Texte grec :
[7,1146] Ἀλλὰ μὴν εἴγε δόξα καὶ μὴ ἐπιστήμη,
μηδ' ἰσχυρὰ ὑπόληψις (1146a) (1) ἡ ἀντιτείνουσα ἀλλ' ἠρεμαία, καθάπερ ἐν
τοῖς διστάζουσι, συγγνώμη τῷ μὴ μένειν ἐν αὐταῖς πρὸς ἐπιθυμίας ἰσχυράς·
τῇ δὲ μοχθηρίᾳ οὐ συγγνώμη, οὐδὲ τῶν ἄλλων οὐδενὶ τῶν ψεκτῶν. Φρονήσεως
ἄρα ἀντιτεινούσης; (5) Αὕτη γὰρ ἰσχυρότατον. Ἀλλ' ἄτοπον· ἔσται γὰρ ὁ
αὐτὸς ἅμα φρόνιμος καὶ ἀκρατής, φήσειε δ' οὐδ' ἂν εἷς φρονίμου εἶναι τὸ
πράττειν ἑκόντα τὰ φαυλότατα. Πρὸς δὲ τούτοις δέδεικται πρότερον ὅτι
πρακτικός γε ὁ φρόνιμος (τῶν γὰρ ἐσχάτων τις) καὶ τὰς ἄλλας ἔχων ἀρετάς.
Ἔτι εἰ μὲν ἐν (10) τῷ ἐπιθυμίας ἔχειν ἰσχυρὰς καὶ φαύλας ὁ ἐγκρατής, οὐκ
ἔσται ὁ σώφρων ἐγκρατὴς οὐδ' ὁ ἐγκρατὴς σώφρων· οὔτε γὰρ τὸ ἄγαν σώφρονος
οὔτε τὸ φαύλας ἔχειν. Ἀλλὰ μὴν δεῖ γε· εἰ μὲν γὰρ χρησταὶ αἱ ἐπιθυμίαι,
φαύλη ἡ κωλύουσα ἕξις μὴ ἀκολουθεῖν, ὥσθ' ἡ ἐγκράτεια οὐ πᾶσα (15)
σπουδαία· εἰ δ' ἀσθενεῖς καὶ μὴ φαῦλαι, οὐθὲν σεμνόν, οὐδ' εἰ φαῦλαι καὶ
ἀσθενεῖς, οὐδὲν μέγα. Ἔτι εἰ πάσῃ δόξῃ ἐμμενετικὸν ποιεῖ ἡ ἐγκράτεια,
φαύλη, οἷον εἰ καὶ τῇ ψευδεῖ· καὶ εἰ πάσης δόξης ἡ ἀκρασία ἐκστατικόν,
ἔσται τις σπουδαία ἀκρασία, οἷον ὁ Σοφοκλέους Νεοπτόλεμος ἐν (20) τῷ
Φιλοκτήτῃ· ἐπαινετὸς γὰρ οὐκ ἐμμένων οἷς ἐπείσθη ὑπὸ τοῦ Ὀδυσσέως διὰ τὸ
λυπεῖσθαι ψευδόμενος. Ἔτι ὁ σοφιστικὸς λόγος (ψευδόμενος) ἀπορία· διὰ γὰρ
τὸ παράδοξα βούλεσθαι ἐλέγχειν, ἵνα δεινοὶ ὦσιν ὅταν ἐπιτύχωσιν, ὁ
γενόμενος συλλογισμὸς ἀπορία γίνεται· δέδεται γὰρ ἡ (25) διάνοια, ὅταν
μένειν μὴ βούληται διὰ τὸ μὴ ἀρέσκειν τὸ συμπερανθέν, προϊέναι δὲ μὴ
δύνηται διὰ τὸ λῦσαι μὴ ἔχειν τὸν λόγον. Συμβαίνει δὴ ἔκ τινος λόγου ἡ
ἀφροσύνη μετ' ἀκρασίας ἀρετή· τἀναντία γὰρ πράττει ὧν ὑπολαμβάνει διὰ τὴν
ἀκρασίαν, ὑπολαμβάνει δὲ τἀγαθὰ (30) κακὰ εἶναι καὶ οὐ δεῖν πράττειν, ὥστε
τἀγαθὰ καὶ οὐ τὰ κακὰ πράξει. Ἔτι ὁ τῷ πεπεῖσθαι πράττων καὶ διώκων τὰ
ἡδέα καὶ προαιρούμενος βελτίων ἂν δόξειεν τοῦ μὴ διὰ λογισμὸν ἀλλὰ δι'
ἀκρασίαν· εὐιατότερος γὰρ διὰ τὸ μεταπεισθῆναι ἄν. Ὁ δ' ἀκρατὴς ἔνοχος τῇ
