῦ τέγους ἁλόμενος διέφυγε, ῥαφανῖδι τὴν πυγὴν βεβυσμένος. εἶτα μειράκιόν τι ὡραῖον διαφθείρας τρισχιλίων ἐξωνήσατο παρὰ τῶν γονέων τοῦ παιδός, πενήτων ὄντων, μὴ ἐπὶ τὸν ἁρμοστὴν ἀπαχθῆναι τῆς Ἀσίας. [9] Ce joli bibelot, cet éblouissant rejeton de la nature, ce corps de rêve, ce Canon de Polyclète, était à peine sorti de la puberté qu'il couchait déjà avec une femme mariée avec laquelle il fut surpris, en pleine action, dans une ville d'Arménie. Il reçut une pluie de coups de bâton, cela va sans dire, mais il put s'échapper par le toit de la maison, avec une fourche plantée dans le cul ... Sur sa lancée, après qu'il eut tripoté gaillardement un joli garçon, il échappa aux foudres du gouverneur de l'Asie en payant trois mille drachmes le silence de ses parents, des gens très pauvres.
[10] "Ταῦτα καὶ τὰ τοιαῦτα ἐάσειν μοι δοκῶ· πηλὸς γὰρ ἔτι ἄπλαστος ἦν καὶ οὐδέπω ἐντελὲς ἄγαλμα ἡμῖν δεδημιούργητο. δὲ τὸν πατέρα ἔδρασεν καὶ πάνυ ἀκοῦσαι ἄξιον· καίτοι πάντες ἴστε, καὶ ἀκηκόατε ὡς ἀπέπνιξε τὸν γέροντα, οὐκ ἀνασχόμενος αὐτὸν ὑπὲρ ἑξήκοντα ἔτη ἤδη γηρῶντα. εἶτα ἐπειδὴ τὸ πρᾶγμα διεβεβόητο, φυγὴν ἑαυτοῦ καταδικάσας ἐπλανᾶτο ἄλλοτε ἄλλην ἀμείβων. [10] Inutile d'insister sur ses fredaines et ses turpitudes ; pour te dire que ce n'était encore qu'une masse de glaise informe et non pas l'œuvre sculpturale d'un artiste hors pair. Mais laisse-moi te raconter ce qu'il fit à son père. Tout le monde sait qu'il a étouffé le malheureux vieillard parce qu'il ne supportait plus de le voir se dégrader physiquement après soixante ans. Cette affaire fit tellement de bruit qu'il dut de nouveau prendre la poudre d'escampette. S'exilant volontairement, il erra lamentablement de ville en ville.
[11] "Ὅτεπερ καὶ τὴν θαυμαστὴν σοφίαν τῶν Χριστιανῶν ἐξέμαθεν, περὶ τὴν Παλαιστίνην τοῖς ἱερεῦσιν καὶ γραμματεῦσιν αὐτῶν ξυγγενόμενος. καὶ τί γάρ; ἐν βραχεῖ παῖδας αὐτοὺς ἀπέφηνε, προφήτης καὶ θιασάρχης καὶ ξυναγωγεὺς καὶ πάντα μόνος αὐτὸς ὤν, καὶ τῶν βίβλων τὰς μὲν ἐξηγεῖτο καὶ διεσάφει, πολλὰς δὲ αὐτὸς καὶ συνέγραφεν, καὶ ὡς θεὸν αὐτὸν ἐκεῖνοι ᾐδοῦντο καὶ νομοθέτῃ ἐχρῶντο καὶ προστάτην ἐπεγράφοντο, μετὰ γοῦν ἐκεῖνον ὃν ἔτι σέβουσι, τὸν ἄνθρωπον τὸν ἐν τῇ Παλαιστίνῃ ἀνασκολοπισθέντα, ὅτι καινὴν ταύτην τελετὴν εἰσῆγεν ἐς τὸν βίον. [11] C'est à cette époque qu'il décida de s'imprégner des préceptes de l'admirable religion des chrétiens : il se rendit alors en Palestine et se mêla à leurs prêtres et à leurs scribouilleurs. Que te dire de plus, sinon que ce sinistre individu leur reprocha d'être passablement infantiles. Très vite, il en fit d'obéissants écoliers, se proclama leur prophète, leur thiasarque, leur chef de synagogue, bref, il s'octroya tous les pouvoirs, se proposant d'analyser leurs livres saints, les décortiquant à satiété, rajoutant même des textes de son cru. Tant et si bien que les chrétiens le regardèrent comme un pontife ; il finit même par se hausser au niveau de celui que l'on avait adoré en Palestine et qui subit là-bas le supplice de la croix, coupable, aux yeux de ses semblables, d'avoir inventé de nouveaux mystères pour l'humanité.
