Texte grec :
[4,5a] ΚΕΦΑΛΑΙΟΝ Ε'.
§ 1. Ἔστι δ' ἀπὸ τῆς αὐτῆς δόξης καὶ ὁ Πρωταγόρου λόγος, καὶ ἀνάγκη ὁμοίως
αὐτοὺς ἄμφω ἢ εἶναι ἢ μὴ εἶναι· εἴτε γὰρ τὰ δοκοῦντα πάντα ἐστὶν ἀληθῆ καὶ
τὰ φαινόμενα, ἀνάγκη εἶναι πάντα ἅμα ἀληθῆ καὶ ψευδῆ (πολλοὶ γὰρ (10)
τἀναντία ὑπολαμβάνουσιν ἀλλήλοις, καὶ τοὺς μὴ ταὐτὰ δοξάζοντας ἑαυτοῖς
διεψεῦσθαι νομίζουσιν·
§ 2. ὥστ' ἀνάγκη τὸ αὐτὸ εἶναί τε καὶ μὴ εἶναι), καὶ εἰ τοῦτ' ἔστιν,
ἀνάγκη τὰ δοκοῦντα εἶναι πάντ' ἀληθῆ (τὰ ἀντικείμενα γὰρ δοξάζουσιν
ἀλλήλοις οἱ διεψευσμένοι καὶ ἀληθεύοντες· εἰ οὖν ἔχει τὰ (15) ὄντα οὕτως,
ἀληθεύσουσι πάντες) .
§ 3. Ὅτι μὲν οὖν ἀπὸ τῆς αὐτῆς εἰσὶ διανοίας ἀμφότεροι οἱ λόγοι, δῆλον·
ἔστι δ' οὐχ ὁ αὐτὸς τρόπος πρὸς ἅπαντας τῆς ἐντεύξεως· οἱ μὲν γὰρ πειθοῦς
δέονται οἱ δὲ βίας. Ὅσοι μὲν γὰρ ἐκ τοῦ ἀπορῆσαι ὑπέλαβον οὕτως, τούτων
εὐί̈ατος ἡ ἄγνοια (οὐ γὰρ πρὸς τὸν (20) λόγον ἀλλὰ πρὸς τὴν διάνοιαν ἡ
ἀπάντησις αὐτῶν)·
§ 4. ὅσοι δὲ λόγου χάριν λέγουσι, τούτων δ' ἔλεγχος ἴασις τοῦ ἐν τῇ φωνῇ
λόγου καὶ τοῦ ἐν τοῖς ὀνόμασιν. Ἐλήλυθε δὲ τοῖς διαποροῦσιν αὕτη ἡ δόξα ἐκ
τῶν αἰσθητῶν, ἡ μὲν τοῦ ἅμα τὰς ἀντιφάσεις καὶ τἀναντία ὑπάρχειν ὁρῶσιν ἐκ
ταὐτοῦ (25) γιγνόμενα τἀναντία· εἰ οὖν μὴ ἐνδέχεται γίγνεσθαι τὸ μὴ ὄν,
προϋπῆρχεν ὁμοίως τὸ πρᾶγμα ἄμφω ὄν, ὥσπερ καὶ Ἀναξαγόρας μεμῖχθαι πᾶν ἐν
παντί φησι καὶ Δημόκριτος· καὶ γὰρ οὗτος τὸ κενὸν καὶ τὸ πλῆρες ὁμοίως
καθ' ὁτιοῦν ὑπάρχειν μέρος, καίτοι τὸ μὲν ὂν τούτων εἶναι τὸ δὲ (30) μὴ ὄν.
§ 5. Πρὸς μὲν οὖν τοὺς ἐκ τούτων ὑπολαμβάνοντας ἐροῦμεν ὅτι τρόπον μέν
τινα ὀρθῶς λέγουσι τρόπον δέ τινα ἀγνοοῦσιν· τὸ γὰρ ὂν λέγεται διχῶς, ὥστ'
ἔστιν ὃν τρόπον ἐνδέχεται γίγνεσθαί τι ἐκ τοῦ μὴ ὄντος, ἔστι δ' ὃν οὔ, καὶ
ἅμα τὸ αὐτὸ εἶναι καὶ ὂν καὶ μὴ ὄν, ἀλλ' οὐ κατὰ ταὐτὸ (ὄν)· δυνάμει (35)
μὲν γὰρ ἐνδέχεται ἅμα ταὐτὸ εἶναι τὰ ἐναντία, ἐντελεχείᾳ δ' οὔ.
§ 6. Ἔτι δ' ἀξιώσομεν αὐτοὺς ὑπολαμβάνειν καὶ ἄλλην τινὰ οὐσίαν εἶναι τῶν
ὄντων ᾗ οὔτε κίνησις ὑπάρχει οὔτε φθορὰ οὔτε γένεσις τὸ παράπαν.
