Texte grec :
[6,1144] (1144a) (1) Πρῶτον μὲν οὖν λέγωμεν ὅτι καθ' αὑτὰς ἀναγκαῖον αἱρετὰς αὐτὰς εἶναι, ἀρετάς γ' οὔσας ἑκατέραν ἑκατέρου τοῦ μορίου, καὶ εἰ μὴ ποιοῦσι
μηδὲν μηδετέρα αὐτῶν. Ἔπειτα καὶ ποιοῦσι μέν, οὐχ ὡς ἡ ἰατρικὴ δὲ ὑγίειαν,
ἀλλ' ὡς ἡ ὑγίεια, οὕτως (5) ἡ σοφία εὐδαιμονίαν· μέρος γὰρ οὖσα τῆς ὅλης
ἀρετῆς τῷ ἔχεσθαι ποιεῖ καὶ †τῷ ἐνεργεῖν εὐδαίμονα.† Ἔτι τὸ ἔργον
ἀποτελεῖται κατὰ τὴν φρόνησιν καὶ τὴν ἠθικὴν ἀρετήν· ἡ μὲν γὰρ ἀρετὴ τὸν
σκοπὸν ποιεῖ ὀρθόν, ἡ δὲ φρόνησις τὰ πρὸς τοῦτον. Τοῦ δὲ τετάρτου μορίου
τῆς ψυχῆς οὐκ ἔστιν (10) ἀρετὴ τοιαύτη, τοῦ θρεπτικοῦ· οὐδὲν γὰρ ἐπ' αὐτῷ
πράττειν ἢ μὴ πράττειν. Περὶ δὲ τοῦ μηθὲν εἶναι πρακτικωτέρους διὰ τὴν
φρόνησιν τῶν καλῶν καὶ δικαίων, μικρὸν ἄνωθεν ἀρκτέον, λαβόντας ἀρχὴν
ταύτην. Ὥσπερ γὰρ καὶ τὰ δίκαια λέγομεν πράττοντάς τινας οὔπω δικαίους
εἶναι, οἷον (15) τοὺς τὰ ὑπὸ τῶν νόμων τεταγμένα ποιοῦντας ἢ ἄκοντας ἢ δι'
ἄγνοιαν ἢ δι' ἕτερόν τι καὶ μὴ δι' αὐτά (καίτοι πράττουσί γε ἃ δεῖ καὶ ὅσα
χρὴ τὸν σπουδαῖον), οὕτως, ὡς ἔοικεν, ἔστι τὸ πῶς ἔχοντα πράττειν ἕκαστα
ὥστ' εἶναι ἀγαθόν, λέγω δ' οἷον διὰ προαίρεσιν καὶ αὐτῶν ἕνεκα τῶν (20)
πραττομένων. Τὴν μὲν οὖν προαίρεσιν ὀρθὴν ποιεῖ ἡ ἀρετή, τὸ δ' ὅσα ἐκείνης
ἕνεκα πέφυκε πράττεσθαι οὐκ ἔστι τῆς ἀρετῆς ἀλλ' ἑτέρας δυνάμεως. Λεκτέον
δ' ἐπιστήσασι σαφέστερον περὶ αὐτῶν. Ἔστι δὴ δύναμις ἣν καλοῦσι δεινότητα·
αὕτη δ' ἐστὶ τοιαύτη ὥστε τὰ πρὸς τὸν ὑποτεθέντα (25) σκοπὸν συντείνοντα
δύνασθαι ταῦτα πράττειν καὶ τυγχάνειν αὐτοῦ. Ἂν μὲν οὖν ὁ σκοπὸς ᾖ καλός,
ἐπαινετή ἐστιν, ἐὰν δὲ φαῦλος, πανουργία· διὸ καὶ τοὺς φρονίμους δεινοὺς
καὶ πανούργους φαμὲν εἶναι. Ἔστι δ' ἡ φρόνησις οὐχ ἡ δύναμις, ἀλλ' οὐκ
ἄνευ τῆς δυνάμεως ταύτης. Ἡ δ' ἕξις τῷ (30) ὄμματι τούτῳ γίνεται τῆς ψυχῆς
οὐκ ἄνευ ἀρετῆς, ὡς εἴρηταί τε καὶ ἔστι δῆλον· οἱ γὰρ συλλογισμοὶ τῶν
πρακτῶν ἀρχὴν ἔχοντές εἰσιν, ἐπειδὴ τοιόνδε τὸ τέλος καὶ τὸ ἄριστον,
ὁτιδήποτε ὄν (ἔστω γὰρ λόγου χάριν τὸ τυχόν)· τοῦτο δ' εἰ μὴ τῷ ἀγαθῷ, οὐ
φαίνεται· διαστρέφει γὰρ ἡ (35) μοχθηρία καὶ διαψεύδεσθαι ποιεῖ περὶ τὰς
πρακτικὰς ἀρχάς. Ὥστε φανερὸν ὅτι ἀδύνατον φρόνιμον εἶναι μὴ ὄντα ἀγαθόν.
