[1] Scène I - vers 1-48
(ΤΡΟΦΟΣ)
1 Εἴθ΄ ὤφελ΄ Ἀργοῦς μὴ διαπτάσθαι σκάφος
Κόλχων ἐς αἶαν κυανέας Συμπληγάδας͵
μηδ΄ ἐν νάπαισι Πηλίου πεσεῖν ποτε
τμηθεῖσα πεύκη͵ μηδ΄ ἐρετμῶσαι χέρας
ἀνδρῶν ἀρίστων. οἳ τὸ πάγχρυσον δέρας
Πελίᾳ μετῆλθον. οὐ γὰρ ἂν δέσποιν΄ ἐμὴ
Μήδεια πύργους γῆς ἔπλευσ΄ Ἰωλκίας
ἔρωτι θυμὸν ἐκπλαγεῖσ΄ Ἰάσονος·
οὐδ΄ ἂν κτανεῖν πείσασα Πελιάδας κόρας
10 πατέρα κατῴκει τήνδε γῆν Κορινθίαν
ξὺν ἀνδρὶ καὶ τέκνοισιν͵ ἁνδάνουσα μὲν
φυγῇ πολιτῶν ὧν ἀφίκετο χθόνα͵
αὐτή τε πάντα ξυμφέρουσ΄ Ἰάσονι·
ἥπερ μεγίστη γίγνεται σωτηρία͵
ὅταν γυνὴ πρὸς ἄνδρα μὴ διχοστατῇ.
νῦν δ΄ ἐχθρὰ πάντα͵ καὶ νοσεῖ τὰ φίλτατα.
προδοὺς γὰρ αὑτοῦ τέκνα δεσπότιν τ΄ ἐμὴν
γάμοις Ἰάσων βασιλικοῖς εὐνάζεται͵
γήμας Κρέοντος παῖδ΄͵ ὃς αἰσυμνᾷ χθονός·
20 Μήδεια δ΄ ἡ δύστηνος ἠτιμασμένη
βοᾷ μὲν ὅρκους͵ ἀνακαλεῖ δὲ δεξιάς͵
πίστιν μεγίστην͵ καὶ θεοὺς μαρτύρεται
οἵας ἀμοιβῆς ἐξ Ἰάσονος κυρεῖ.
κεῖται δ΄ ἄσιτος͵ σῶμ΄ ὑφεῖσ΄ ἀλγηδόσι͵
τὸν πάντα συντήκουσα δακρύοις χρόνον͵
ἐπεὶ πρὸς ἀνδρὸς ᾔσθετ΄ ἠδικημένη͵
οὔτ΄ ὄμμ΄ ἐπαίρουσ΄ οὔτ΄ ἀπαλλάσσουσα γῆς
πρόσωπον· ὡς δὲ πέτρος ἢ θαλάσσιος
κλύδων ἀκούει νουθετουμένη φίλων·
30 ἢν μή ποτε στρέψασα πάλλευκον δέρην
αὐτὴ πρὸς αὑτὴν πατέρ΄ ἀποιμώξῃ φίλον
καὶ γαῖαν οἴκους θ΄͵ οὓς προδοῦσ΄ ἀφίκετο
μετ΄ ἀνδρὸς ὅς σφε νῦν ἀτιμάσας ἔχει.
ἔγνωκε δ΄ ἡ τάλαινα συμφορᾶς ὕπο
οἷον πατρῴας μὴ ἀπολείπεσθαι χθονός.
στυγεῖ δὲ παῖδας οὐδ΄ ὁρῶσ΄ εὐφραίνεται.
δέδοικα δ΄ αὐτὴν μή τι βουλεύσῃ νέον·
βαρεῖα γὰρ φρήν͵ οὐδ΄ ἀνέξεται κακῶς
πάσχουσ΄· ἐγᾦδα τήνδε͵ δειμαίνω τέ νιν
40 μὴ θηκτὸν ὤσῃ φάσγανον δι΄ ἥπατος͵
σιγῇ δόμους εἰσβᾶσ΄͵ ἵν΄ ἔστρωται λέχος͵
ἢ καὶ τύραννον τόν τε γήμαντα κτάνῃ͵
κἄπειτα μείζω συμφορὰν λάβῃ τινά.