(1009b)(1) - Ὅμοιως δὲ καὶ ἡ περὶ τὰ φαινόμενα ἀλήθεια ἐνίοις ἐκ τῶν
αἰσθητῶν ἐλήλυθεν. Τὸ μὲν γὰρ ἀληθὲς οὐ πλήθει κρίνεσθαι οἴονται προσήκειν
οὐδὲ ὀλιγότητι, τὸ δ' αὐτὸ τοῖς μὲν γλυκὺ γευομένοις δοκεῖν εἶναι τοῖς δὲ
πικρόν, ὥστ' εἰ πάντες ἔκαμνον (5) ἢ πάντες παρεφρόνουν, δύο δ' ἢ τρεῖς
ὑγίαινον ἢ νοῦν εἶχον, δοκεῖν ἂν τούτους κάμνειν καὶ παραφρονεῖν τοὺς δ'
ἄλλους οὔ·
§ 7. ἔτι δὲ καὶ πολλοῖς τῶν ἄλλων ζῴων τἀναντία (περὶ τῶν αὐτῶν) φαίνεσθαι
καὶ ἡμῖν, καὶ αὐτῷ δὲ ἑκάστῳ πρὸς αὑτὸν οὐ ταὐτὰ κατὰ τὴν αἴσθησιν ἀεὶ
δοκεῖν. Ποῖα οὖν τούτων ἀληθῆ (10) ἢ ψευδῆ, ἄδηλον· οὐθὲν γὰρ μᾶλλον τάδε
ἢ τάδε ἀληθῆ, ἀλλ' ὁμοίως.
§ 8. Διὸ Δημόκριτός γέ φησιν ἤτοι οὐθὲν εἶναι ἀληθὲς ἢ ἡμῖν γ' ἄδηλον.
Ὅλως δὲ διὰ τὸ ὑπολαμβάνειν φρόνησιν μὲν τὴν αἴσθησιν, ταύτην δ' εἶναι
ἀλλοίωσιν, τὸ φαινόμενον κατὰ τὴν αἴσθησιν ἐξ ἀνάγκης ἀληθὲς εἶναί (15)
φασιν· ἐκ τούτων γὰρ καὶ Ἐμπεδοκλῆς καὶ Δημόκριτος καὶ τῶν ἄλλων ὡς ἔπος
εἰπεῖν ἕκαστος τοιαύταις δόξαις γεγένηνται ἔνοχοι.
§ 9. Καὶ γὰρ Ἐμπεδοκλῆς μεταβάλλοντας τὴν ἕξιν μεταβάλλειν φησὶ τὴν
φρόνησιν·
Πρὸς παρεὸν γὰρ μῆτις ἐναύξεται ἀνθρώποισιν.
Καὶ ἐν ἑτέροις δὲ λέγει (20) ὅτι
Ὅσσον ἀλλοῖοι μετέφυν, τόσον ἄρ σφισιν αἰεὶ
καὶ τὸ φρονεῖν ἀλλοῖα παρίστατο.
Παρμενίδης δὲ ἀποφαίνεται τὸν αὐτὸν τρόπον·
Ὡς γὰρ ἑκάστοτ' ἔχει κρᾶσιν μελέων πολυκάμπτων,
τὼς νόος ἀνθρώποισι παρίσταται· τὸ γὰρ αὐτὸ
ἔστιν ὅπερ φρονέει, μελέων φύσις ἀνθρώποισιν
(25) καὶ πᾶσιν καὶ παντί· τὸ γὰρ πλέον ἐστὶ νόημα.
Ἀναξαγόρου δὲ καὶ ἀπόφθεγμα μνημονεύεται πρὸς τῶν ἑταίρων τινάς, ὅτι
τοιαῦτ' αὐτοῖς ἔσται τὰ ὄντα οἷα ἂν ὑπολάβωσιν.
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Traduction française :
[4,5a] CHAPITRE V
§ 1. La théorie de Protagore s'appuie sur le même fondement que la
précédente ; et nécessairement, c'est à titre égal que toutes les deux
sont vraies, ou qu'elles sont fausses. Si tout ce qu'on pense, si tout ce
qu'on aperçoit est vrai, alors tout est à la fois vrai et faux ; car il ne
manque pas de gens pour penser le contraire les uns des autres ; et
la plupart des hommes se figurent qu'on est dans l'erreur du moment qu'on
ne partage pas leur opinion.
§ 2. Par une conséquence nécessaire, il en résulte que la même chose est
et n'est pas ; et, s'il en est ainsi, il n'est pas moins nécessaire que
tout ce qu'on pense soit vrai, puisque ceux qui se trompent et ceux qui
ont pour eux la vérité, se contredisent dans leur façon de voir. Si les
choses ne sont réellement que cela, tout le monde aura la vérité pour soi.