XIII. (1144b) (1) Σκεπτέον δὴ πάλιν καὶ περὶ ἀρετῆς· καὶ γὰρ ἡ ἀρετὴ
παραπλησίως ἔχει ὡς ἡ φρόνησις πρὸς τὴν δεινότητα - οὐ ταὐτὸ μέν, ὅμοιον
δέ - οὕτω καὶ ἡ φυσικὴ ἀρετὴ πρὸς τὴν κυρίαν. Πᾶσι γὰρ δοκεῖ ἕκαστα τῶν
ἠθῶν ὑπάρχειν (5) φύσει πως· καὶ γὰρ δίκαιοι καὶ σωφρονικοὶ καὶ ἀνδρεῖοι
καὶ τἆλλα ἔχομεν εὐθὺς ἐκ γενετῆς· ἀλλ' ὅμως ζητοῦμεν ἕτερόν τι τὸ κυρίως
ἀγαθὸν καὶ τὰ τοιαῦτα ἄλλον τρόπον ὑπάρχειν. Καὶ γὰρ παισὶ καὶ θηρίοις αἱ
φυσικαὶ ὑπάρχουσιν ἕξεις, ἀλλ' ἄνευ νοῦ βλαβεραὶ φαίνονται οὖσαι. (10)
Πλὴν τοσοῦτον ἔοικεν ὁρᾶσθαι, ὅτι ὥσπερ σώματι ἰσχυρῷ ἄνευ ὄψεως κινουμένῳ
συμβαίνει σφάλλεσθαι ἰσχυρῶς διὰ τὸ μὴ ἔχειν ὄψιν, οὕτω καὶ ἐνταῦθα· ἐὰν
δὲ λάβῃ νοῦν, ἐν τῷ πράττειν διαφέρει· ἡ δ' ἕξις ὁμοία οὖσα τότ' ἔσται
κυρίως ἀρετή. Ὥστε καθάπερ ἐπὶ τοῦ δοξαστικοῦ δύο ἐστὶν (15) εἴδη,
δεινότης καὶ φρόνησις, οὕτω καὶ ἐπὶ τοῦ ἠθικοῦ δύο ἐστί, τὸ μὲν ἀρετὴ
φυσικὴ τὸ δ' ἡ κυρία, καὶ τούτων ἡ κυρία οὐ γίνεται ἄνευ φρονήσεως. Διόπερ
τινές φασι πάσας τὰς ἀρετὰς φρονήσεις εἶναι, καὶ Σωκράτης τῇ μὲν ὀρθῶς
ἐζήτει τῇ δ' ἡμάρτανεν· ὅτι μὲν γὰρ φρονήσεις ᾤετο (20) εἶναι πάσας τὰς
ἀρετάς, ἡμάρτανεν, ὅτι δ' οὐκ ἄνευ φρονήσεως, καλῶς ἔλεγεν. Σημεῖον δέ·
καὶ γὰρ νῦν πάντες, ὅταν ὁρίζωνται τὴν ἀρετήν, προστιθέασι, τὴν ἕξιν
εἰπόντες καὶ πρὸς ἅ ἐστι, τὴν κατὰ τὸν ὀρθὸν λόγον· ὀρθὸς δ' ὁ κατὰ τὴν
φρόνησιν. Ἐοίκασι δὴ μαντεύεσθαί πως ἅπαντες (25) ὅτι ἡ τοιαύτη ἕξις ἀρετή
ἐστιν, ἡ κατὰ τὴν φρόνησιν. Δεῖ δὲ μικρὸν μεταβῆναι. Ἔστι γὰρ οὐ μόνον ἡ
κατὰ τὸν ὀρθὸν λόγον, ἀλλ' ἡ μετὰ τοῦ ὀρθοῦ λόγου ἕξις ἀρετή ἐστιν· ὀρθὸς
δὲ λόγος περὶ τῶν τοιούτων ἡ φρόνησίς ἐστιν. Σωκράτης μὲν οὖν λόγους τὰς
ἀρετὰς ᾤετο εἶναι (ἐπιστήμας γὰρ εἶναι (30) πάσας), ἡμεῖς δὲ μετὰ λόγου.