[12] "Τότε δὴ καὶ συλληφθεὶς ἐπὶ τούτῳ Πρωτεὺς ἐνέπεσεν εἰς τὸ δεσμωτήριον, ὅπερ καὶ αὐτὸ οὐ μικρὸν αὐτῷ ἀξίωμα περιεποίησεν πρὸς τὸν ἑξῆς βίον καὶ τὴν τερατείαν καὶ δοξοκοπίαν ὧν ἐρῶν ἐτύγχανεν. ἐπεὶ δ´ οὖν ἐδέδετο, οἱ Χριστιανοὶ συμφορὰν ποιούμενοι τὸ πρᾶγμα πάντα ἐκίνουν ἐξαρπάσαι πειρώμενοι αὐτόν. εἶτ´, ἐπεὶ τοῦτο ἦν ἀδύνατον, γε ἄλλη θεραπεία πᾶσα οὐ παρέργως ἀλλὰ σὺν σπουδῇ ἐγίγνετο· καὶ ἕωθεν μὲν εὐθὺς ἦν ὁρᾶν παρὰ τῷ δεσμωτηρίῳ περιμένοντα γρᾴδια χήρας τινὰς καὶ παιδία ὀρφανά, οἱ δὲ ἐν τέλει αὐτῶν καὶ συνεκάθευδον ἔνδον μετ´ αὐτοῦ διαφθείραντες τοὺς δεσμοφύλακας. εἶτα δεῖπνα ποικίλα εἰσεκομίζετο καὶ λόγοι ἱεροὶ αὐτῶν ἐλέγοντο, καὶ βέλτιστος Περεγρῖνοςἔτι γὰρ τοῦτο ἐκαλεῖτοκαινὸς Σωκράτης ὑπ´ αὐτῶν ὠνομάζετο. [12] Bientôt, pour cette raison, notre Protée fut jeté en prison. Or, cette épreuve allait lui offrir une aura supplémentaire et ce, pendant toute la durée de son existence : en effet, une rumeur circula selon laquelle il était capable de faire des miracles et qu'il était assoiffé de gloire. Dès lors, il ne put se contenir. Quand il fut jeté en prison, les chrétiens, émus par cette personnalité à nulle autre pareille, se mirent en quatre pour l'aider à s'évader. Mais ce fut en vain. Ses condisciples se contentèrent de lui témoigner mille hommages. Ainsi, dès l'aube, on voyait déambuler autour de sa prison un essaim de vieilles femmes, de veuves et d'orphelins. Le gratin de la secte parvenait même à partager sa cellule, après avoir graissé la patte de ses geôliers. Grâce à leur dévouement sans limite, notre faux prophète, tout en savourant de fins repas, eut le temps de s'imprégner de leurs textes sacrés. C'est alors que Pérégrinos dit le vertueux - épithète qu'il s'était lui-même attribuée - fut appelé par les chrétiens « nouveau Socrate » !
