Texte grec :
[3] Οὕτω δὴ τὴν προαίρεσιν ἀπερείσαντας ἐν
ἑαυτοῖς καὶ ποιήσαντας ἄτρεπτον καὶ δυσμετάθετον,
τρέπεσθαι χρὴ πρὸς κατανόησιν τοῦ ἤθους
τῶν πολιτῶν, ὃ μάλιστα συγκραθὲν ἐκ πάντων
ἐπιφαίνεται καὶ ἰσχύει. τὸ μὲν γὰρ εὐθὺς αὐτὸν
ἐπιχειρεῖν ἠθοποιεῖν καὶ μεθαρμόττειν τοῦ δήμου
τὴν φύσιν οὐ ῥᾴδιον οὐδ´ ἀσφαλές, ἀλλὰ καὶ
χρόνου δεόμενον πολλοῦ καὶ μεγάλης δυνάμεως.
δεῖ δ´, ὥσπερ οἶνος ἐν ἀρχῇ μὲν ὑπὸ τῶν ἠθῶν
κρατεῖται τοῦ πίνοντος ἡσυχῆ δὲ διαθάλπων καὶ
κατακεραννύμενος αὐτὸς ἠθοποιεῖ τὸν πίνοντα καὶ
μεθίστησιν, οὕτω τὸν πολιτικόν, ἕως ἂν ἰσχὺν
ἀγωγὸν ἐκ δόξης καὶ πίστεως κατασκευάσηται,
τοῖς ὑποκειμένοις ἤθεσιν εὐάρμοστον εἶναι καὶ
στοχάζεσθαι τούτων, ἐπιστάμενον οἷς χαίρειν ὁ
δῆμος καὶ ὑφ´ ὧν ἄγεσθαι πέφυκεν· οἷον ὁ Ἀθηναίων
εὐκίνητός ἐστι πρὸς ὀργήν, εὐμετάθετος πρὸς ἔλεον,
μᾶλλον ὀξέως ὑπονοεῖν ἢ διδάσκεσθαι καθ´ ἡσυχίαν
βουλόμενος· ὥσπερ τῶν ἀνδρῶν τοῖς ἀδόξοις καὶ
ταπεινοῖς βοηθεῖν προθυμότερος, οὕτω τῶν λόγων
τοὺς παιγνιώδεις καὶ γελοίους ἀσπάζεται καὶ προτιμᾷ·
τοῖς μὲν ἐπαινοῦσιν αὐτὸν μάλιστα χαίρει, τοῖς
δὲ σκώπτουσιν ἥκιστα δυσχεραίνει· φοβερός ἐστιν
ἄχρι τῶν ἀρχόντων, εἶτα φιλάνθρωπος ἄχρι τῶν
πολεμίων. ἕτερον ἦθος τοῦ Καρχηδονίων δήμου,
πικρόν, σκυθρωπόν, ὑπήκοον τοῖς ἄρχουσι, βαρὺ
τοῖς ὑπηκόοις, ἀγεννέστατον ἐν φόβοις, ἀγριώτατον
ἐν ὀργαῖς, ἐπίμονον τοῖς γνωσθεῖσι, πρὸς
παιδιὰν καὶ χάριν ἀνήδυντον καὶ σκληρόν· οὐκ
ἂν οὗτοι, Κλέωνος ἀξιοῦντος αὐτούς, ἐπεὶ τέθυκε
καὶ ξένους ἑστιᾶν μέλλει, τὴν ἐκκλησίαν ὑπερθέσθαι,
γελάσαντες ἂν καὶ κροτήσαντες ἀνέστησαν·
οὐδ´ Ἀλκιβιάδην ὄρτυγος ἐν τῷ λέγειν διαφυγόντος
ἐκ τοῦ ἱματίου, φιλοτίμως συνθηρεύσαντες ἀπέδωκαν
ἄν· ἀλλὰ καὶ ἀπέκτειναν ἄν, ὡς ὑβρίζοντας
καὶ τρυφῶντας· ὅπου καὶ Ἄννωνα λέοντι χρώμενον
σκευοφόρῳ παρὰ τὰς στρατείας αἰτιασάμενοι τυραννικὰ
φρονεῖν ἐξήλασαν. οἶμαι δ´ ἂν ἔγωγε
μηδὲ Θηβαίους ἀποσχέσθαι γραμμάτων πολεμίων
κυρίους γενομένους, ὡς Ἀθηναῖοι Φιλίππου γραμματοφόρους
λαβόντες ἐπιστολὴν ἐπιγεγραμμένην
Ὀλυμπιάδι κομίζοντας οὐκ ἔλυσαν οὐδ´ ἀπεκάλυψαν
ἀπόρρητον ἀνδρὸς ἀποδήμου πρὸς γυναῖκα φιλοφροσύνην·
