Texte grec :
[6,1140] IV. (1140a) (1) Tοῦ δ' ἐνδεχομένου ἄλλως ἔχειν ἔστι τι καὶ ποιητὸν καὶ
πρακτόν· ἕτερον δ' ἐστὶ ποίησις καὶ πρᾶξις (πιστεύομεν δὲ περὶ αὐτῶν καὶ
τοῖς ἐξωτερικοῖς λόγοις)· ὥστε καὶ ἡ μετὰ λόγου ἕξις πρακτικὴ ἕτερόν ἐστι
τῆς μετὰ λόγου ποιητικῆς (5) ἕξεως. Διὸ οὐδὲ περιέχεται ὑπ' ἀλλήλων· οὔτε
γὰρ ἡ πρᾶξις ποίησις οὔτε ἡ ποίησις πρᾶξίς ἐστιν. Ἐπεὶ δ' ἡ οἰκοδομικὴ
τέχνη τίς ἐστι καὶ ὅπερ ἕξις τις μετὰ λόγου ποιητική, καὶ οὐδεμία οὔτε
τέχνη ἐστὶν ἥτις οὐ μετὰ λόγου ποιητικὴ ἕξις ἐστίν, οὔτε τοιαύτη ἣ οὐ
τέχνη, ταὐτὸν (10) ἂν εἴη τέχνη καὶ ἕξις μετὰ λόγου ἀληθοῦς ποιητική. Ἔστι
δὲ τέχνη πᾶσα περὶ γένεσιν καὶ τὸ τεχνάζειν καὶ θεωρεῖν ὅπως ἂν γένηταί τι
τῶν ἐνδεχομένων καὶ εἶναι καὶ μὴ εἶναι, καὶ ὧν ἡ ἀρχὴ ἐν τῷ ποιοῦντι ἀλλὰ
μὴ ἐν τῷ ποιουμένῳ· οὔτε γὰρ τῶν ἐξ ἀνάγκης ὄντων ἢ γινομένων ἡ (15) τέχνη
ἐστίν, οὔτε τῶν κατὰ φύσιν· ἐν αὑτοῖς γὰρ ἔχουσι ταῦτα τὴν ἀρχήν. Ἐπεὶ δὲ
ποίησις καὶ πρᾶξις ἕτερον, ἀνάγκη τὴν τέχνην ποιήσεως ἀλλ' οὐ πράξεως
εἶναι. Καὶ τρόπον τινὰ περὶ τὰ αὐτά ἐστιν ἡ τύχη καὶ ἡ τέχνη, καθάπερ καὶ
Ἀγάθων φησὶ
Τέχνη τύχην ἔστερξε καὶ τύχη τέχνην.
(20) Ἡ μὲν οὖν τέχνη, ὥσπερ εἴρηται, ἕξις τις μετὰ λόγου ἀληθοῦς ποιητική
ἐστιν, ἡ δ' ἀτεχνία τοὐναντίον μετὰ λόγου ψευδοῦς ποιητικὴ ἕξις, περὶ τὸ
ἐνδεχόμενον ἄλλως ἔχειν.
V. Περὶ δὲ φρονήσεως οὕτως ἂν λάβοιμεν, θεωρήσαντες (25) τίνας λέγομεν
τοὺς φρονίμους. Δοκεῖ δὴ φρονίμου εἶναι τὸ δύνασθαι καλῶς βουλεύσασθαι
περὶ τὰ αὑτῷ ἀγαθὰ καὶ συμφέροντα, οὐ κατὰ μέρος, οἷον ποῖα πρὸς ὑγίειαν,
πρὸς ἰσχύν, ἀλλὰ ποῖα πρὸς τὸ εὖ ζῆν ὅλως. Σημεῖον δ' ὅτι καὶ τοὺς περί τι
φρονίμους λέγομεν, ὅταν πρὸς τέλος τι σπουδαῖον (30) εὖ λογίσωνται, ὧν μή
ἐστι τέχνη. Ὥστε καὶ ὅλως ἂν εἴη φρόνιμος ὁ βουλευτικός. Βουλεύεται δ'
οὐθεὶς περὶ τῶν ἀδυνάτων ἄλλως ἔχειν, οὐδὲ τῶν μὴ ἐνδεχομένων αὐτῷ πρᾶξαι.