§ 3. Mais, si les deux théories sont évidemment animées du même esprit, ce
n'est pas de la même façon qu'on doit les combattre l'une et d'autre. Avec
les uns, c'est la persuasion qui suffit ; mais il faut imposer aux autres
la force d'arguments irrésistibles. Ceux qui ont été conduits à cette
doctrine par un examen des difficultés de la question, peuvent être sans
trop de peine guéris de leur ignorance ; car, pour les convaincre, ce
n'est pas à ce qu'ils disent qu'il faut s'adresser ; c'est à ce
qu'ils pensent. Pour ceux, au contraire, qui ne parlent ainsi que pour
parler, le moyen de les guérir, c'est de réfuter leur langage et les mots
dont ils se servent.
§ 4. Ceux qui ont étudié la question sérieusement ont pu tirer leur
opinion du spectacle des choses sensibles; et s'ils ont adopté cette
opinion, à savoir que les contradictoires et les contraires peuvent
coexister, c'est en observant que les contraires peuvent sortir d'une
seule et même source. Si donc il est impossible que ce qui n'est pas se
produise, il fallait qu'une certaine chose existât antérieurement, et fût
les deux contraires tout ensemble, dans le sens où Anaxagore, et aussi
Démocrite, ont dit que « Tout était mêlé à tout » . Car, pour ce dernier,
le vide et le plein se trouvent également dans une partie quelconque de la
matière; et à ses yeux, le plein représente l'Être, de même que le
Non-être est représenté par le vide.
§ 5. Quant à ceux qui sont arrivés à leur système par la route que nous
venons de rappeler, nous leur dirons qu'à un certain point de vue ils ont
raison, et qu'à un autre ils se trompent. Le mot Être peut être pris dans
deux acceptions diverses ; et, selon l'une, il est possible qu'il sorte
quelque chose du Non-être ; selon l'autre acception, c'est impossible. Si
une même chose peut tout ensemble être et n'être pas, ce n'est pas du
moins dans le même sens. En puissance, une même chose peut être les
deux contraires ; mais, en absolue réalité, elle ne le peut pas.
§ 6. Du reste, nous croyons ne pas nous tromper en supposant que ces
philosophes aussi admettent une autre essence des choses, qui n'est
soumise absolument, ni au mouvement, ni à la destruction, ni à la
production. (1009b) C'est encore par un motif semblable que, en parlant
des faits sensibles, quelques philosophes en sont venus à croire à la
vérité de tous les phénomènes que nous percevons. Selon eux, ce n'est pas
par le nombre plus ou moins grand des témoignages qu'il convient de juger
de la vérité dans les choses. Le même aliment flatte le goût des uns et
révolte le goût des autres ; de telle sorte que, si tout le monde était
malade ou insensé, et que deux ou trois personnes seulement fussent en
santé ou dans leur bon sens, ce seraient elles qui passeraient pour
malades ou pour folles, tandis que le reste passerait pour sain et
parfaitement raisonnable.
§ 7. Ajoutez qu'il est une foule d'animaux qui sentent tout autrement que
nous les mêmes objets que nous sentons; et que chacun de nous ne juge pas
toujours de la même manière une même chose perçue par lui. Dans toutes ces
perceptions, où est la vérité, où est l'erreur? C'est ce qui reste
profondément obscur; car l'un n'est pas plus vrai que l'autre, et les deux
le sont également.
§ 8. Aussi, Démocrite prétendait-il, ou qu'il n'y a rien de vrai pour
l'homme, ou bien que, s'il y a de la vérité, nous ignorons ce qu'elle est.
D'une manière générale, on peut dire que ces philosophes ont été amenés à
regarder tout phénomène de sensation pour vrai, parce qu'ils ont confondu
la sensibilité et la raison, et que la sensation leur a paru un
changement. C'est là la voie qui a conduit aussi Empédocle comme
Démocrite, et tous les autres, pour ainsi dire, à se jeter dans de si
fausses doctrines.
§ 9. Ainsi Empédocle avance que, quand notre disposition vient à changer,
notre pensée change aussitôt avec elle :
Le présent est toujours maître de notre esprit.
Et dans un autre passage, il dit encore :
Car plus les changements se produisaient en eux,
Plus aussi les pensers leur surgissaient nombreux.
Parménide ne s'exprime pas non plus d'une autre manière :
C'est le tempérament qui règle nos esprits,
Et fait cette raison, dont l'homme est tant épris.
Pour tous et pour chacun, c'est notre corps qui pense,
Et qui dispose en nous de notre intelligence.
On se rappelle également le propos qu'on prête à Anaxagore, disant à
quelques-uns de ses amis que « Pour chacun d'eux les choses ne seraient
que ce que leur jugement voudrait bien les faire ».
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