Δῆλον οὖν ἐκ τῶν εἰρημένων ὅτι οὐχ οἷόν τε ἀγαθὸν εἶναι κυρίως ἄνευ
φρονήσεως, οὐδὲ φρόνιμον ἄνευ τῆς ἠθικῆς ἀρετῆς. Ἀλλὰ καὶ ὁ λόγος ταύτῃ
λύοιτ' ἄν, ᾧ διαλεχθείη τις ἂν ὅτι χωρίζονται ἀλλήλων αἱ ἀρεταί· οὐ γὰρ ὁ
αὐτὸς εὐφυέστατος πρὸς ἁπάσας, (35) ὥστε τὴν μὲν ἤδη τὴν δ' οὔπω εἰληφὼς
ἔσται· τοῦτο γὰρ κατὰ μὲν τὰς φυσικὰς ἀρετὰς ἐνδέχεται,
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Traduction française :
[6,1144] (1144a) Et d'abord, je dis que ce sont des qualités ou facultés
préférables ou désirables en elles-mêmes, bien que ni l'une ni l'autre ne
puisse rien produire, puisque ce sont des vertus qui appartiennent chacune
à une partie distincte de l'âme. Ensuite, elles ont pourtant un
certain effet, non pas comme la sagesse, pour produire la santé; mais la sagesse
contribue au bonheur, comme la santé elle-même : car, étant une partie de
la vertu en général, elle rend heureux par cela seul qu'on la possède, et
par l'influence qu'elle exerce. De plus, la prudence concourt, avec la
vertu morale, à l'accomplissement d'une œuvre, d'une action; car la vertu
est ce qui rend le but estimable et convenable, et la prudence donne le
même caractère aux moyens d'arriver à ce but. Mais la quatrième partie de
l'âme, la partie nutritive, n'a point une telle propriété; car il ne
dépend d'elle ni de faire, ni de ne pas faire quoi que ce soit.
Quant à l'objection que la prudence ne rend pas plus capable de pratiquer
ce qui est juste et honorable, il faut (pour y répondre) reprendre les
choses d'un peu plus haut, et rappeler le principe suivant :
Nous avons dit, en effet, que certaines personnes qui font des actes de
justice, ne sont pas pourtant encore, pour cela, des hommes justes ;
par exemple, ceux qui font ce qui est prescrit par les lois, mais qui le
font malgré eux, ou par ignorance, ou par quelque autre motif, et non en
vue de la justice en elle-même : ils font pourtant ce qu'il faut, et tout
ce que doit faire un homme de bien. Ainsi, l'on peut, ce me semble, faire
toutes choses avec une disposition particulière, et à des conditions
telles qu'on soit réellement vertueux; c'est-à-dire, par l'effet d'une
détermination réfléchie, et en considérant la chose qu'on fait uniquement
en elle-même.
C'est donc la vertu qui donne au choix ou à la préférence un caractère de
bonté morale; toutefois ce n'est pas à elle que se rapportent tous les
moyens qui sont de nature à nous faire atteindre le but qu'elle prescrit;
c'est à une autre faculté. Mais il faut un peu plus d'attention pour
éclaircir cette proposition.
Or, il y a une faculté qu'on désigne par le nom d'adresse, laquelle
consiste à pratiquer et à exécuter avec succès tout ce qui peut conduire à
un but qu'on s'est proposé. Si donc ce but est honorable, cette faculté
est digne d'éloges et d'estime; mais, s'il est mauvais ou répréhensible,
elle prend le nom de fourberie ou de ruse ; et, par cette raison, nous
appelons les hommes prudents des gens adroits, et non pas fourbes ou
rusés. La prudence n'est donc pas cette faculté-là même, mais ne peut
exister sans elle. L'habitude que l'on appelle prudence, consiste dans ce
coup-d'oeil rapide de l'âme, qui ne saurait être séparé de la vertu, comme
on l'a déjà dit, et comme il est évident. Car les raisonnements (qui
règlent notre conduite) comprennent le principe de ce qu'il faut faire,
puisque ce principe est lui-même la fin ou le but qu'on doit se proposer,
c'est-à-dire, le souverain bien quel qu'il soit. Supposons, en effet,
que ce fût le hasard, ou que cette fin principale dépendît de la fortune,
elle ne se manifesterait toujours qu'à l'homme de bien; car le vice
pervertit (l'âme), et ne peut que lui donner de fausses notions sur les
principes propres à diriger ses actions. Il est donc évident qu'on ne
saurait être prudent, si l'on n'est pas vertueux.