οὐδέ γ´ αὖ πάλιν Ἀθηναίους, Ἐπαμεινώνδου
πρὸς τὴν κατηγορίαν ἀπολογεῖσθαι μὴ
θέλοντος ἀλλ´ ἀναστάντος ἐκ τοῦ θεάτρου καὶ διὰ
τῆς ἐκκλησίας εἰς τὸ γυμνάσιον ἀπιόντος, εὐκόλως
ἐνεγκεῖν τὴν ὑπεροψίαν καὶ τὸ φρόνημα τοῦ ἀνδρός·
πολλοῦ δ´ ἂν ἔτι καὶ Σπαρτιάτας δεῆσαι τὴν
Στρατοκλέους ὕβριν ὑπομεῖναι καὶ βωμολοχίαν,
πείσαντος μὲν αὐτοὺς εὐαγγέλια θύειν ὡς νενικηκότας,
ἐπεὶ δέ, τῆς ἥττης ἀληθῶς ἀπαγγελθείσης,
ἠγανάκτουν, ἐρωτῶντος τὸν δῆμον τί ἠδίκηται,
τρεῖς ἡμέρας δι´ αὐτὸν ἡδέως γεγονώς.
οἱ μὲν οὖν αὐλικοὶ κόλακες ὥσπερ ὀρνιθοθῆραι μιμούμενοι
τῇ φωνῇ καὶ συνεξομοιοῦντες ἑαυτοὺς ὑποδύονται
μάλιστα καὶ προσάγουσι δι´ ἀπάτης τοῖς βασιλεῦσι·
τῷ δὲ πολιτικῷ μιμεῖσθαι μὲν οὐ προσήκει τοῦ
δήμου τὸν τρόπον, ἐπίστασθαι δὲ καὶ χρῆσθαι πρὸς
ἕκαστον, οἷς ἁλώσιμός ἐστιν· ἡ γὰρ ἄγνοια τῶν
ἠθῶν ἀστοχίας φέρει καὶ διαπτώσεις οὐχ ἥττονας
ἐν ταῖς πολιτείαις ἢ ταῖς φιλίαις τῶν βασιλέων.
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Traduction française :
[3] L'homme qui s'est ainsi fortifié dans sa résolution et
chez qui elle est devenue ferme et inébranlable, doit s'appliquer
à bien connaître le caractère de ses concitoyens, ou
du moins à considérer ce qui dans leur tempérament général
est le plus saillant et le plus fort. Car vouloir tout
d'abord faire soi-même les moeurs d'un peuple et réformer
celles qu'il a, est oeuvre aussi difficile que périlleuse, oeuvre
exigeant beaucoup de temps et une force immense. Il faut
savoir s'y prendre. Comme le vin, au commencement du
repas, est maîtrisé par le caractère des gens qui le boivent,
et qu'insensiblement, à mesure qu'il réchauffe et se mêle
dans leurs veines, il change le naturel des buveurs pour
leur faire prendre le sien; de même, jusqu'à ce que l'homme
d'État se soit acquis, à force de gloire et de confiance, l'autorité
dont il a besoin pour conduire le peuple, il doit s'accommoder
aux caractères qu'il a sous la main, les approfondir,
et viser à les satisfaire, en sachant bien ce que le peuple goûte
et par quels motifs il est naturellement enclin à se déterminer.
