Texte grec :
[4,6] ΚΕΦΑΛΑΙΟΝ Ϛ'.
§ 1. Εἰσὶ δέ τινες οἳ ἀποροῦσι καὶ τῶν ταῦτα πεπεισμένων καὶ τῶν τοὺς
λόγους τούτους μόνον λεγόντων· ζητοῦσι γὰρ (5) τίς ὁ κρινῶν τὸν ὑγιαίνοντα
καὶ ὅλως τὸν περὶ ἕκαστα κρινοῦντα ὀρθῶς. Τὰ δὲ τοιαῦτα ἀπορήματα ὅμοιά
ἐστι τῷ ἀπορεῖν πότερον καθεύδομεν νῦν ἢ ἐγρηγόραμεν, δύνανται δ' αἱ
ἀπορίαι αἱ τοιαῦται πᾶσαι τὸ αὐτό·
§ 2. πάντων γὰρ λόγον ἀξιοῦσιν εἶναι οὗτοι· ἀρχὴν γὰρ ζητοῦσι, καὶ ταύτην
(10) δι' ἀποδείξεως λαμβάνειν, ἐπεὶ ὅτι γε πεπεισμένοι οὐκ εἰσί, φανεροί
εἰσιν ἐν ταῖς πράξεσιν. Ἀλλ' ὅπερ εἴπομεν, τοῦτο αὐτῶν τὸ πάθος ἐστίν·
λόγον γὰρ ζητοῦσιν ὧν οὐκ ἔστι λόγος· ἀποδείξεως γὰρ ἀρχὴ οὐκ ἀπόδειξίς
ἐστιν.
§ 3. Οὗτοι μὲν οὖν ῥᾳδίως ἂν τοῦτο πεισθεῖεν (ἔστι γὰρ οὐ χαλεπὸν λαβεῖν)·
(15) οἱ δ' ἐν τῷ λόγῳ τὴν βίαν μόνον ζητοῦντες ἀδύνατον ζητοῦσιν· ἐναντία
γὰρ εἰπεῖν ἀξιοῦσιν, εὐθὺς ἐναντία λέγοντες. Εἰ δὲ μὴ ἔστι πάντα πρός τι,
ἀλλ' ἔνιά ἐστι καὶ αὐτὰ καθ' αὑτά, οὐκ ἂν εἴη πᾶν τὸ φαινόμενον ἀληθές· τὸ
γὰρ φαινόμενον τινί ἐστι φαινόμενον· ὥστε ὁ λέγων ἅπαντα τὰ (20) φαινόμενα
εἶναι ἀληθῆ ἅπαντα ποιεῖ τὰ ὄντα πρός τι.
§ 4. Διὸ καὶ φυλακτέον τοῖς τὴν βίαν ἐν τῷ λόγῳ ζητοῦσιν, ἅμα δὲ καὶ
ὑπέχειν λόγον ἀξιοῦσιν, ὅτι οὐ τὸ φαινόμενον ἔστιν ἀλλὰ τὸ φαινόμενον ᾧ
φαίνεται καὶ ὅτε φαίνεται καὶ ᾗ καὶ ὥς. Ἂν δ' ὑπέχωσι μὲν λόγον, μὴ οὕτω
δ' (25) ὑπέχωσι, συμβήσεται αὑτοῖς τἀναντία ταχὺ λέγειν. Ἐνδέχεται γὰρ τὸ
αὐτὸ κατὰ μὲν τὴν ὄψιν μέλι φαίνεσθαι τῇ δὲ γεύσει μή, καὶ τῶν ὀφθαλμῶν
δυοῖν ὄντοιν μὴ ταὐτὰ ἑκατέρᾳ τῇ ὄψει, ἂν ὦσιν ἀνόμοιαι·
§ 5. ἐπεὶ πρός γε τοὺς διὰ τὰς πάλαι εἰρημένας αἰτίας τὸ φαινόμενον
φάσκοντας (30) ἀληθὲς εἶναι, καὶ διὰ τοῦτο πάνθ' ὁμοίως εἶναι ψευδῆ καὶ
ἀληθῆ· οὔτε γὰρ ἅπασι ταὐτὰ φαίνεσθαι οὔτε ταὐτῷ ἀεὶ ταὐτά, ἀλλὰ πολλάκις
τἀναντία κατὰ τὸν αὐτὸν χρόνον (ἡ μὲν γὰρ ἁφὴ δύο λέγει ἐν τῇ ἐπαλλάξει
τῶν δακτύλων ἡ δ' ὄψις ἕν)· ἀλλ' οὔ τι τῇ αὐτῇ γε καὶ (35) κατὰ τὸ αὐτὸ
αἰσθήσει καὶ ὡσαύτως καὶ ἐν τῷ αὐτῷ χρόνῳ, ὥστε τοῦτ' ἂν εἴη ἀληθές.