δεινὴ γάρ· οὔτοι ῥᾳδίως γε συμβαλὼν
ἔχθραν τις αὐτῇ καλλίνικον οἴσεται.
ἀλλ΄ οἵδε παῖδες ἐκ τρόχων πεπαυμένοι
στείχουσι͵ μητρὸς οὐδὲν ἐννοούμενοι
κακῶν· νέα γὰρ φροντὶς οὐκ ἀλγεῖν φιλεῖ.
| [1] Scène I - vers 1-48
NOURRICE
(1-19) Non! Le vaisseau Argo n'aurait pas dû traverser l'azur sombre des
Symplégades pour gagner la Colchide! Non! Dans les vallons boisés du
Pélion, des pins n'auraient pas dû tomber sous la hache! Non! Des hommes
d'exception n'auraient pas dû prendre les rames, eux qui pour Pélias
étaient partis à la quête de la Toison d'Or! (5-6)... Non! Car alors
Médée, - Médée, c'est ma maîtresse - n'aurait embarqué vers la citadelle
d'Iôlcos, avec son coeur terrassé par l'amour de Jason (8). Non! Elle
n'aurait pas poussé les filles de Pélias à tuer leur père. Non! (11) Elle
ne vivrait pas ici dans la terre de Corinthe avec son mari et leurs petits.
Elle s'était fait bien accueillir par les citoyens de ce pays où,
fugitive, elle avait abordé (13). D'elle-même, elle vivait en parfait
accord avec Jason. Qu'une femme ne soit pas en dispute avec son mari,
c'est bien ce qu'il y a de plus rassurant...
Or voilà que maintenant, tout se retourne contre elle. Ce qu'elle a de
plus cher la rend malade (17-19). Car lui, il a trahi ses petits - oui les
siens- et ma maîtresse. Oui, Jason s'est marié pour partager une couche royale.
Il a épousé la fille de Créon, le maître de ce pays!...
(On perçoit des cris. La nourrice tourne la tête vers la maison, puis
reprend. Au cours de son soliloque, les enfants et le précepteur arrivent,
ce qu'elle ne remarque pas immédiatement)
(20-45) Pauvre Médée! Mais quel outrage! Elle hurle en invoquant leurs
serments, leurs mains qui se sont étreintes - c'est le plus grand signe de
confiance qu'on puisse s'échanger. Elle prend à témoins les dieux de ce
qu'elle reçoit en retour de Jason (23).
Elle reste au lit. Elle ne mange plus. Elle abandonne son corps aux
tourments. Elle use sa vie à pleurer sans arrêt (26), depuis qu'elle s'est
rendu compte de l'outrage de son mari. Elle ne lève pas les yeux, elle les
garde rivés au sol. Pas plus qu'un rocher ou une vague de la mer, elle
n'entend les mises en garde de ses amis.
(30-35) Mais parfois, elle détourne son cou tout blanc, elle rentre en
elle-même pour pleurer son père tant aimé et son pays et sa maison qu'elle
a trahis pour suivre cet homme qui maintenant lui inflige son dédain (33).
Elle qui souffre, elle sait bien, la malheureuse, ce que vaut de ne pas
laisser derrière soi la terre de ses aïeux.
(36-45) Et ses enfants? Elle les prend en horreur et ne se laisse pas
attendrir par leur vue. J'ai bien peur: méditerait-elle quelque chose
d'imprévisible? Son âme est redoutable. Elle refusera d'être maltraitée.
Moi, je la connais... J'en ai peur. Impitoyable qu'elle est! Et, bien sûr,
celui qui a provoqué sa haine ne remportera pas le trophée de la victoire.
(46-48) Mais voilà les enfants! Ils ont fini de s'entraîner à la course.
Ils ne se soucient pas du tout des malheurs de leur mère. Un esprit jeune
n'est pas porté à souffrir...
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