Ὥστ' εἴπερ ἐπιστήμη μὲν μετ' ἀποδείξεως, ὧν δ' αἱ ἀρχαὶ ἐνδέχονται ἄλλως
ἔχειν, τούτων μή ἐστιν ἀπόδειξις (35) (πάντα γὰρ ἐνδέχεται καὶ ἄλλως
ἔχειν), (1140b) (1) καὶ οὐκ ἔστι βουλεύσασθαι περὶ τῶν ἐξ ἀνάγκης ὄντων,
οὐκ ἂν εἴη ἡ φρόνησις ἐπιστήμη οὐδὲ τέχνη, ἐπιστήμη μὲν ὅτι ἐνδέχεται τὸ
πρακτὸν ἄλλως ἔχειν, τέχνη δ' ὅτι ἄλλο τὸ γένος πράξεως καὶ ποιήσεως.
Λείπεται ἄρα αὐτὴν εἶναι (5) ἕξιν ἀληθῆ μετὰ λόγου πρακτικὴν περὶ τὰ
ἀνθρώπῳ ἀγαθὰ καὶ κακά. Τῆς μὲν γὰρ ποιήσεως ἕτερον τὸ τέλος, τῆς δὲ
πράξεως οὐκ ἂν εἴη· ἔστι γὰρ αὐτὴ ἡ εὐπραξία τέλος. Διὰ τοῦτο Περικλέα καὶ
τοὺς τοιούτους φρονίμους οἰόμεθα εἶναι, ὅτι τὰ αὑτοῖς ἀγαθὰ καὶ τὰ τοῖς
ἀνθρώποις δύνανται θεωρεῖν· (10) εἶναι δὲ τοιούτους ἡγούμεθα τοὺς
οἰκονομικοὺς καὶ τοὺς πολιτικούς. Ἔνθεν καὶ τὴν σωφροσύνην τούτῳ
προσαγορεύομεν τῷ ὀνόματι, ὡς σῴζουσαν τὴν φρόνησιν. Σῴζει δὲ τὴν τοιαύτην
ὑπόληψιν. Οὐ γὰρ ἅπασαν ὑπόληψιν διαφθείρει οὐδὲ διαστρέφει τὸ ἡδὺ καὶ
λυπηρόν, οἷον ὅτι τὸ τρίγωνον (15) δύο ὀρθὰς ἔχει ἢ οὐκ ἔχει, ἀλλὰ τὰς
περὶ τὸ πρακτόν. Αἱ μὲν γὰρ ἀρχαὶ τῶν πρακτῶν τὸ οὗ ἕνεκα τὰ πρακτά· τῷ δὲ
διεφθαρμένῳ δι' ἡδονὴν ἢ λύπην εὐθὺς οὐ φαίνεται ἀρχή, οὐδὲ δεῖν τούτου
ἕνεκεν οὐδὲ διὰ τοῦθ' αἱρεῖσθαι πάντα καὶ πράττειν· ἔστι γὰρ ἡ κακία
φθαρτικὴ (20) ἀρχῆς. Ὥστ' ἀνάγκη τὴν φρόνησιν ἕξιν εἶναι μετὰ λόγου ἀληθῆ
περὶ τὰ ἀνθρώπινα ἀγαθὰ πρακτικήν. Ἀλλὰ μὴν τέχνης μὲν ἔστιν ἀρετή,
φρονήσεως δ' οὐκ ἔστιν· καὶ ἐν μὲν τέχνῃ ὁ ἑκὼν ἁμαρτάνων αἱρετώτερος,
περὶ δὲ φρόνησιν ἧττον, ὥσπερ καὶ περὶ τὰς ἀρετάς. Δῆλον οὖν ὅτι ἀρετή
(25) τις ἐστὶ καὶ οὐ τέχνη. Δυοῖν δ' ὄντοιν μεροῖν τῆς ψυχῆς τῶν λόγον
ἐχόντων, θατέρου ἂν εἴη ἀρετή, τοῦ δοξαστικοῦ· ἥ τε γὰρ δόξα περὶ τὸ
ἐνδεχόμενον ἄλλως ἔχειν καὶ ἡ φρόνησις. Ἀλλὰ μὴν οὐδ' ἕξις μετὰ λόγου
μόνον· σημεῖον δ' ὅτι λήθη μὲν τῆς τοιαύτης ἕξεως ἔστι, φρονήσεως δ' (30)
οὐκ ἔστιν.
