Texte grec :
[1,32] XXXII. Σόλων μὲν δὴ εὐδαιμονίης δευτερεῖα ἔνεμε τούτοισι, Κροῖσος δὲ σπερχθεὶς
εἶπε "ὦ ξεῖνε Ἀθηναῖε, ἡ δ᾽ ἡμετέρη εὐδαιμονίη οὕτω τοι ἀπέρριπται ἐς τὸ μηδὲν
ὥστε οὐδὲ ἰδιωτέων ἀνδρῶν ἀξίους ἡμέας ἐποίησας;" ὁ δὲ εἶπε "ὦ Κροῖσε,
ἐπιστάμενόν με τὸ θεῖον πᾶν ἐὸν φθονερόν τε καὶ ταραχῶδες ἐπειρωτᾷς
ἀνθρωπηίων πρηγμάτων πέρι. (2) ἐν γὰρ τῷ μακρῷ χρόνῳ πολλὰ μὲν ἐστὶ ἰδεῖν
τὰ μή τις ἐθέλει, πολλὰ δὲ καὶ παθεῖν. ἐς γὰρ ἑβδομήκοντα ἔτεα οὖρον τῆς ζόης
ἀνθρώπῳ προτίθημι. (3) οὗτοι ἐόντες ἐνιαυτοὶ ἑβδομήκοντα παρέχονται ἡμέρας
διηκοσίας καὶ πεντακισχιλίας καὶ δισμυρίας, ἐμβολίμου μηνὸς μὴ γινομένου· εἰ
δὲ δὴ ἐθελήσει τοὔτερον τῶν ἐτέων μηνὶ μακρότερον γίνεσθαι, ἵνα δὴ αἱ ὧραι
συμβαίνωσι παραγινόμεναι ἐς τὸ δέον, μῆνες μὲν παρὰ τὰ ἑβδομήκοντα ἔτεα οἱ
ἐμβόλιμοι γίνονται τριήκοντα πέντε, ἡμέραι δὲ ἐκ τῶν μηνῶν τούτων χίλιαι
πεντήκοντα. (4) τουτέων τῶν ἁπασέων ἡμερέων τῶν ἐς τὰ ἑβδομήκοντα ἔτεα,
ἐουσέων πεντήκοντα καὶ διηκοσιέων καὶ ἑξακισχιλιέων καὶ δισμυριέων, ἡ ἑτέρη
αὐτέων τῇ ἑτέρῃ ἡμέρῃ τὸ παράπαν οὐδὲν ὅμοιον προσάγει πρῆγμα. οὕτω ὦν
Κροῖσε πᾶν ἐστὶ ἄνθρωπος συμφορή. (5) ἐμοὶ δὲ σὺ καὶ πλουτέειν μέγα φαίνεαι
καὶ βασιλεὺς πολλῶν εἶναι ἀνθρώπων· ἐκεῖνο δὲ τὸ εἴρεό με, οὔκω σε ἐγὼ λέγω,
πρὶν τελευτήσαντα καλῶς τὸν αἰῶνα πύθωμαι. οὐ γάρ τι ὁ μέγα πλούσιος
μᾶλλον τοῦ ἐπ᾽ ἡμέρην ἔχοντος ὀλβιώτερος ἐστί, εἰ μή οἱ τύχη ἐπίσποιτο πάντα
καλὰ ἔχοντα εὖ τελευτῆσαὶ τὸν βίον. πολλοὶ μὲν γὰρ ζάπλουτοι ἀνθρώπων
ἀνόλβιοι εἰσί, πολλοὶ δὲ μετρίως ἔχοντες βίου εὐτυχέες. (6) ὁ μὲν δὴ μέγα
πλούσιος ἀνόλβιος δὲ δυοῖσι προέχει τοῦ εὐτυχέος μοῦνον, οὗτος δὲ τοῦ
πλουσίου καὶ ἀνόλβου πολλοῖσι· ὃ μὲν ἐπιθυμίην ἐκτελέσαι καί ἄτην μεγάλην
προσπεσοῦσαν ἐνεῖκαι δυνατώτερος, ὁ δὲ τοῖσιδε προέχει ἐκείνου· ἄτην μὲν καὶ
ἐπιθυμίην οὐκ ὁμοίως δυνατὸς ἐκείνῳ ἐνεῖκαι, ταῦτα δὲ ἡ εὐτυχίη οἱ ἀπερύκει,
ἄπηρος δὲ ἐστί, ἄνουσος, ἀπαθὴς κακῶν, εὔπαις, εὐειδής. (7) εἰ δὲ πρὸς τούτοισι
ἔτι τελευτήσῃ τὸν βίον εὖ, οὗτος ἐκεῖνος τὸν σὺ ζητέεις, ὁ ὄλβιος κεκλῆσθαι ἄξιος
ἐστί· πρὶν δ᾽ ἂν τελευτήσῃ, ἐπισχεῖν, μηδὲ καλέειν κω ὄλβιον ἀλλ᾽ εὐτυχέα. (8) τὰ
πάντα μέν νυν ταῦτα συλλαβεῖν ἄνθρωπον ἐόντα ἀδύνατον ἐστί, ὥσπερ χωρῇ
οὐδεμία καταρκέει πάντα ἑωυτῇ παρέχουσα, ἀλλὰ ἄλλο μὲν ἔχει ἑτέρου δὲ
ἐπιδέεται· ἣ δὲ ἂν τὰ πλεῖστα ἔχῃ, αὕτη ἀρίστη. ὣς δὲ καὶ ἀνθρώπου σῶμα ἓν
οὐδὲν αὔταρκες ἐστί· τὸ μὲν γὰρ ἔχει, ἄλλου δὲ ἐνδεές ἐστι· (9) ὃς δ᾽ ἂν αὐτῶν
πλεῖστα ἔχων διατελέῃ καὶ ἔπειτα τελευτήσῃ εὐχαρίστως τὸν βίον, οὗτος παρ᾽
ἐμοὶ τὸ οὔνομα τοῦτο ὦ βασιλεῦ δίκαιος ἐστὶ φέρεσθαι. σκοπέειν δὲ χρὴ παντὸς
χρήματος τὴν τελευτήν, κῇ ἀποβήσεται· πολλοῖσι γὰρ δὴ ὑποδέξας ὄλβον ὁ θεὸς
προρρίζους ἀνέτρεψε".