Par exemple le peuple athénien est facile à mettre en
colère; on le fait de là passer aisément à la pitié; il est
plus disposé à comprendre promptement les choses qu'à
permettre qu'on les lui enseigne à loisir. Comme il est empressé
à secourir de préférence ceux qui sont dans une position
obscure et humble, de même les plaisanteries et les
propos qui prêtent à rire sont ce qu'il aime et préfère. Il est
enchanté quand on le loue; mais si on le raille, il ne s'en
offense pas. Il fait trembler jusqu'à ceux qui le gouvernent,
puis il traite avec la plus touchante humanité jusqu'à ses ennemis.
Tout autre est le caractère du peuple carthaginois. Il est
dur, sombre soumis à ceux qui le gouvernent, tyrannique
envers ceux qu'il domine de sa puissance. Il manque de
toute dignité quand il a peur; il est impitoyable dans ses
ressentiments. Ses déterminations prises sont inébranlables.
Ce qui est plaisanterie et agrément le trouve insensible
et glacé. Ce n'est pas chez les Carthaginois qu'un
Cléon aurait osé dire, « qu'il ajournait l'assemblée parce
qu'il avait fait un sacrifice et que des hôtes à traiter l'attendaient
ce n'est pas chez eux qu'on aurait alors levé la
séance au milieu des éclats de rire et des applaudissements.
Ce n'est pas chez eux qu'à la vue d'une caille qui s'échappait
de dessous le manteau d'Alcibiade parlant à la tribune,
on se serait mis à l'envi à la pourchasser et à la lui rendre.
Bien plus, de semblables hardiesses auraient à Carthage
été punies de mort. On n'y aurait vu que de l'insolence et
du dédain, puisque Annon, se servant en campagne d'un
lion pour porter son bagage, on l'accusa de songer à la tyrannie
et on l'envoya en exil.
Je crois, pour ma part, que les Thébains eux-mêmes ne
se seraient pas abstenus de lire une correspondance tombée
entre leurs mains. Les Athéniens, au contraire, ayant saisi
des courriers porteurs d'une lettre adressée par Philippe à
Olympias, ne voulurent pas l'ouvrir : ils respectèrent la
correspondance affectueuse entre un mari en voyage et
sa femme. D'un autre côté, ce n'est pas à Athènes, je
crois, qu Épaminondas accusé aurait pu refuser une justification,
se lever au milieu des spectateurs, et traverser
l'assemblée du peuple pour se rendre au Gymnase : les
Athéniens ne se seraient pas résignés facilement à ce dédain
et à cette fierté. Citons encore un contraste. Les Spartiates
auraient été bien éloignés de souffrir l'insolence et la bouffonnerie
de ce Stratoclès, qui persuada aux Athéniens de
sacrifier à propos de l'heureuse nouvelle d'une prétendue
victoire. Quand, plus tard, ce fut une défaite trop réelle
que l'on annonça, le peuple était furieux : « Quel tort, vous
ai-je donc fait? demanda Stratoclès. Vous me devez, au contraire,
l'avantage d'avoir été heureux durant trois grands jours. »
Les flatteurs de cour font comme les oiseleurs. C'est surtout
en imitant la voix, en prenant la ressemblance du maître
qu'ils se glissent subrepticement auprès des princes et les
trompent par leurs séductions. Mais il ne serait pas convenable
que l'homme d'État contrefît les moeurs de son
peuple. Il doit seulement les connaître, et se servir, à l'égard
de chaque citoyen, des moyens par lesquels il peut se le
concilier. L'ignorance du caractère des hommes produit des
mécomptes et des revers non moins graves dans le maniement
des affaires publiques que dans les amitiés des souverains.
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