Texte grec :
[4,16] CHAPITRE XVI.
Ἀλλὰ μὴν οὐδ' ἄνευ γε μεταβολῆς· ὅταν γὰρ μηδὲν αὐτοὶ μεταβάλλωμεν τὴν
διάνοιαν ἢ λάθωμεν μεταβάλλοντες, οὐ δοκεῖ ἡμῖν γεγονέναι χρόνος, καθάπερ
οὐδὲ τοῖς ἐν Σαρδοῖ μυθολογουμένοις καθεύδειν παρὰ τοῖς ἥρωσιν, ὅταν
ἐγερθῶσι· συνάπτουσι γὰρ τῷ πρότερον νῦν τὸ ὕστερον νῦν καὶ ἓν ποιοῦσιν,
ἐξαιροῦντες διὰ τὴν ἀναισθησίαν τὸ μεταξύ. ὥσπερ οὖν εἰ μὴ ἦν ἕτερον τὸ
νῦν ἀλλὰ ταὐτὸ καὶ ἕν, οὐκ ἂν ἦν χρόνος, οὕτως καὶ ἐπεὶ λανθάνει ἕτερον
ὄν, οὐ δοκεῖ εἶναι τὸ μεταξὺ χρόνος. εἰ δὴ τὸ μὴ οἴεσθαι εἶναι χρόνον τότε
συμβαίνει ἡμῖν, ὅταν μὴ ὁρίσωμεν μηδεμίαν μεταβολήν, ἀλλ' ἐν ἑνὶ καὶ
ἀδιαιρέτῳ φαίνηται ἡ ψυχὴ μένειν, ὅταν δ' αἰσθώμεθα καὶ ὁρίσωμεν, τότε
φαμὲν γεγονέναι χρόνον, φανερὸν ὅτι οὐκ ἔστιν ἄνευ κινήσεως καὶ μεταβολῆς
χρόνος. ὅτι μὲν οὖν οὔτε κίνησις οὔτ' ἄνευ κινήσεως ὁ χρόνος ἐστί,
φανερόν· ληπτέον δέ, ἐπεὶ ζητοῦμεν τί ἐστιν ὁ χρόνος, ἐντεῦθεν ἀρχομένοις,
τί τῆς κινήσεώς ἐστιν. ἅμα γὰρ κινήσεως αἰσθανόμεθα καὶ χρόνου· καὶ γὰρ
ἐὰν ᾖ σκότος καὶ μηδὲν διὰ τοῦ σώματος πάσχωμεν, κίνησις δέ τις ἐν τῇ ψυχῇ
ἐνῇ, εὐθὺς ἅμα δοκεῖ τις γεγονέναι καὶ χρόνος. ἀλλὰ μὴν καὶ ὅταν γε χρόνος
δοκῇ γεγονέναι τις, ἅμα καὶ κίνησίς τις δοκεῖ γεγονέναι. ὥστε ἤτοι κίνησις
ἢ τῆς κινήσεώς τί ἐστιν ὁ χρόνος. ἐπεὶ οὖν οὐ κίνησις, ἀνάγκη τῆς κινήσεώς
τι εἶναι αὐτόν.
ἐπεὶ δὲ τὸ κινούμενον κινεῖται ἔκ τινος εἴς τι καὶ πᾶν μέγεθος συνεχές,
ἀκολουθεῖ τῷ μεγέθει ἡ κίνησις· διὰ γὰρ τὸ τὸ μέγεθος εἶναι συνεχὲς καὶ ἡ
κίνησίς ἐστιν συνεχής, διὰ δὲ τὴν κίνησιν ὁ χρόνος· ὅση γὰρ ἡ κίνησις,
τοσοῦτος καὶ ὁ χρόνος αἰεὶ δοκεῖ γεγονέναι. τὸ δὴ πρότερον καὶ ὕστερον ἐν
τόπῳ πρῶτόν ἐστιν. ἐνταῦθα μὲν δὴ τῇ θέσει· ἐπεὶ δ' ἐν τῷ μεγέθει ἔστι τὸ
πρότερον καὶ ὕστερον, ἀνάγκη καὶ ἐν κινήσει εἶναι τὸ πρότερον καὶ ὕστερον,
ἀνάλογον τοῖς ἐκεῖ. ἀλλὰ μὴν καὶ ἐν χρόνῳ ἔστιν τὸ πρότερον καὶ ὕστερον
διὰ τὸ ἀκολουθεῖν ἀεὶ θατέρῳ θάτερον αὐτῶν. ἔστι δὲ τὸ πρότερον καὶ
ὕστερον ἐν τῇ κινήσει ὃ μέν ποτε ὂν κίνησις {ἐστιν}· τὸ μέντοι εἶναι αὐτῷ
ἕτερον καὶ οὐ κίνησις. ἀλλὰ μὴν καὶ τὸν χρόνον γε γνωρίζομεν ὅταν ὁρίσωμεν
τὴν κίνησιν, τῷ πρότερον καὶ ὕστερον ὁρίζοντες· καὶ τότε φαμὲν γεγονέναι
χρόνον, ὅταν τοῦ προτέρου καὶ ὑστέρου ἐν τῇ κινήσει αἴσθησιν λάβωμεν.