VI. Ἐπεὶ δ' ἡ ἐπιστήμη περὶ τῶν καθόλου ἐστὶν ὑπόληψις καὶ τῶν ἐξ ἀνάγκης
ὄντων, εἰσὶ δ' ἀρχαὶ τῶν ἀποδεικτῶν καὶ πάσης ἐπιστήμης (μετὰ λόγου γὰρ ἡ
ἐπιστήμη), τῆς ἀρχῆς τοῦ ἐπιστητοῦ οὔτ' ἂν ἐπιστήμη εἴη οὔτε τέχνη οὔτε
(35) φρόνησις·
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Traduction française :
[6,1140] IV. (1140a) A l'égard des choses qui peuvent être autrement qu'elles ne
sont, il y en a qui sont un résultat durable de l'action, et d'autres qui
en sont un résultat, pour ainsi dire, fugitif ; car c'est une
différence dont il faut tenir compte ; mais je m'en rapporte encore sur ce
point à mes Discours exotériques ; en sorte que la disposition, ou
l'habitude de pure théorie, guidée par la raison, ne doit pas être
confondue avec la disposition, ou l'habitude d'exécution, également guidée
par la raison; elles ne sont pas comprises l'une dans l'autre; car ni la
théorie n'est l'exécution, ni l'exécution n'est la théorie. Mais comme
l'architecture est un art, et ce qu'on peut appeler une disposition ou
habitude d'exécution, accompagnée de raison ; et comme il n'est aucun art
qui ne soit pas une telle habitude, ni aucune habitude ou disposition de
ce genre, qui ne soit un art, il faudrait en conclure qu'un art et une
habitude d'exécution dirigée par la raison véritable, sont la même chose.
Au reste, tout art consiste à produire, à exécuter, et à combiner les
moyens de donner l'existence à quelqu'une des choses qui peuvent être et
ne pas être; et dont le principe est dans celui qui fait, et non dans la
chose qui est faite. Car il n'y a point d'art des choses qui ont une
existence nécessaire, ni de celles dont l'existence est le résultat des
forces de la nature, puisqu'elles ont en elles-mêmes le principe de leur
être. Mais comme l'exécution et la théorie sont deux choses différentes,
il s'ensuit nécessairement que l'art se rapporte à l'exécution et non à
la théorie. Enfin, le hasard et l'art semblent, sous un certain rapport,
s'appliquer aux mêmes objets, comme le dit Agathon : «L'art chérit la
fortune, et la fortune favorise l'art. » L'art est donc, comme je viens de
le dire, une certaine habitude d'exécution dirigée par la véritable raison
; et le défaut d'art, au contraire, est une habitude d'exécution dirigée
par un faux raisonnement, dans les choses qui peuvent être autrement
qu'elles ne sont.
V. Quant à la prudence, on peut s'en faire l'idée, en considérant quels
sont ceux que l'on appelle prudents : or, il semble que ce qui caractérise
l'homme prudent, c'est la faculté de délibérer avec succès sur les choses
qui lui sont bonnes et avantageuses, non pas sous quelques rapports
particuliers, comme celui de la santé ou de la force, mais qui peuvent
contribuer, en général, au bonheur de sa vie. Ce qui le prouve, c'est
qu'on appelle prudents, ou avisés, dans tel ou tel genre, ceux qu'un
raisonnement exact conduit à quelque fin estimable, dans les choses où
l'art ne saurait s'appliquer; en sorte que l'homme prudent serait, en
général, celui qui est capable de délibérer.