XIII. (1144b) Mais revenons encore une fois sur l'examen de la vertu ;
elle est à peu près comme la prudence à l'égard de l'adresse : on ne peut
pas dire que ce soit la même chose, mais elle lui ressemble. Ces deux
qualités ont, elles, même rapport que la vertu absolue ou proprement dite,
et la vertu naturelle.
En effet, la nature semble avoir mis dans tous les individus le germe de
chacune des vertus morales; car nous apportons, pour ainsi dire, en
naissant, quelque disposition à la justice, à la prudence, ou à la
tempérance, au courage, et aux autres que l'âme. Mais nous cherchons ici
quelque chose de plus, c'est la bonté et la vertu proprement dites, c'est
une autre manière d'être juste, courageux, tempérant, et le reste. Ces
dispositions naturelles existent, en effet, dans les enfants et dans les
animaux; mais elles semblent plutôt nuisibles qu'utiles, sans
l'intelligence. C'est ce qu'on peut reconnaitre en considérant que les
mouvements du corps, de quelque vigueur qu'il soit doué ne peuvent que
l'exposer à des chocs très funestes, quand il est privé de la vue. Or il
en est de même ici : notre manière d'agir est tout autre, quand elle est
dirigée par l'intelligence. Et c'est précisément dans une habitude ou
disposition semblable, que consiste la vertu proprement dite.
Concluons de là que, de même que la partie de l'âme qui conçoit et
apprécie les opinions, comprend deux sortes de facultés, l'adresse et la
prudence, ainsi la partie morale comprend deux sortes de vertus, la vertu
naturelle, et la vertu en soi ou proprement dite; et celle-ci, qui est
principale et directrice (s'il le faut ainsi dire), ne saurait exister
sans la prudence.
C'est ce qui a fait dire à quelques-uns que toutes les vertus ne sont que
la prudence (considérée sous différents points de vue); et Socrate, dans
ses recherches sur ce sujet, avait rencontré juste à certains égards,
et, sous d'autres rapports, était dans l'erreur. Car il se trompait, en
pensant que toutes les vertus ne sont que la prudence; mais il avait
raison de dire qu'elles ne sauraient exister sans cette faculté. La
preuve, c'est que tous ceux qui désormais entreprennent de définir la
vertu, ne manquent guère de faire entrer dans leur définition, qu'elle est
une disposition à tel ou tel genre de qualités ou d'actions, conforme à la
droite raison : or, c'est la prudence qui donne à la raison cette
rectitude dont ils parlent. Tous semblent donc, jusqu'à un certain point,
avoir deviné que cette habitude ou manière d'être, telle qu'ils la
conçoivent, est la vertu, quand elle est dirigée par la prudence.
Toutefois cette définition a besoin d'être un peu modifiée; car la vertu
n'est pas seulement une disposition ou manière d'être, conforme à la
raison, mais elle doit être unie à la raison : or, la raison, dans ce
cas-là, c'est la prudence. Ainsi donc Socrate pensait que toutes les
vertus sont la raison même, envisagée sous différents points de vue (car
il croyait que toutes étaient des sciences); et nous croyons qu'elles sont
unies à la raison. D'on il suit évidemment qu'il n'est pas possible d'être
proprement vertueux, sans la prudence, ni d'être prudent, sans la vertu morale.
On pourrait aussi résoudre, par ce moyen, l'argument par lequel on prétend
prouver que toutes les vertus sont séparées ou indépendantes les unes des
autres, lorsqu'on dit que le même individu n'est pas naturellement disposé
à toutes les vertus; en sorte qu'il y en aura telle qu'il aura déjà
acquise, et telle qu'il ne possédera pas encore. Cela peut être vrai des
vertus naturelles;
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