§ 6. (1011b)(1) Ἀλλ' ἴσως διὰ τοῦτ' ἀνάγκη λέγειν τοῖς μὴ δι' ἀπορίαν ἀλλὰ
λόγου χάριν λέγουσιν, ὅτι οὐκ ἔστιν ἀληθὲς τοῦτο ἀλλὰ τούτῳ ἀληθές. Καὶ
ὥσπερ δὴ πρότερον εἴρηται, ἀνάγκη πρός τι ποιεῖν (5) ἅπαντα καὶ πρὸς δόξαν
καὶ αἴσθησιν, ὥστ' οὔτε γέγονεν οὔτ' ἔσται οὐθὲν μηθενὸς προδοξάσαντος. Εἰ
δὲ γέγονεν ἢ ἔσται, δῆλον ὅτι οὐκ ἂν εἴη ἅπαντα πρὸς δόξαν.
§ 7. Ἔτι εἰ ἕν, πρὸς ἓν ἢ πρὸς ὡρισμένον· καὶ εἰ τὸ αὐτὸ καὶ ἥμισυ καὶ
ἴσον, ἀλλ' οὐ πρὸς τὸ διπλάσιόν γε τὸ ἴσον. Πρὸς δὴ τὸ δοξάζον (10) εἰ
ταὐτὸ ἄνθρωπος καὶ τὸ δοξαζόμενον, οὐκ ἔσται ἄνθρωπος τὸ δοξάζον ἀλλὰ τὸ
δοξαζόμενον. Εἰ δ' ἕκαστον ἔσται πρὸς τὸ δοξάζον, πρὸς ἄπειρα ἔσται τῷ
εἴδει τὸ δοξάζον.
§ 8. Ὅτι μὲν οὖν βεβαιοτάτη δόξα πασῶν τὸ μὴ εἶναι ἀληθεῖς ἅμα τὰς
ἀντικειμένας φάσεις, καὶ τί συμβαίνει τοῖς οὕτω (15) λέγουσι, καὶ διὰ τί
οὕτω λέγουσι, τοσαῦτα εἰρήσθω· ἐπεὶ δ' ἀδύνατον τὴν ἀντίφασιν ἅμα
ἀληθεύεσθαι κατὰ τοῦ αὐτοῦ, φανερὸν ὅτι οὐδὲ τἀναντία ἅμα ὑπάρχειν
ἐνδέχεται τῷ αὐτῷ· τῶν μὲν γὰρ ἐναντίων θάτερον στέρησίς ἐστιν οὐχ ἧττον,
οὐσίας δὲ στέρησις· ἡ δὲ στέρησις ἀπόφασίς ἐστιν ἀπό (20) τινος ὡρισμένου
γένους· εἰ οὖν ἀδύνατον ἅμα καταφάναι καὶ ἀποφάναι ἀληθῶς, ἀδύνατον καὶ
τἀναντία ὑπάρχειν ἅμα, ἀλλ' ἢ πῇ ἄμφω ἢ θάτερον μὲν πῇ θάτερον δὲ ἁπλῶς.
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Traduction française :
[4,6] CHAPITRE VI
§ 1. Quelques-uns de nos philosophes élèvent ici une question, aussi bien
ceux qui sont convaincus sincèrement de leur doctrine, que ceux qui ne la
soutiennent que pour les besoins de leur cause. Ils demandent qui
jugera de la santé de l'être qui sent; et, d'une manière générale, quel
sera, dans chaque cas, le juge vraiment compétent. Mais soulever de telles
questions, c'est absolument se demander si, dans le moment où nous
parlons, nous sommes endormis ou éveillés.
§ 2. Au fond, toutes ces difficultés si gratuites n'ont qu'une même valeur
; ces philosophes se figurent qu'il faut rendre raison de tout, et
cherchant un principe, ils veulent l'obtenir par démonstration. Mais
ce qui prouve bien qu'ils ne sont pas très convaincus de cette prétendue
possibilité de tout démontrer, c'est la manière même dont ils agissent et
se conduisent. Du reste, nous avons déjà dit que c'était là leur erreur ;
ils s'appliquent à rendre raison de choses pour lesquelles il n'y a pas de
raison à donner, puisque le principe de la démonstration ne saurait être
une démonstration.