παροιμίᾳ ἐν ᾗ (35) φαμὲν « Ὅταν τὸ ὕδωρ πνίγῃ, τί δεῖ ἐπιπίνειν; » Εἰ μὲν
γὰρ ἐπέπειστο ἃ πράττει, (1146b) (1) μεταπεισθεὶς ἂν ἐπαύσατο· νῦν δὲ
πεπεισμένος οὐδὲν ἧττον (ἄλλα) πράττει. Ἔτι εἰ περὶ πάντα ἀκρασία ἐστὶ καὶ
ἐγκράτεια, τίς ὁ ἁπλῶς ἀκρατής; Οὐδεὶς γὰρ ἁπάσας ἔχει τὰς ἀκρασίας, φαμὲν
δ' εἶναί τινας (5) ἁπλῶς. Αἱ μὲν οὖν ἀπορίαι τοιαῦταί τινες συμβαίνουσιν,
τούτων δὲ τὰ μὲν ἀνελεῖν δεῖ τὰ δὲ καταλιπεῖν· ἡ γὰρ λύσις τῆς ἀπορίας
εὕρεσίς ἐστιν.
III. Οὖν σκεπτέον πότερον εἰδότες ἢ οὔ, καὶ πῶς εἰδότες· εἶτα περὶ ποῖα
τὸν ἀκρατῆ (10) καὶ τὸν ἐγκρατῆ θετέον, λέγω δὲ πότερον περὶ πᾶσαν ἡδονὴν
καὶ λύπην ἢ περί τινας ἀφωρισμένας, καὶ τὸν ἐγκρατῆ καὶ τὸν καρτερικόν,
πότερον ὁ αὐτὸς ἢ ἕτερός ἐστιν· ὁμοίως δὲ καὶ περὶ τῶν ἄλλων ὅσα συγγενῆ
τῆς θεωρίας ἐστὶ ταύτης. Ἔστι δ' ἀρχὴ τῆς σκέψεως, πότερον (15) ὁ ἐγκρατὴς
καὶ ὁ ἀκρατής εἰσι τῷ περὶ ἃ ἢ τῷ ὣς ἔχοντες τὴν διαφοράν, λέγω δὲ πότερον
τῷ περὶ ταδὶ εἶναι μόνον ἀκρατὴς ὁ ἀκρατής, ἢ οὒ ἀλλὰ τῷ ὥς, ἢ οὒ ἀλλ' ἐξ
ἀμφοῖν· ἔπειτ' εἰ περὶ πάντ' ἐστὶν ἀκρασία καὶ ἐγκράτεια ἢ οὔ. Οὔτε γὰρ
περὶ ἅπαντ' ἐστὶν ὁ ἁπλῶς ἀκρατής, (20) ἀλλὰ περὶ ἅπερ ὁ ἀκόλαστος, οὔτε
τῷ πρὸς ταῦτα ἁπλῶς ἔχειν (ταὐτὸν γὰρ ἂν ἦν τῇ ἀκολασίᾳ), ἀλλὰ τῷ ὡδὶ
ἔχειν. Ὃ μὲν γὰρ ἄγεται προαιρούμενος, νομίζων ἀεὶ δεῖν τὸ παρὸν ἡδὺ
διώκειν· ὃ δ' οὐκ οἴεται μέν, διώκει δέ. Περὶ μὲν οὖν τοῦ δόξαν ἀληθῆ ἀλλὰ
μὴ ἐπιστήμην (25) εἶναι παρ' ἣν ἀκρατεύονται, οὐδὲν διαφέρει πρὸς τὸν
λόγον· ἔνιοι γὰρ τῶν δοξαζόντων οὐ διστάζουσιν, ἀλλ' οἴονται ἀκριβῶς
εἰδέναι. Εἰ οὖν διὰ τὸ ἠρέμα πιστεύειν οἱ δοξάζοντες μᾶλλον τῶν
ἐπισταμένων παρὰ τὴν ὑπόληψιν πράξουσιν, οὐθὲν διοίσει ἐπιστήμη δόξης·
ἔνιοι γὰρ πιστεύουσιν οὐδὲν (30) ἧττον οἷς δοξάζουσιν ἢ ἕτεροι οἷς
ἐπίστανται· δηλοῖ δ' Ἡράκλειτος. Ἀλλ' ἐπεὶ διχῶς λέγομεν τὸ ἐπίστασθαι
καὶ γὰρ ὁ ἔχων μὲν οὐ χρώμενος δὲ τῇ ἐπιστήμῃ καὶ ὁ χρώμενος λέγεται
ἐπίστασθαἰ, διοίσει τὸ ἔχοντα μὲν μὴ θεωροῦντα δὲ καὶ τὸ θεωροῦντα ἃ μὴ
δεῖ πράττειν (τοῦ ἔχοντα καὶ θεωροῦντα)· (35) τοῦτο γὰρ δοκεῖ δεινόν, ἀλλ'
οὐκ εἰ μὴ θεωρῶν.