ὁρίζομεν δὲ τῷ ἄλλο καὶ ἄλλο ὑπολαβεῖν αὐτά, καὶ μεταξύ τι αὐτῶν ἕτερον·
ὅταν γὰρ ἕτερα τὰ ἄκρα τοῦ μέσου νοήσωμεν, καὶ δύο εἴπῃ ἡ ψυχὴ τὰ νῦν, τὸ
μὲν πρότερον τὸ δ' ὕστερον, τότε καὶ τοῦτό φαμεν εἶναι χρόνον· τὸ γὰρ
ὁριζόμενον τῷ νῦν χρόνος εἶναι δοκεῖ· καὶ ὑποκείσθω. ὅταν μὲν οὖν ὡς ἓν τὸ
νῦν αἰσθανώμεθα, καὶ μὴ ἤτοι ὡς πρότερον καὶ ὕστερον ἐν τῇ κινήσει ἢ ὡς τὸ
αὐτὸ μὲν προτέρου δὲ καὶ ὑστέρου τινός, οὐ δοκεῖ χρόνος γεγονέναι οὐδείς,
ὅτι οὐδὲ κίνησις. ὅταν δὲ τὸ πρότερον καὶ ὕστερον, τότε λέγομεν χρόνον·
τοῦτο γάρ ἐστιν ὁ χρόνος, ἀριθμὸς κινήσεως κατὰ τὸ πρότερον καὶ ὕστερον.
οὐκ ἄρα κίνησις ὁ χρόνος ἀλλ' ᾗ ἀριθμὸν ἔχει ἡ κίνησις. σημεῖον δέ· τὸ μὲν
γὰρ πλεῖον καὶ ἔλαττον κρίνομεν ἀριθμῷ, κίνησιν δὲ πλείω καὶ ἐλάττω χρόνῳ·
ἀριθμὸς ἄρα τις ὁ χρόνος. ἐπεὶ δ' ἀριθμός ἐστι διχῶς (καὶ γὰρ τὸ
ἀριθμούμενον καὶ τὸ ἀριθμητὸν ἀριθμὸν λέγομεν, καὶ ᾧ ἀριθμοῦμεν), ὁ δὴ
χρόνος ἐστὶν τὸ ἀριθμούμενον καὶ οὐχ ᾧ ἀριθμοῦμεν. ἔστι δ' ἕτερον ᾧ
ἀριθμοῦμεν καὶ τὸ ἀριθμούμενον.
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Traduction française :
[4,16] CHAPITRE XVI.
§ 1. Nous convenons cependant que le temps ne peut
exister sans changement; car nous-mêmes, lorsque nous
n'éprouvons aucun changement dans notre pensée, ou que
le changement qui s'y passe nous échappe, nous croyons
qu'il n'y a point eu de temps d'écoulé. Pas plus qu'il n'y en
a pour ces hommes dont on dit fabuleusement qu'ils
dorment à Sardes auprès des Héros, et qu'ils n'ont à leur
réveil aucun sentiment du temps, parce qu'ils réunissent
l'instant qui a précédé à l'instant qui suit, et n'en font
qu'un par la suppression de tous les instants
intermédiaires, qu'ils n'ont pas perçus. Ainsi donc, de
même qu'il n'y aurait pas de temps, si l'instant n'était pas
autre, et qu'il fût un seul et même instant, de même aussi
quand on ne s'aperçoit pas qu'il est autre, il semble que
tout l'intervalle n'est plus du temps. Mais si nous
supprimons ainsi le temps, lorsque nous ne discernons
aucun changement et que notre âme semble demeurer
dans un instant un et indivisible, et si, au contraire, lorsque
nous sentons et discernons le changement, nous affirmons
qu'il y a du temps d'écoulé, il est évident que le temps
n'existe pour nous qu'à la condition du mouvement et du
changement. Ainsi, il est incontestable également, et que le
temps n'est pas le mouvement, et que sans le mouvement
le temps n'est pas possible.