§ 3. Ces philosophes pourraient assez aisément se convaincre de leur
méprise ; car il n'est pas difficile de voir d'où elle vient. Mais
ceux qui, dans la discussion, ne cherchent qu'à violenter leurs
interlocuteurs, courent après l'impossible; car, tout en demandant qu'on
les contredise, ils commencent par se contredire eux-mêmes, dès leur
premier mot. Si tout dans le monde n'est pas relatif, et s'il y a des
choses qui existent en soi et par elles-mêmes, il s'ensuit que tout ce qui
nous apparaît n'est pas indistinctement vrai. Ce qui paraît doit
nécessairement paraître à quelqu'un; et prétendre que tous les
phénomènes sont vrais sans exception, c'est prétendre que tout au monde
est relatif.
§ 4. Aussi ceux qui ne trouvent de force convaincante que dans les mots,
et qui veulent engager la discussion, doivent ici bien prendre garde que
ce n'est pas toute apparence qui est vraie, mais qu'elle est vraie
seulement pour celui à qui elle apparaît, pour le moment, dans la mesure
et sous le jour où elle lui apparaît. Ils auraient beau engager la
discussion, s'ils ne l'engagent pas en faisant cette concession, ils
seront bien vite forcés de soutenir les contraires. Une même chose, en
effet, peut à la vue sembler être du miel, et n'en être pas pour le goût;
et, comme nous avons deux yeux, il est bien possible que les choses ne
semblent pas les mêmes à l'un et à l'autre oeil, si la vision y est inégale.
§ 5. A ceux qui soutiennent que toute apparence est vraie, en
s'appuyant sur les motifs que nous avons naguère indiqués, et que, par
conséquent, tout est également faux et vrai tout ensemble, on peut
accorder que les apparences ne sont pas les mêmes pour tout le monde,
qu'elles ne sont pas même toujours identiques pour la même personne, et
que souvent elles semblent toutes contraires dans un seul et même instant.
Ainsi, le toucher, par la superposition des doigts, nous atteste deux
objets là où la vue n'en montre qu'un. Mais les choses ne sont les mêmes,
ni pour le même sens appliqué au même objet, ni pour ce sens agissant
de la même façon, ni dans un seul et même moment; donc la théorie serait
assez exacte.
§ 6. (1011b) Mais c'est là peut-être aussi pour ceux qui soutiennent cette
doctrine, non en vertu de doutes sérieux, mais uniquement en vue de la
discussion, une nécessité de modifier leur système, et de convenir que
l'apparence n'est pas vraie pour tout le monde, mais seulement pour celui
qui la perçoit. Et alors, nous le répétons, ils doivent nécessairement
aussi affirmer qu'il n'y a au monde que du relatif, et subordonner tout à
la pensée individuelle et à la sensation. Par conséquent, dans leur
système, rien n'a été, rien ne sera qu'à la condition que quelqu'un l'ait
préalablement pensé ; mais si quelque chose a été dans le passé ou doit
être dans l'avenir, sans qu'on y ait préalablement pensé, c'est donc que
tout ne se rapporte pas à la pensée et à l'apparence exclusivement.
§ 7. De plus, du moment qu'une chose est une, elle se rapporte à un être
qui est un aussi, c'est-à-dire à un être déterminé ; et une même chose a
beau être, tout ensemble, double de celle-ci et égale à celle-là, ce n'est
pas du moins relativement au double qu'elle est égale. Si l'on admet
que, relativement à l'être qui pense, l'homme qu'on pense et la pensée
qu'on en a sont une seule et même chose, du moins l'homme pensé n'est pas
l'être qui pense, puisque c'est la chose que l'on pense. Mais, si chaque
chose n'existe que dans son rapport avec l'être pensant, alors l'être
pensant sera quelque chose dont les espèces seront en nombre infini.
§ 8. Ainsi, en résumé, nous avons établi comme le principe le plus assuré
de tous les principes, que jamais les deux assertions opposées ne peuvent
être vraies à la fois; et nous avons fait voir, d'une part, les
conséquences où l'on est entraîné quand on prétend qu'elles sont
vraies toutes deux, et, d'autre part, les motifs de cette erreur. Or, du
moment qu'il est impossible que les deux assertions opposées soient vraies
de la même chose en même temps, il est clair également que les contraires
ne peuvent pas coexister davantage dans une même chose; car, entre les
contraires, l'un n'exprime pas moins que l'autre la privation. Mais la
privation appliquée à la substance n'est que la négation d'un certain
genre déterminé. Si donc il ne se peut pas que l'affirmation et la
négation soient vraies tout ensemble, les contraires ne peuvent pas
davantage coexister, à moins que tous les deux n'existent que d'une
certaine manière, ou bien que l'un existe avec cette restriction, tandis
que l'autre existe d'une manière absolue.
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