[13] "Καὶ μὴν κἀκ τῶν ἐν Ἀσίᾳ πόλεων ἔστιν ὧν ἧκόν τινες, τῶν Χριστιανῶν στελλόντων ἀπὸ τοῦ κοινοῦ, βοηθήσοντες καὶ συναγορεύσοντες καὶ παραμυθησόμενοι τὸν ἄνδρα. ἀμήχανον δέ τι τὸ τάχος ἐπιδείκνυνται, ἐπειδάν τι τοιοῦτον γένηται δημόσιον· ἐν βραχεῖ γὰρ ἀφειδοῦσι πάντων. καὶ δὴ καὶ τῷ Περεγρίνῳ πολλὰ τότε ἧκεν χρήματα παρ´ αὐτῶν ἐπὶ προφάσει τῶν δεσμῶν, καὶ πρόσοδον οὐ μικρὰν ταύτην ἐποιήσατο. πεπείκασι γὰρ αὑτοὺς οἱ κακοδαίμονες τὸ μὲν ὅλον ἀθάνατοι ἔσεσθαι καὶ βιώσεσθαι τὸν ἀεὶ χρόνον, παρ´ καὶ καταφρονοῦσιν τοῦ θανάτου καὶ ἑκόντες αὑτοὺς ἐπιδιδόασιν οἱ πολλοί. ἔπειτα δὲ νομοθέτης πρῶτος ἔπεισεν αὐτοὺς ὡς ἀδελφοὶ πάντες εἶεν ἀλλήλων, ἐπειδὰν ἅπαξ παραβάντες θεοὺς μὲν τοὺς Ἑλληνικοὺς ἀπαρνήσωνται, τὸν δὲ ἀνεσκολοπισμένον ἐκεῖνον σοφιστὴν αὐτὸν προσκυνῶσιν καὶ κατὰ τοὺς ἐκείνου νόμους βιῶσιν. καταφρονοῦσιν οὖν ἁπάντων ἐξ ἴσης καὶ κοινὰ ἡγοῦνται, ἄνευ τινὸς ἀκριβοῦς πίστεως τὰ τοιαῦτα παραδεξάμενοι. ἢν τοίνυν παρέλθῃ τις εἰς αὐτοὺς γόης καὶ τεχνίτης ἄνθρωπος καὶ πράγμασιν χρῆσθαι δυνάμενος, αὐτίκα μάλα πλούσιος ἐν βραχεῖ ἐγένετο ἰδιώταις ἀνθρώποις ἐγχανών. [13] Et ce n'est pas tout : maintes cités d'Asie lui envoyèrent des représentants des chrétiens, des sortes d'avocats chargés de le soutenir dans sa lutte et tenter de défendre ses droits. Dans ces circonstances, ils rivalisèrent d'empressement, ne lésinant pas sur la dépense en faveur de notre homme, si bien que Pérégrinos vit affluer des flots d'argent dans sa prison et finit par amasser un bien joli pécule. Ces pauvres chrétiens se croient immortels et s'imaginent que l'éternité les attend. Ils se moquent pas mal des supplices et se jettent avec courage dans les bras de la mort. Celui qui fut leur législateur les convainquit que tous les hommes étaient frères. Une fois convertis, ils mettent au rebut les dieux des Grecs, pour vénérer ce sophiste mis en croix dont ils suivent à la lettre les moindres préceptes. Les biens et les richesses leur font horreur, et ils partagent tout, se conformant à une tradition sans fondement doctrinal. La conséquence de ces pratiques, c'est que le premier aigrefin venu, s'introduisant parmi eux, pourvu qu'il soit un peu retors, n'a pas grand mal à s'enrichir à leurs dépens, non sans rire au fond de lui-même de la naïveté de ces gens.
[14] "Πλὴν ἀλλ´ Περεγρῖνος ἀφείθη ὑπὸ τοῦ τότε τῆς Συρίας ἄρχοντος, ἀνδρὸς φιλοσοφίᾳ χαίροντος, ὃς συνεὶς τὴν ἀπόνοιαν αὐτοῦ καὶ ὅτι δέξαιτ´ ἂν ἀποθανεῖν ὡς δόξαν ἐπὶ τούτῳ ἀπολίποι, ἀφῆκεν αὐτὸν οὐδὲ τῆς κολάσεως ὑπολαβὼν ἄξιον. δὲ εἰς τὴν οἰκείαν ἐπανελθὼν καταλαμβάνει τὸ περὶ τοῦ πατρῴου φόνου ἔτι φλεγμαῖνον καὶ πολλοὺς τοὺς ἐπανατεινομένους τὴν κατηγορίαν. διήρπαστο δὲ τὰ πλεῖστα τῶν κτημάτων παρὰ τὴν ἀποδημίαν αὐτοῦ καὶ μόνοι ὑπελείποντο οἱ ἀγροὶ ὅσον εἰς πεντεκαίδεκα τάλαντα. ἦν γὰρ πᾶσα οὐσία τριάκοντά που ταλάντων ἀξία ἣν γέρων κατέλιπεν, οὐχ ὥσπερ παγγέλοιος Θεαγένης ἔλεγε πεντακισχιλίων· τοσούτου γὰρ οὐδὲ πᾶσα τῶν Παριανῶν πόλις πέντε σὺν αὐτῇ τὰς γειτνιώσας παραλαβοῦσα πραθείη ἂν αὐτοῖς ἀνθρώποις καὶ βοσκήμασιν καὶ τῇ λοιπῇ παρασκευῇ. [14] Un jour vint, cependant, où Pérégrinos fut délivré de ses chaînes sur ordre du gouverneur de Syrie. L'homme, féru en diable de philosophie, ayant eu vent que ce cynique illuminé était prêt à se suicider afin d'acquérir une glorieuse renommée, lui rendit la liberté, l'estimant quant à lui innocent. Rentré chez lui, notre homme eut la désagréable surprise de découvrir que ses concitoyens étaient dans de furieuses dispositions à son égard à la suite du meurtre de son père et qu'ils désiraient le traîner en justice. Ses biens avaient été volés pendant son absence, et il ne lui restait que quelques parcelles de terre d'une valeur d'environ quinze talents. Si l'on ajoute quelques fonds de tiroir laissés par son père, il possédait en tout et pour tout trente talents : on est loin des comptes pharaoniques de ce fou de Théagène qui estimait sa fortune à cinq mille talents ! Avec une pareille somme fabuleuse, il lui eût été possible de se payer la ville de Parion et cinq cités environnantes, bien entendu avec habitants, bétails et dépendances incluses !