Or, personne ne délibère sur ce qui ne saurait être autrement, ni sur ce
dont l'exécution n'est pas en son pouvoir. Par conséquent, si la science
est toujours susceptible de démonstration, et si l'on ne démontre pas les
choses dont les principes pourraient être autres qu'ils ne sont (et toute
choses pourraient être autrement); (1140b) en, un mot, s'il est impossible
de délibérer sur les choses qui ont une existence nécessaire, il s'ensuit
que la prudence n'est ni une science, ni un art. Elle n'est pas une
science, parce que tout ce qui peut être fait ou exécuté, peut être
autrement (c'est-dire, est contingent) ; elle n'est pas un art, parce que
ce dont les résultats n'ont rien de matériel est autre chose que ce qu'on
appelle production, ou création. Il reste donc qu'il faut la
considérer comme une habitude de théorie ou de contemplation, accompagnée
de raison, dans les choses qui sont bonnes ou nuisibles à l'homme: car la
fin de l'exécution est autre chose (que celle de la théorie) ; mais celle
de la théorie n'est pas toujours (autre chose que celle de l'exécution),
puisque la pratique du bien (ou le bonheur) est elle-même une fin.
Voilà pourquoi nous regardons Périclès et ceux qui lui ressemblent, comme
des hommes prudents, parce qu'ils sont en état de voir ce qui est bon et
avantageux pour eux-mêmes et pour les autres; et nous les croyons capables
de diriger avec succès les affaires d'une famille, et celles d'un état. De
là vient que nous donnons à la tempérance le nom de g-sohphrosyneh, qui (par sa
valeur étymologique) semble indiquer qu'elle conserve ou sauve la
prudence. Elle conserve et maintient du moins cette manière particulière
de voir (ou de juger de ce qui est bon et utile) : car les sentiments de
peine et de plaisir n'altèrent pas et ne faussent pas tous nos jugements;
par exemple, celui qui nous fait reconnaitre qu'un triangle a, ou n'a pas,
la somme de ses trois angles égale à celle de deux angles droits; mais ils
altèrent et faussent nos jugements sur ce qu'il convient de faire.
En effet, les principes de notre conduite sont dans le motif qui la
détermine : mais, une fois que le jugement sera altéré par des sentiments
de plaisir ou de peine, le principe ne se manifestera pas immédiatement ;
on ne verra pas que ces sentiments ne doivent pas toujours être le motif
de nos actions et (le toutes nos préférences ; car souvent le vice
corrompt et dénature le principe (qui nous fait agir).
Il suit nécessairement de là que la prudence est une véritable habitude de
contemplation, dirigée par la raison, dans les biens propres à la nature
humaine. Au reste, dans les arts, on peut être habile ou inhabile; mais
cette distinction n'a pas lieu pour la prudence : une faute volontaire,
dans les arts, est préférable à une faute involontaire: elle ne l'est pas
en fait de prudence, ni en fait de vertus. Il est donc évident que la
prudence est une faculté, et non pas un art. Or, comme il y a deux parties
de l'âme qui possèdent la raison, cette faculté peut appartenir à l'une
d'elles, c'est-à-dire à celle qui a l'opinion ou le jugement en partage:
car l'opinion, comme la prudence, est relative à ce qui pourrait être
autrement. Toutefois, elle n'est pas uniquement une habitude accompagnée
de raison; et ce qui le prouve, c'est qu'une telle habitude peut se perdre
par l'oubli, mais non pas la prudence.
VI. Puisque la science est la conception ou l'appréciation des choses
générales, et qui ont une existence nécessaire, et puisqu'il y a des
principes de tout ce qui est susceptible de démonstration, et de toute
science (car la science est inséparable du raisonnement), les principes de
ce qu'il est possible de savoir ne peuvent appartenir ni à la science
elle-même, ni à l'art, ni à la prudence.
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