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Traduction française :
[7,1146] Cependant, si c'est, en effet, une simple opinion, et non une science
certaine; si ce n'est pas une forte persuasion (1146a) qui s'oppose (à
l'action de l'intempérant), mais un faible soupçon, comme il arrive en cas
de doute, on peut lui pardonner de ne s'y pas attacher, surtout quand il
est entraîné par de violents désirs : mais on doit être sans indulgence
pour la perversité, et en général pour tout ce qui est véritablement
blâmable. (Si l'homme prudent se livre à l'intempérance,) ce sera donc en
dépit de la prudence, qui est pourtant ce qui a le plus de force; mais
cela est absurde : car (alors il faudra dire) que le même homme est à la
fois prudent et intempérant; et assurément personne n'oserait soutenir
qu'il soit d'un homme prudent de faire à dessein les actions les plus
répréhensibles. D'ailleurs, il a été démontré précédemment que c'est
surtout dans l'action que se manifeste la prudence, puisque cette vertu
est une des plus importantes, et qu'elle comprend toutes les autres.
De plus, si c'est contre la violence et contre la tendance méprisable des
désirs que se montre la force morale, l'homme tempérant n'aura donc pas
cette force, et celui qui aura la force morale ne sera pas tempérant; car
l'excès n'est point dans son caractère, ni les passions méprisables, et
pourtant il faudrait que cela fût ainsi; puisque, si ses passions sont
nobles et généreuses, la disposition qui l'empocherait de s'y livrer
serait vile et méprisable. Il suivrait donc de là que toute force morale
ne serait pas estimable. Et, si les passions sont faibles et sans tendance
nuisible ou dangereuse, elles n'ont rien de fort grave; ou même si,
quoique étant viles et méprisables, elles sont sans force , c'est peu de
chose. Enfin, si la force morale rend inébranlable dans toute espèce
d'opinion, ce n'est pas une qualité estimable ; par exemple, quand on
s'attache à une opinion fausse : et si le défaut de force morale consiste
à se désister d'une opinion quelle qu'elle soit, il pourra y avoir, en ce
genre, des faiblesses généreuses. C'est le cas de Néoptoléme dans le
Philoctète de Sophocle ; car il est louable de ne pas persister dans
la résolution qu'Ulysse lui avait fait prendre, (et d'y renoncer) par la
peine que lui cause le mensonge.
Le raisonnement sophistique, "appelé le menteur", offre aussi un exemple
de ce genre d'embarras, (où l'on ne sait s'il faut persister ou non dans
une opinion); car les sophistes, voulant prouver des propositions
contradictoires, pour paraître habiles, si toutefois ils y réussissent,
l'argument qu'ils emploient en pareil cas, devient embarrassant. La pensée
s'y trouve comme arrêtée dans sa marche, ne pouvant consentir à accorder
les prémisses, parce que la conclusion a quelque chose qui déplaît et qui
choque, et se voyant dans l'impossibilité d'aller plus avant, faute de
pouvoir résoudre la difficulté.