[15] "Ἀλλ´ ἔτι γε κατηγορία καὶ τὸ ἔγκλημα θερμὸν ἦν, καὶ ἐῴκει οὐκ εἰς μακρὰν ἐπαναστήσεσθαί τις αὐτῷ, καὶ μάλιστα δῆμος αὐτὸς ἠγανάκτει, χρηστόν, ὡς ἔφασαν οἱ ἰδόντες, γέροντα πενθοῦντες οὕτως ἀσεβῶς ἀπολωλότα. δὲ σοφὸς οὗτος Πρωτεὺς πρὸς ἅπαντα ταῦτα σκέψασθε οἷόν τι ἐξεῦρεν καὶ ὅπως τὸν κίνδυνον διέφυγεν. παρελθὼν γὰρ εἰς τὴν ἐκκλησίαν τῶν Παριανῶνἐκόμα δὲ ἤδη καὶ τρίβωνα πιναρὸν ἠμπείχετο καὶ πήραν παρήρτητο καὶ τὸ ξύλον ἐν τῇ χειρὶ ἦν, καὶ ὅλως μάλα τραγικῶς ἐσκεύαστοτοιοῦτος οὖν ἐπιφανεὶς αὐτοῖς ἀφεῖναι ἔφη τὴν οὐσίαν ἣν μακαρίτης πατὴρ αὐτῷ κατέλιπεν δημοσίαν εἶναι πᾶσαν. τοῦτο ὡς ἤκουσεν δῆμος, πένητες ἄνθρωποι καὶ πρὸς διανομὰς κεχηνότες, ἀνέκραγον εὐθὺς ἕνα φιλόσοφον, ἕνα φιλόπατριν, ἕνα Διογένους καὶ Κράτητος ζηλωτήν. οἱ δὲ ἐχθροὶ ἐπεφίμωντο, κἂν εἴ τις ἐπιχειρήσειεν μεμνῆσθαι τοῦ φόνου, λίθοις εὐθὺς ἐβάλλετο. [15] Comme on le voit, les esprits étaient montés contre lui : il allait être mis en accusation, un orateur ne tarderait pas à émerger de la foule pour le confondre. Les gens de sa cité étaient scandalisés par son forfait, et tout le monde pleurait notre bon vieillard si atrocement assassiné. Mais Protée trouva le moyen de parer au danger mortel qui se profilait. Il rejoignit ses compatriotes, coiffé d'une effarante tignasse, revêtu d'un pelisse miteuse, avec une besace sur le dos et un bâton à la main, comme un héros tout droit sorti d'une tragédie. C'est dans ce travestissement qu'il harangua la foule, proclamant que les biens paternels seraient dorénavant offerts à la collectivité. Quand il eut fait cette adresse, les gens du peuple, pauvres hères sans cesse en quête de cadeaux et de largesses, s'écrièrent à tue-tête : « Vive le philosophe ! Vive notre compatriote ! Tu es désormais le rival de Diogène et de Cratès ! » Ceux qui étaient opposés à Pérégrinos restaient silencieux, sûrs qu'en évoquant le meurtre, ils risquaient d'être engloutis sous une volée de pierres.


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Dernière mise à jour : 12/07/2005