Texte grec :
[80] (Μένων)
ὦ Σώκρατες, ἤκουον μὲν ἔγωγε πρὶν καὶ συγγενέσθαι (80a) σοι ὅτι σὺ οὐδὲν ἄλλο
ἢ αὐτός τε ἀπορεῖς καὶ τοὺς ἄλλους ποιεῖς ἀπορεῖν: καὶ νῦν, ὥς γέ μοι δοκεῖς,
γοητεύεις με καὶ φαρμάττεις καὶ ἀτεχνῶς κατεπᾴδεις, ὥστε μεστὸν ἀπορίας
γεγονέναι. καὶ δοκεῖς μοι παντελῶς, εἰ δεῖ τι καὶ σκῶψαι, ὁμοιότατος εἶναι τό τε
εἶδος καὶ τἆλλα ταύτῃ τῇ πλατείᾳ νάρκῃ τῇ θαλαττίᾳ: καὶ γὰρ αὕτη τὸν ἀεὶ
πλησιάζοντα καὶ ἁπτόμενον ναρκᾶν ποιεῖ, καὶ σὺ δοκεῖς μοι νῦν ἐμὲ τοιοῦτόν τι
πεποιηκέναι, (ναρκᾶν): ἀληθῶς γὰρ ἔγωγε καὶ (80b) τὴν ψυχὴν καὶ τὸ στόμα
ναρκῶ, καὶ οὐκ ἔχω ὅτι ἀποκρίνωμαί σοι. καίτοι μυριάκις γε περὶ ἀρετῆς
παμπόλλους λόγους εἴρηκα καὶ πρὸς πολλούς, καὶ πάνυ εὖ, ὥς γε ἐμαυτῷ
ἐδόκουν: νῦν δὲ οὐδ' ὅτι ἐστὶν τὸ παράπαν ἔχω εἰπεῖν. καί μοι δοκεῖς εὖ
βουλεύεσθαι οὐκ ἐκπλέων ἐνθένδε οὐδ' ἀποδημῶν: εἰ γὰρ ξένος ἐν ἄλλῃ πόλει
τοιαῦτα ποιοῖς, τάχ' ἂν ὡς γόης ἀπαχθείης.
(Σωκράτης) πανοῦργος εἶ, ὦ Μένων, καὶ ὀλίγου ἐξηπάτησάς με.
(Μένων) τί μάλιστα, ὦ Σώκρατες;
(80c) (Σωκράτης) γιγνώσκω οὗ ἕνεκά με ᾔκασας.
(Μένων) τίνος δὴ οἴει;
(Σωκράτης)
ἵνα σε ἀντεικάσω. ἐγὼ δὲ τοῦτο οἶδα περὶ πάντων τῶν καλῶν, ὅτι χαίρουσιν
εἰκαζόμενοι - λυσιτελεῖ γὰρ αὐτοῖς: καλαὶ γὰρ οἶμαι τῶν καλῶν καὶ αἱ εἰκόνες -
ἀλλ' οὐκ ἀντεικάσομαί σε. ἐγὼ δέ, εἰ μὲν ἡ νάρκη αὐτὴ ναρκῶσα οὕτω καὶ τοὺς
ἄλλους ποιεῖ ναρκᾶν, ἔοικα αὐτῇ: εἰ δὲ μή, οὔ. οὐ γὰρ εὐπορῶν αὐτὸς τοὺς
ἄλλους ποιῶ ἀπορεῖν, ἀλλὰ παντὸς μᾶλλον αὐτὸς ἀπορῶν οὕτως καὶ τοὺς
ἄλλους ποιῶ (80d) ἀπορεῖν. καὶ νῦν περὶ ἀρετῆς ὃ ἔστιν ἐγὼ μὲν οὐκ οἶδα, σὺ
μέντοι ἴσως πρότερον μὲν ᾔδησθα πρὶν ἐμοῦ ἅψασθαι, νῦν μέντοι ὅμοιος εἶ οὐκ
εἰδότι. ὅμως δὲ ἐθέλω μετὰ σοῦ σκέψασθαι καὶ συζητῆσαι ὅτι ποτέ ἐστιν.
(Μένων)
καὶ τίνα τρόπον ζητήσεις, ὦ Σώκρατες, τοῦτο ὃ μὴ οἶσθα τὸ παράπαν ὅτι ἐστίν;
ποῖον γὰρ ὧν οὐκ οἶσθα προθέμενος ζητήσεις; ἢ εἰ καὶ ὅτι μάλιστα ἐντύχοις
αὐτῷ, πῶς εἴσῃ ὅτι τοῦτό ἐστιν ὃ σὺ οὐκ ᾔδησθα;
(80e) (Σωκράτης)
μανθάνω οἷον βούλει λέγειν, ὦ Μένων. ὁρᾷς τοῦτον ὡς ἐριστικὸν λόγον
κατάγεις, ὡς οὐκ ἄρα ἔστιν ζητεῖν ἀνθρώπῳ οὔτε ὃ οἶδε οὔτε ὃ μὴ οἶδε; οὔτε γὰρ
ἂν ὅ γε οἶδεν ζητοῖ - οἶδεν γάρ, καὶ οὐδὲν δεῖ τῷ γε τοιούτῳ ζητήσεως - οὔτε ὃ μὴ
οἶδεν - οὐδὲ γὰρ οἶδεν ὅτι ζητήσει.