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Traduction française :
[1,32] XXXII. Solon accordait par ce discours le second rang à Cléobis et Biton. « Athénien,
répliqua Crésus en colère, faites-vous donc si peu de cas de ma félicité que vous me
jugiez indigne d'être comparé avec des hommes privés ? - Seigneur, reprit Solon ,
vous me demandez ce que je pense de la vie humaine : ai-je donc pu vous répondre
autrement, moi qui sais que la Divinité est jalouse du bonheur des humains, et qu'elle
se plaît à le troubler ? car dans une longue carrière ou voit et l'on souffre bien des
choses fâcheuses. Je donne à un homme soixante-dix ans pour le plus long terme de
sa vie. Ces soixante-dix ans font vingt-cinq mille deux cents jours, en omettant les
mois intercalaires ; mais, si chaque sixième année on ajoute un mois, afin que les
saisons se retrouvent précisément au temps où elles doivent arriver, dans les
soixante-dix ans vous aurez douze mois intercalaires, moins la troisième partie d'un
mois, qui feront trois cent cinquante jours, lesquels, ajoutés à vingt-cinq mille deux
cents, donneront vingt-cinq mille cinq cent cinquante jours. Or de ces vingt-cinq
mille cinq cent cinquante jours, qui font soixante-dix ans, vous n'en trouverez pas un
qui amène un événement absolument semblable. Il faut donc en convenir, seigneur,
l'homme n'est que vicissitude. Vous avez certainement des richesses considérables, et
vous régnez sur un peuple nombreux ; mais je ne puis répondre à votre question que
je ne sache si vous avez fini vos jours dans la prospérité ; car l'homme comblé de
richesses n'est pas plus heureux que celui qui n'a que le simple nécessaire, à moins
que la fortune ne l'accompagne, et que, jouissant de toutes sortes de biens, il ne
termine heureusement sa carrière. Rien de plus commun que le malheur dans
l'opulence, et le bonheur dans la médiocrité. Un homme puissamment riche, mais
malheureux, n'a que deux avantages sur celui qui a du bonheur ; mais celui-ci en a
un grand nombre sur le riche malheureux.
L'homme riche est plus en état de contenter ses désirs et de supporter de grandes
pertes ; mais, si l'autre ne peut soutenir de grandes pertes ni satisfaire ses désirs, son
bonheur le met à couvert des uns et des autres, et en cela il l'emporte sur le riche.
D'ailleurs il a l'usage de tous ses membres, il jouit d'une bonne santé, il n'éprouve
aucun malheur, il est beau, et heureux en enfants.
Si à tous ces avantages vous ajoutez celui d'une belle mort, c'est cet homme-là que
vous cherchez, c'est lui qui mérite d'être appelé heureux. Mais, avant sa mort,
suspendez votre jugement, ne lui donnez point ce nom ; dites seulement qu'il est
fortuné. Il est impossible qu'un homme réunisse tous ces avantages, de même qu'il
n'y a point de pays qui se suffise, et qui renferme tous les biens : car, si un pays en a
quelques-uns, il est privé de quelques autres ; le meilleur est celui qui en a le plus. Il
en est ainsi de l'homme : il n'y en a pas un qui se suffise à lui-même : s'il possède
quelques avantages, d'autres lui manquent. Celui qui en réunit un plus grand
nombre, qui les conserve jusqu'à la fin de ses jours, et sort ensuite tranquillement de
cette vie ; celui-là, seigneur, mérite, à mon avis, d'être appelé heureux. Il faut
considérer la fin de toutes choses, et voir quelle en sera l'issue ; car il arrive que Dieu,
après avoir fait entrevoir la félicité à quelques hommes, la détruit souvent
radicalement.»
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