Il y a même telle combinaison d'où il peut résulter que le défaut de force
morale, joint au défaut de raison, devient une vertu : par exemple, un
homme agit contre son opinion, par défaut de force morale; il est dans
l'opinion que des choses bonnes en elles-mêmes, sont réellement mauvaises,
et qu'il ne faut pas les faire, et pourtant il finira par faire ce qui est
bien, et non ce qui est mal. Au reste, celui qui fait, par conviction et
par choix, ce qui lui donne du plaisir, qui même le recherche avec ardeur,
vaut peut-être mieux que celui qui agit ainsi sans raisonnement et
uniquement par faiblesse: car il est plus susceptible de s'amender
lorsqu'on l'aura fait changer d'opinion ; au lieu que l'homme qui n'a
aucune force morale est précisément dans le cas du proverbe qui dit :
« Quand l'eau vous étrangle, que faut-il boire pour la faire passer? »
Car, si sa conduite était l'effet de la persuasion, (1146b) il en changerait
du moment où on l'aurait fait changer d'opinion; au lieu que c'est sans
raison et sans motif qu'il se décide à agir d'une manière ou d'une autre.
D'ailleurs, si la force et la faiblesse morales se rencontrent en tout,
quel sera le caractère de la faiblesse absolue? Car il n'y a personne qui
réunisse en soi tous les genres de faiblesse, et pourtant nous prétendons
qu'il y a une (11) faiblesse morale absolue. Voilà quelques-unes des
difficultés qui naissent de ce sujet : or, entre ces difficultés, il y en
a qu'il faut résoudre, et d'autres à la solution desquelles il faut
renoncer; car la solution d'une difficulté est une véritable découverte,
ou une invention.
III. Premièrement donc il faut examiner si l'intempérant agit avec
connaissance de cause, ou non, et comment il connaît ou sait ce qu'il
fait; ensuite, par rapport à quelles choses on peut dire qu'un homme est
tempérant ou intempérant : je veux dire, si c'est par rapport aux plaisirs
et aux peines de tout genre, ou par rapport à quelque espèce déterminée de
plaisirs ou de peines; enfin, si la tempérance, et la fermeté d'âme, qui
fait tout endurer, sont, ou non, un même caractère, et quelques autres
questions du même genre qui appartiennent naturellement à ce sujet. Et
d'abord, se présente la question si la différence qu'il y a entre le
tempérant et l'intempérant est dans les choses mêmes, ou dans la manière
dont ils sont disposés à l'égard de ces choses; c'est-à-dire, si on les
appelle tempérant ou intempérant, uniquement à cause qu'ils sont portés,
ou non, vers telles ou telles choses, ou à cause de la manière dont ils
les envisagent; ou bien, si c'est à la fois à cause des choses, et à cause
de la disposition où ils sont à leur égard. Ensuite, si l'intempérance et
la tempérance ont lieu, ou non, à l'occasion de tous les objets : car
celui qui est intempérant, en général, n'est pourtant pas entraîné vers
toutes sortes de choses, mais seulement vers celles qui attirent le
débauché; et il n'est pas même porté vers celles-là d'une manière générale
et absolue (car alors l'intempérance et la débauche seraient une même
chose); mais il a sa manière d'être particulière, à leur sujet. Car le
débauché se livre par choix au plaisir, persuadé qu'il faut le saisir
partout où il se trouve ; tandis que l'intempérant ne laisse pas d'agir de
la même manière, tout en croyant qu'il ne le faudrait pas.
Au reste, que ce ne soit pas une science, mais une opinion véritable,
contre laquelle agissent ceux qui se livrent à l'intempérance, cela ne
fait rien à la question ; car, quelquefois on n'a pas le moindre doute sur
l'opinion que l'on adopte, et on la prend pour une science certaine. Si
donc, parce que l'on n'a qu'une croyance assez faible à ce qui n'est
qu'une opinion, on est plus porté à agir contre ce qu'on croit, que quand
on a une science certaine, il n'y aura point de différence entre opinion
et science; car il y a des gens qui ne sont pas moins convaincus de la
vérité de leur opinion, que d'autres ne le sont de la certitude de leur
science, comme le prouve l'exemple d'Héraclite (12). Mais, comme le mot
savoir peut s'appliquer également à celui qui a la science sans en faire
usage, et à celui qui s'en sert (13), il y aura de la différence entre
faire des choses qu'on ne doit pas faire, ayant la science, mais n'y
pensant pas actuellement, et les faire en y pensant; car, dans ce dernier
cas, la faute semble avoir une gravité qu'elle n'a pas dans le premier.
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