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Traduction française :
[80] (MÉNON): Socrate, avant même d'être en relations avec toi, (80a)
j'avais bien entendu dire que tu ne fais rien d'autre que douter
toi-même et qu'amener les autres à douter ; et, à présent, telle est
l'impression que tu me donnes :
me voilà ensorcelé par toi, j'ai bu ton filtre magique, je
suis, c'est bien simple, la proie de tes enchantements, si
bien que je suis maintenant tout embarrassé de doutes!
A mon sens, supposé que l'on doive ici faire à la raillerie
quelque place, tu es, de tout point, tant par ton extérieur
qu'à d'autres égards, on ne peut plus semblable à
cette large torpille marine qui, comme on sait, vous
plonge dans la torpeur aussitôt qu'on s'en approche
et qu'on y touche. C'est une impression analogue qu'à
cette heure, je crois, tu as produite sur moi! (b) Une
véritable torpeur envahit en effet mon âme aussi bien
que ma bouche, je ne sais que te répondre. Et pourtant,
oui, j'ai sur la vertu mille et mille fois copieusement
parlé, et devant de grands auditoires, enfin, au moins
si je m'en crois, avec plein succès! Or, à présent, ce
qu'elle est, je suis totalement incapable de même le dire!
Bref, tu fais bien de te résoudre à ne point prendre la
mer pour quitter ces lieux, ni même à t'absenter d'ici;
car si, résidant comme étranger dans un autre pays, tu
t'y comportais de pareille façon, bien vite serais-tu mené,
pour sorcellerie, devant les autorités! - (SOCRATE) : Tu es
un mauvais drôle, Ménon, et peu s'en faut que tu ne
m'aies pris à ton piège! - (MÉNON): Quel piège en fin de
compte veux-tu dire, Socrate? (c) - (SOCRATE) : Je vois
bien pour quel motif tu as fait à mon sujet cette comparaison!
- (MÉNON): Quel motif lui supposes-tu donc?
(SOCRATE): Tu veux que je te compare à mon tour! Or,
c'est là un penchant qui m'est bien connu dans le cas des
beaux garçons : ils prennent plaisir à être comparés; car
cela tourne à leur avantage, puisque, quand il s'agit de
belles personnes, il y a aussi, je pense, de la beauté dans
ce à quoi on les compare. Eh bien non! je ne retournerai
pas la comparaison! En ce qui me concerne, si c'est une
torpeur propre à la torpille elle-même qui la met en état
de provoquer de la torpeur chez les autres aussi, alors
je lui ressemble, mais non s'il n'en est point ainsi; car
ce n'est pas parce que je suis personnellement exempt
de doutes que je suis en état de provoquer des doutes
chez les autres, mais ce sont essentiellement les doutes
dont personnellement je suis plein, qui me mettent en
état de faire naître des doutes aussi chez les autres! (d)
Tel est présentement le cas pour la vertu : qu'est-elle?
Quint à moi, je ne le sais pas; toi, à vrai dire, sans doute
le savais-tu avant de m'avoir touché, tandis qu'à vrai
dire tu es présentement tout pareil à quelqu'un qui n'en
sait rien! Je n'en suis pas moins tout prêt à m'associer à
toi pour examiner et chercher en commun ce qu'elle
peut bien être.
- (MÉNON): Et comment chercheras-tu, Socrate, ce dont tu ne
sais absolument pas ce que c'est. Laquelle en effet, parmi
ces choses que tu ignores, donneras-tu pour objet à ta recherche?
Mettons tout au mieux : tomberais-tu dessus, comment saurais-tu que
c'est ce que tu ne savais pas? (e) - (SOCRATE) : Je comprends,
Ménon, à quoi tu fais allusion. Aperçois-tu tout
ce qu'il y a de captieux dans la thèse que tu me débites,
à savoir que, soi-disant, il est impossible à un homme
de chercher, ni ce qu'il sait, ni ce qu'il ne sait pas? Ni,
d'une part, ce qu'il sait, il ne le chercherait en effet, car
il le sait, et, en pareil cas, il n'a pas du tout besoin de
chercher; ni, d'autre part, ce qu'il ne sait pas, car il ne
sait pas davantage ce qu'il devra chercher.
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