Texte grec :
[15] ‘Οὐ μὴν ἀλλὰ τά γε δημόσια τῶν πόλεων μηνίματα
τὸν τοῦ δικαίου λόγον ἔχει πρόχειρον. | ἓν γάρ τι
πρᾶγμα καὶ συνεχὲς ἡ πόλις ὥσπερ ζῷον οὐκ ἐξιστάμενον
αὑτοῦ ταῖς καθ´ ἡλικίαν μεταβολαῖς οὐδ´ ἕτερον ἐξ ἑτέρου
τῷ χρόνῳ γινόμενον, ἀλλὰ συμπαθὲς ἀεὶ καὶ οἰκεῖον αὑτῷ
καὶ πᾶσαν ὧν πράττει κατὰ τὸ κοινὸν ἢ ἔπραξεν αἰτίαν καὶ
χάριν ἀναδεχόμενον, μέχρι ἂν ἡ ποιοῦσα καὶ συνδέουσα
ταῖς ἐπιπλοκαῖς κοινωνία τὴν ἑνότητα διαφυλάττῃ. τὸ δὲ
πολλὰς πόλεις διαιροῦντα τῷ χρόνῳ ποιεῖν μᾶλλον δ´
ἀπείρους ὅμοιόν ἐστι τῷ πολλοὺς τὸν ἕνα ποιεῖν ἄνθρωπον,
ὅτι νῦν πρεσβύτερός ἐστι πρότερον δὲ νεώτερος ἀνωτέρω
δὲ μειράκιον ἦν. μᾶλλον δ´ ὅλως ταῦτά γε τοῖς Ἐπιχαρμείοις
ἔοικεν, ἐξ ὧν ὁ αὐξόμενος ἀνέφυ τοῖς
σοφισταῖς λόγος· ὁ γὰρ λαβὼν πάλαι τὸ χρέος νῦν οὐκ
ὀφείλει γεγονὼς ἕτερος, ὅ τε κληθεὶς ἐπὶ δεῖπνον ἐχθὲς
ἄκλητος ἥκει τήμερον· ἄλλος γάρ ἐστι. καίτοι μείζονάς γε
παραλλαγὰς αἱ ἡλικίαι περὶ ἕκαστον ἡμῶν ποιοῦσιν ἢ
κοινῇ περὶ τὰς πόλεις. γνοίη γὰρ ἄν τις ἰδὼν τὰς Ἀθήνας
ἔτει τριακοστῷ, καὶ τὰ νῦν ἤθη καὶ κινήματα παιδιαί τε
καὶ σπουδαὶ καὶ χάριτες καὶ ὀργαὶ τοῦ δήμου πάνυ γε τοῖς
παλαιοῖς ἐοίκασι· ἀνθρώπου δὲ μόλις ἄν τις οἰκεῖος ἢ
φίλος ἐντυχὼν διὰ χρόνου μορφὴν γνωρίσειεν, αἱ δὲ τῶν
ἠθῶν μεταβολαὶ παντὶ λόγῳ καὶ πόνῳ καὶ πάθει καὶ
νόμῳ ῥᾳδίως τρεπόμεναι καὶ πρὸς τὸν ἀεὶ συνόντα τὴν
ἀτοπίαν καὶ τὴν καινότητα θαυμαστὴν ἔχουσιν. ἀλλ´ ἄνθρωπός
τε λέγεται μέχρι τέλους εἷς ἀπὸ γενέσεως, πόλιν
τε τὴν αὐτὴν ὡσαύτως διαμένουσαν ἐνέχεσθαι τοῖς ὀνείδεσι
τῶν προγόνων ἀξιοῦμεν, ᾧ δικαίῳ μέτεστιν αὐτῇ
δόξης τε τῆς ἐκείνων καὶ δυνάμεως· ἢ λήσομεν εἰς τὸν
Ἡρακλείτειον ἅπαντα πράγματα ποταμὸν ἐμβαλόντες,
εἰς ὃν οὔ φησι δὶς ἐμβῆναι τῷ πάντα κινεῖν καὶ
ἑτεροιοῦν τὴν φύσιν μεταβάλλουσαν.’
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Traduction française :
[15] «Toutefois les expiations publiques subies par les
villes ont une raison de justice, qui est facile à saisir. C'est
chose une et consistante, que la Cité; c'est en quelque sorte
un être vivant, qui ne sort jamais de son état, malgré les
changements, et malgré l'âge, un être qui ne devient pas,
d'un temps à un autre, différent de ce qu'il était, enfin, un
être qui reste toujours constant avec soi-même dans sa substance,
dans ses propriétés, de qui tous les actes publics, soit
présents, soit passés, peuvent être l'objet du blâme ou de la
reconnaissance, tant que l'agrégation des éléments constitutifs
lui donne de l'ensemble, de la cohésion, et garantit son
unité. Mais vouloir, en la divisant par intervalles de temps,
d'une seule cité en faire plusieurs, ou plutôt un nombre
infini, c'est comme si l'on prétendait trouver plusieurs
hommes dans un seul, parce que celui-ci est vieux à cette
heure, qu'auparavant il fut jeune, et qu'en remontant plus
haut c'était un enfant. Ou plutôt, cela ressemblerait complètement
à la méthode d'Epicharme, de laquelle les sophistes
ont tiré leur argument de l' "auxoménos", c'est-à-dire
"l'être qui s'accroît". A ce compte, celui qui a contracté
autrefois une dette ne doit plus rien, parce que ce n'est plus
lui, et qu'il est devenu un autre; l'ami que l'on avait convié
hier à dîner est venu aujourd'hui à une invitation qui ne lui
avait pas été faite, attendu que c'est un autre homme.
Or les progrès de l'âge opèrent en chacun de nous des
changements plus marqués qu'il ne s'en produit sur l'ensemble
d'une ville. On reconnaîtrait Athènes, à la revoir après un
laps de trente ans. Moeurs, allures, divertissements, occupations,
engouement ou colère du peuple, tout y ressemble
exactement à ce qu'elle était jadis. Qu'un homme, au contraire,
soit revu par quelque parent ou quelque ami après un
certain nombre d'années, c'est à peine s'ils reconnaîtront sa
figure. Mais quant aux moeurs, qui sont si mobiles, qui changent
si facilement sous l'influence de toute espèce de parole,
de travail, de passion, de loi, elles subissent chez un individu,
même aux yeux de celui qui le fréquente toujours, des
modifications étranges et un renouvellement prodigieux.
Cela n'empêche pas que depuis sa naissance jusqu'à sa
mort il ne soit réputé pour être un seul et même homme.
Pareillement, puisque une ville reste toujours la même, nous
estimons qu'elle doit subir les reproches mérités par ses
ancêtres, au même titre qu'elle partage leur gloire et leur
puissance. Ou bien ce sera, sans que nous nous en apercevions,
précipiter toutes choses dans ce fleuve d'Héraclite,
"où l'on ne se plonge jamais deux fois", disait le philosophe,
attendu que la nature fait subir à tout ce qui existe des mouvements
et des altérations qui en changent la forme.»
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