§ 2. C'est en partant de ce principe que nous saurons,
puisque nous recherchons la nature du temps, ce qu'il est
par rapport au mouvement. D'abord nous percevons tout
ensemble et le mouvement et le temps; ainsi l'on a beau
être dans les ténèbres et le corps a beau être dans une
impassibilité complète, il suffit qu'il y ait quelque
mouvement dans notre âme, pour qu'aussitôt nous ayons la
perception d'un certain temps écoulé. Réciproquement, dès
l'instant qu'il semble qu'il y a du temps, il semble aussi du
même coup qu'il y a eu mouvement. Par conséquent, de
deux choses l'une : ou le temps est le mouvement, ou il est
quelque chose du mouvement. Mais comme il n'est pas le
mouvement, il faut nécessairement qu'il en soit quelque chose.
§ 3. Comme tout corps en mouvement se meut toujours
d'un point vers un autre point, et que toute grandeur est
continue, le mouvement accompagne la grandeur. Or, c'est
parce que la grandeur est continue que le mouvement est
continu comme elle, et le temps aussi n'est continu que par
le mouvement; car, selon que le mouvement est grand,
autant de son côté le temps semble toujours avoir de grandeur.
§ 4. Sans doute l'antériorité et la postériorité se rapportent
primitivement au lieu; et, dans le lieu, elles se distinguent
par la situation. Mais comme dans la grandeur, il y a
également antériorité et postériorité, il faut qu'il y ait aussi
l'une et l'autre dans le mouvement, d'une manière
analogue à ce qu'elles sont dans la grandeur. Or, dans le
temps aussi, il y a antérieur et postérieur, parce que le
temps et le mouvement se suivent toujours et sont
corrélatifs entr'eux.
§ 5. Ainsi, l'antériorité et la postériorité du temps sont dans
le mouvement, ce qui est bien aussi être du mouvement en
quelque sorte; mais leur manière d'être est différente, et ce
n'est pas du mouvement à proprement parler.
§ 6. C'est qu'en effet nous ne connaissons réellement la
durée qu'en déterminant le mouvement et en y distinguant
l'antérieur et le postérieur; et nous n'affirmons qu'il y a eu
du temps d'écoulé, que quand nous avons la perception de
l'antériorité et de la postériorité dans le mouvement. Or,
cette détermination du mouvement n'est possible que si
nous reconnaissons que ces deux choses diffèrent l'une de
l'autre, et qu'il y a entr'elles un intervalle différent d'elles.
Quand nous pensons que les extrêmes sont autres que le
milieu, et quand l'âme affirme deux instants, l'un antérieur
et l'autre postérieur, alors aussi nous disons que c'est là du
temps; car ce qui est limité par l'instant semble être du
temps, et c'est là la définition que nous en proposons. Lors
donc que nous sentons l'instant actuel comme une unité, et
qu'il ne peut nous apparaître ni comme antérieur ou
postérieur dans le mouvement, ni, tout en restant
identique, comme appartenant à quelque chose d'antérieur
et de postérieur, il nous semble qu'il n'y a point eu de
temps d'écoulé, parce qu'il n'y a pas eu non plus de
mouvement. Mais, du moment qu'il y a antériorité et
postériorité, nous affirmons qu'il y a du temps.
§ 7. En effet, voici bien ce qu'est le temps : le nombre du
mouvement par rapport à l'antérieur et au postérieur.
§ 8. Ainsi donc, le temps n'est le mouvement qu'en tant
que le mouvement est susceptible d'être évalué
numériquement. Et la preuve, c'est que c'est par le nombre
que nous jugeons du plus et du moins, et que c'est par le
temps que nous jugeons que le mouvement est plus grand
ou plus petit. Donc, le temps est une sorte de nombre.
§ 9. Mais comme le mot Nombre peut se prendre en deux
sens, puisque tout à la fois on appelle nombre et ce qui est
nombre et numérable, et ce par quoi l'on nombre, le temps
est ce qui est nombré, et non ce par quoi nous nombrons;
car il y a une différence entre ce qui nous sert à nombrer et
ce qui est nombré.
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