Texte grec :
[11] Ἆρ´ οὖν τὸ μὲν λέγειν τὰ φαῦλα περὶ τῶν
θεῶν ἀνόσιον, τὸ δὲ δοξάζειν οὐκ ἀνόσιον; ἢ καὶ
τὴν φωνὴν ἄτοπον ἡ δόξα ποιεῖ τοῦ βλασφημοῦντος;
καὶ γὰρ ἡμεῖς τὴν βλασφημίαν ὅτι δυσμενείας
σημεῖόν ἐστι προβαλλόμεθα, καὶ τοὺς
κακῶς ἡμᾶς λέγοντας ἐχθροὺς νομίζομεν ὡς καὶ
κακῶς φρονοῦντας. ὁρᾷς δ´ οἷα περὶ τῶν θεῶν οἱ
δεισιδαίμονες φρονοῦσιν, ἐμπλήκτους ἀπίστους
εὐμεταβόλους τιμωρητικοὺς ὠμοὺς μικρολύπους
ὑπολαμβάνοντες, ἐξ ὧν ἀνάγκη καὶ μισεῖν τὸν
δεισιδαίμονα καὶ φοβεῖσθαι τοὺς θεούς. πῶς γὰρ
οὐ μέλλει, τὰ μέγιστα τῶν κακῶν αὑτῷ δι´ ἐκείνους
οἰόμενος γεγονέναι καὶ πάλιν γενήσεσθαι;
μισῶν δὲ θεοὺς καὶ φοβούμενος ἐχθρός ἐστι. κἂν
δεδοίκῃ, προσκυνεῖ γε καὶ θύει καὶ κάθηται πρὸς
ἱεροῖς, καὶ οὐ θαυμαστόν ἐστι· καὶ γὰρ τοὺς τυράννους
ἀσπάζονται περιέπουσι χρυσοῦς ἀνιστᾶσιν,
ἀλλὰ μισοῦσι σιγῇ "κάρα σείοντες." Ἀλέξανδρον
Ἑρμόλαος ἐθεράπευε, Παυσανίας ἐδορυφόρει Φίλιππον,
Χαιρέας Γάιον, ἀλλ´ ἕκαστος τούτων ἔλεγε
παρακολουθῶν
ἦ ς´ ἂν τισαίμην, εἴ μοι δύναμίς γε παρείη.
Οὐκ οἴεται θεοὺς εἶναι ὁ ἄθεος, ὁ δὲ δεισιδαίμων
οὐ βούλεται, πιστεύει δ´ ἄκων· φοβεῖται γὰρ ἀπιστεῖν.
καίτοι γ´ ὥσπερ ὁ Τάνταλος ὑπεκδῦναι
τὸν λίθον ἐπαιωρούμενον οὕτω καὶ οὗτος τὸν φόβον
ὡς οὐχ ἧττον ὑπ´ αὐτοῦ πιεζόμενος ἀγαπήσειεν
ἄν, καὶ μακαρίσειε τὴν τοῦ ἀθέου διάθεσιν ὡς ἐλευθέριον.
νυνὶ δὲ τῷ μὲν ἀθέῳ δεισιδαιμονίας οὐδὲν
μέτεστιν, ὁ δὲ δεισιδαίμων τῇ προαιρέσει ἄθεος
ὢν ἀσθενέστερός ἐστιν ἢ ὥστε δοξάζειν περὶ θεῶν
ὃ βούλεται.
|
|
Traduction française :
[11] Est-ce donc à dire que ce soit un sacrilége de parler
mal des dieux, et que ce n'en soit pas un de mal penser sur
leur compte ? Ce qui donne à des propos un caractère blessant,
n'est-ce pas l'opinion de celui qui les prononce ? Car
enfin, nous nous offensons de la calomnie parce qu'elle est
une preuve de malveillance; et si dans ceux qui parlent mal
de nous nous voyons des ennemis, c'est parce que nous
les regardons comme des gens à qui l'on ne doit pas se fier
et qui sont mal intentionnés à notre égard. Or voyez quel
jugement les hommes égarés par la superstition portent sur
les dieux. Ils les supposent étourdis, perfides, capricieux,
vindicatifs, cruels, susceptibles à l'excès ; et par conséquent
ils sont dans la nécessité de les haïr et de les craindre.
Pourrait-il en arriver autrement, lorsqu'on leur attribue les plus
grands maux que l'on ait soufferts et ceux que l'on devra
souffrir encore ? Haïssant les dieux et les redoutant, le
superstitieux est leur ennemi. Il est vrai que, tout en les redoutant,
il les adore, leur sacrifie, et s'installe dans leurs
temples. Que fait-il en cela d'étonnant ? Aux tyrans aussi
on rend hommage, on les escorte, on leur dresse des
statues en or, mais on les déteste en silence et l'on remue
dédaigneusement la tête. Hermolaüs flattait Alexandre;
Pausanias était un des gardes du corps de Philippe; Chéréas,
de Caligula; mais chacun d'eux, en les escortant, disait :
"Que je voudrais pouvoir assouvir ma vengeance"!
L'athée ne croit pas qu'il y ait des dieux; le superstitieux
voudrait qu'il n'y en eût point. S'il croit à leur existence
c'est malgré lui : car cette croyance le remplit de terreur.
Comme Tantale qui était menacé sans cesse par le rocher
suspendu au-dessus de sa tête, il voudrait bien être débarrassé
de la crainte qui pèse sur lui; il s'estimerait heureux d'être
dans la même disposition d'esprit que l'athée, parce qu'il se
croirait libre. Mais non : en même temps que l'athée est
dégagé de tout sentiment de superstition, le superstitieux
touche à l'athéisme par l'intention; seulement il est trop
faible pour penser sur le compte des dieux ce qu'il voudrait
en penser.
|
|